octobre 2021

Création de la Ville de Noranda et du Village de Rouyn - 11 mars et 5 mai 1926

par Benoit-Beaudry Gourd

La naissance de Noranda et de Rouyn

Dès 1923, des groupes miniers érigent des campements à proximité du lac Osisko qui prennent de l'importance à mesure que progressent les travaux d'exploration. Ces camps, où de nombreux travailleurs séjournent de manière permanente, comprennent des logements, des ateliers, des cuisines, des forges, des poudrières, des écuries. En 1924, les trois principaux camps, les camps Horne, Powell et Chadbourne, abritent chacun une vingtaine de travailleurs. Le village de Rouyn a aussi pris forme sur la rive sud du lac, regroupant une population hétéroclite de prospecteurs, de géologues, de travailleurs ainsi que quelques hôteliers et commerçants comme Joseph Dumulon.

Le village de Rouyn en 1926. Bibliothèque et Archives nationales du Québec, Rouyn-Noranda.

Avec la mise en construction en 1926 de la mine et de la fonderie Horne, des milliers d'hommes accourent vers la nouvelle région minière dans l'espoir de trouver du travail. Ils arrivent principalement des districts miniers en Ontario. Des Canadiens anglais et aussi beaucoup d'immigrants originaires d'Europe. D'autres proviennent du Témiscamingue pour travailler dans la construction et le commerce.

Noranda et la mine Horne, été 1927. Bibliothèque et Archives nationales du Québec, Rouyn-Noranda.

Noranda

Désirant éviter la croissance anarchique qui a caractérisée les centres miniers du Nord-Est ontarien, Noranda Mines Limited obtient l'autorisation du gouvernement du Québec d'aménager une ville sur la rive nord du lac Osisko dont le territoire correspond exactement aux limites de la propriété Horne. La loi constituant Noranda est adoptée le 11 mars 1926, dotant la ville d'un statut spécial lui permettant d'échapper à certaines dispositions de la Loi sur les cités et villes du Québec. La loi donne ainsi à Noranda Mines un pouvoir considérable sur le développement et la gestion de la ville. Le Conseil municipal, désigné par la loi, est composé des principaux dirigeants de Noranda Mines. James Murdoch, le président de la compagnie, dirige la mairie depuis Toronto et le gérant de la mine Horne administre la ville. James Carter, le courtier en terrain de Noranda Mines, est ensuite maire de 1931 à 1949.

Construction d’édifices commerciaux à Noranda, avenue Murdoch et 7e Rue, été 1927. Bibliothèque et Archives nationales du Québec, Rouyn-Noranda.

La compagnie prend directement en charge l'aménagement de Noranda selon un plan d'urbanisme qui divise la ville en zones industrielles, commerciales et résidentielles. Elle construit les rues, les réseaux d'aqueducs et d'égouts. Le plan d'urbanisme prévoit à l'origine l'aménagement de cinq avenues selon un axe ouest-est et de neuf rues selon un axe nord-sud. Puis, au milieu des années 1930, un nouveau secteur résidentiel est aménagé entre la 9e Rue et les voies ferrées à l'ouest. Noranda Mines construit un hôtel de luxe, des arénas pour le curling et le hockey ainsi qu'un grand nombre de logements de différentes catégories pour ses cadres et ses travailleurs. Des centaines de lots sont ensuite offerts aux enchères pour l'habitation et les commerces. La compagnie contrôle toutefois étroitement l'accès à la propriété foncière conservant de nombreux terrains pour les équipements collectifs, les écoles, les églises. Elle aménage aussi à l'est de la ville plusieurs grosses résidences formant un secteur résidentiel exclusif pour les cadres supérieurs de la mine Horne. Elle limite par ailleurs dès le départ la fonction commerciale à un seul secteur de la ville où elle impose des normes de construction précises.

L’intersection de l’avenue Murdoch et de la 7e Rue à Noranda, début des années 1950. Bibliothèque et Archives nationales du Québec, Rouyn-Noranda.

L'augmentation rapide de la population, 11 471 habitants en 1961, amène l'expansion du territoire urbain à l'ouest au-delà des voies ferrées. Un nouveau quartier, connu comme le « Townsite » (paroisse Sacré-Cœur), apparait d'abord dans l'après-guerre de la 13e Rue à la 19e Rue. Puis, au cours des années 1960, l'expansion de Noranda se poursuit vers le sud-ouest jusqu'à la 21 Rue. Le développement de ce secteur résidentiel appelé Noranda-Ouest fait en sorte que la propriété Chadbourne, qui appartient à Noranda Mines, se retrouve enclavée en milieu urbain. À la fin des années 1960, il n'y a pratiquement plus de terrains disponibles à Noranda. Le territoire délimité par la loi de 1926 créant la ville est complètement occupé.

Vue aérienne de la mine Horne et de la ville de Noranda, milieu des années 1950. Bibliothèque et Archives nationales du Québec, Rouyn-Noranda.

Rouyn

Au moment de la création de Noranda en 1926, Rouyn compte déjà plus de 600 habitants et regroupe près de 200 bâtiments. Rouyn est érigée en municipalité de village le 5 mai 1926 puis en municipalité de ville le 1er avril 1927. La ville se développe de manière désordonnée, sans plan d'urbanisme. Rouyn est une ville ouverte où les résidents, les commerces et entreprises peuvent s'établir sans trop de contrainte. La vie sociale est agitée avec ses nombreux hôtels, cafés et salles de jeux, d'autant plus agitée que la population est formée en grande partie de jeunes hommes seuls.

L’avenue Principale de Rouyn vers la fin des années 1920. Bibliothèque et Archives nationales du Québec, Rouyn-Noranda.

Un semblant d'ordre ne s'impose qu'après plusieurs années avec l'aménagement des infrastructures publiques et l'affermissement de l'autorité civile. Rouyn comprend à l'origine huit avenues aménagées selon un axe nord-sud et dix rues orientées d'ouest en est. Le centre-ville est constitué de nombreux commerces construits en une forte densité mais plus on s'éloigne de celui-ci, plus le domaine bâti est éparpillé et largement constitué d'immeubles à loyers et de maisons de chambres.

La réputation de Rouyn est si mauvaise à l'époque que le gouvernement vient surveiller la première élection du conseil municipal. L'élection à l'échevinage se fait en deux collèges électoraux distincts (francophones et anglophones), ce qui est révélateur de l'influence des anglophones à Rouyn qui dominent alors l'immobilier, le commerce et les affaires. Contrairement à Noranda, la vie politique est particulièrement active à Rouyn, huit personnes différentes se succèdent à la mairie entre 1926 et 1950.

À partir de 1940, le territoire de Rouyn s'agrandit considérablement suite à la croissance extrêmement rapide de sa population qui atteint 18 717 habitants en 1961. L'expansion de la ville se fait d'abord avec l'intégration du secteur Rouyn-Sud, un territoire non-organisé habité par des squatters. La ville s'étend par la suite à l'est le long des rues Perreault et Taschereau, à l'ouest jusqu'aux voies ferrées et au sud autour de l'avenue Larivière. Les nouveaux secteurs sont essentiellement à vocation résidentielle.

La rue Perreault à Rouyn à la fin des années 1940. Bibliothèque et Archives nationales du Québec, Rouyn-Noranda.

L'aménagement du territoire habité se fait alors selon des règles d'urbanisme plus rigoureuses qu'à ses débuts. La municipalité procède par ailleurs à d'importants travaux d'amélioration des infrastructures urbaines. Il faut quand même attendre 1963 avant que toutes les rues de Rouyn soient pavées. Cette expansion du périmètre urbain est marquée par la construction de plusieurs gros édifices publics et communautaires : la Maison des retraites fermées en 1948, le Forum de Rouyn et Centre Immaculée-Conception en 1949, le Palais de justice et le pavillon central du Collège classique en 1955, l'École normale Notre-Dame-de-Grâce en 1958.

Le secteur commercial connait lui aussi une forte croissance tant au centre-ville que le long de l'avenue Larivière. Il en va de même pour le secteur tertiaire qui se développe principalement dans les domaines de la construction et des services miniers. Rouyn est également au centre du transport aérien régional avec ses bases d'hydravions établies sur la rive sud du lac Osisko puis, à partir de 1950, avec l'aéroport aménagé par la municipalité près de la rivière Kinojévis.

Noranda et Rouyn, deux villes distinctes

La création en 1926 de deux villes distinctes de part et d'autre du lac Osisko, va marquer profondément le devenir de Rouyn-Noranda. Noranda et Rouyn sont deux villes socialement et culturellement très différentes et leur rythme de développement est très contrasté. Pendant de longues années, les deux villes sont séparées par une zone non bâtie que seul l'hôpital Youville tente de combler. Plusieurs édifices publics seront par la suite érigés dans ce secteur pour souder le territoire des deux villes.

Vue aérienne de Noranda et de Rouyn en 1949. Bibliothèque et Archives nationales du Québec, Rouyn-Noranda.

Noranda

Noranda est une « ville de compagnie » où Noranda Mines exerce pendant des décennies un pouvoir considérable sur le développement et la gestion de la ville et sur la vie de la population. C'est une ville avant tout résidentielle avec un secteur commercial réduit et une petite zone industrielle le long des voies ferrées. En plus de contribuer de manière importante aux revenus de la ville, la compagnie construit plusieurs équipements collectifs comme le Centre récréatif et une piscine extérieure. À l'orée des années 1960, la population de Noranda est majoritairement francophone mais la minorité anglophone est importante et possède ses propres institutions scolaires, religieuses, culturelles et communautaires. Les immigrants européens qui travaillent à la mine Horne sont aussi fort nombreux à Noranda.

De 1950 à 1967, le notaire Frédéric Hébert, qui a préparé la loi créant Noranda et est secrétaire de la ville depuis 1927, est élu par acclamation à la mairie et administre la ville en concertation avec Noranda Mines. La domination de la compagnie sur les destinées de Noranda va commencer à décliner à partir de 1967 avec la défaite de Frédéric Hébert et l'élection d'Achille Juneau à la mairie. Achille Juneau, qui occupe le poste jusqu'en 1978, donne une nouveau dynamisme à l'administration de la ville. La modification en 1975 par le gouvernement québécois de la loi sur la taxation des industries entraine une baisse significative de la contribution de Noranda Mines aux revenus de la ville avec comme conséquence une hausse progressive de la taxe foncière. La fusion avec Rouyn s'inscrit dès lors dans le débat politique à Noranda mais il faudra deux référendums pour que la fusion se réalise en 1986.

L’avenue Principale à Rouyn à la fin des années 1940. Bibliothèque et Archives nationales du Québec, Rouyn-Noranda.

Rouyn

Rouyn s'organise au contraire sans plan d'ensemble et devient rapidement une grande ville commerciale beaucoup plus populeuse que Noranda. La population est très majoritairement francophone mais compte aussi de nombreux immigrants et des anglophones. Le secteur commercial et des services est largement concentré à Rouyn. Rouyn reste longtemps marquée par l'effervescence ayant présidée à sa naissance. En 1960, sur les 19 hôtels à Rouyn-Noranda, 16 se trouvent à Rouyn. Sur 6 salles de cinéma, 5 sont à Rouyn. Les salles communautaires des principaux groupes d'immigrants sont aussi situées à Rouyn.

Rouyn ne reçoit aucun soutien de Noranda Mines pour assurer son développement et construire ses équipements collectifs. Le budget de la municipalité est à peine plus élevé que celui de Noranda même si sa population est beaucoup plus importante et son territoire plus étendu. Rouyn dépend de Noranda pour son approvisionnement en eau. Le milieu des affaires doit ainsi se concerter pour financer la construction du Forum de Rouyn en 1949. C'est aussi la Ville de Rouyn qui aménage seule l'aéroport la même année.

Contrairement à Noranda où c'est la municipalité qui érige les nouveaux quartiers résidentiels, des entrepreneurs et des promoteurs immobiliers interviennent pour établir plusieurs nouveaux quartiers à Rouyn (Bordeleau, Place Tourigny, Duroquet, des Professeurs, Dallaire, Gaudreault-Rivard) amenant une forte expansion du territoire de la ville au sud et à l'est.

L’avenue du Lac à Rouyn-Noranda. Tourisme Abitibi-Témiscamingue.
Rouyn-Noranda, capitale de l'Abitibi-Témiscamingue

Rouyn et Noranda, malgré leurs différences, forment une seule agglomération urbaine, une agglomération à la croissance démographique extrêmement rapide à la mesure du développement minier. Une agglomération où la hiérarchisation sociale est très marquée entre une majorité de travailleurs et quelques grandes entreprises et une classe moyenne très limitée composée de commerçants et de professionnels. Une agglomération sous influence économique et culturelle de l'Ontario où l'anglais est longtemps la langue de travail et des affaires.

En 1961, avec 30 193 habitants, Rouyn et Noranda constituent de loin le plus gros centre urbain de la région dont le rayonnement s'étend à l'Abitibi rural et au Témiscamingue. La croissance de l'agglomération s'essouffle à partir des années 1970 avec le déclin de l'industrie minière qui entraine une baisse de la population qui chute à 25 991 habitants en 1981. La désignation en 1966 de Rouyn-Noranda comme capitale de la région administrative 08-Nord-Ouest par le gouvernement du Québec va arriver à point-nommé pour amortir les effets du déclin du secteur minier. N'eut été de son statut de capitale administrative, Rouyn-Noranda aurait sans contredit connu une longue période de difficultés économiques et sociales.

L’avenue Murdoch dans le quartier culturel du Vieux-Noranda. Ville de Rouyn-Noranda

Son rôle de capitale administrative régionale va donner un nouvel élan de croissance à Rouyn-Noranda. Avec les années, le secteur public s'impose comme le principal pourvoyeur d'emplois à Rouyn-Noranda et contribue à sa croissance démographique. Avec 30 625 habitants en 1996, la population de Rouyn-Noranda a retrouvé son niveau de 1961. La création d'un très grand nombre d'emplois bien rémunérés favorise la croissance de la classe moyenne et l'émergence d'une société plus égalitaire. Cette augmentation de la population a aussi un impact direct sur l'expansion du territoire urbain, principalement à Rouyn. Toutefois, le dédoublement des services municipaux qui perdure jusqu'à la fusion des deux villes en 1986, va entraver considérablement le développement de Rouyn-Noranda.

Principales références

Corporation de la maison Dumulon, La naissance de Rouyn et de Noranda, une histoire de mines, Histoires de chez nous - Musées numériques Canada, 2017.

Jonathan Barrette, Les villes de compagnie, génératrices de localités périphériques : le cas de Rouyn-Noranda, 2007.

Benoit-Beaudry Gourd, Le klondyke de Rouyn et les Dumulon. Histoire du développement minier de la région de Rouyn et d'une famille de pionniers, 1982.

Nicole Berthiaume, Rouyn-Noranda. Le développement d'une agglomération minière au cœur de l'Abitibi-Témiscamingue, 1981.

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