novembre 2021
Début de la grève des « Fros » à la mine Horne - 12 juin 1934
par Benoit-Beaudry Gourd
La grève des « Fros », un évènement marquant dans l'histoire de Rouyn-Noranda
La grève des « Fros » à la mine Horne en juin 1934 est la première grève dans les mines de l'Abitibi. Les immigrants européens, appelés à l'époque les « Fros » par les francophones de la région de Rouyn, forment alors plus de la moitié de la main-d'œuvre de la mine et de sa fonderie. Les compagnies minières considèrent ces immigrants comme très productifs et surtout très dociles compte tenu qu'une forte proportion d'entre eux peuvent être expulsés du pays n'étant pas citoyens canadiens.
La grève est brisée en une dizaine de jours par l'intervention de la police et la proclamation de la loi d'émeute. Cette grève constitue le prélude aux longues luttes des travailleurs miniers de la région pour faire reconnaitre leur droit d'adhérer à un syndicat et de négocier collectivement leurs salaires et leurs conditions de travail. La totale hostilité des compagnies minières envers les syndicats ne fait que rendre plus âpres ces luttes qui seront marquées par de longues grèves à la mine Horne durant l'hiver 1946-47 et l'hiver 1953-54.
La grève des « Fros », le prélude des luttes ouvrières dans les mines de l'Abitibi
La crise économique qui s'amorce en 1929 va frapper durement la région de Rouyn dont le développement est encore embryonnaire. La Horne est alors la seule mine en activité et les travailleurs doivent accepter les conditions de travail imposées par Noranda Mines. Le climat social est très tendu au début des années 1930 avec la présence à Rouyn de plusieurs centaines de chômeurs, sans moyens de subsistance et souvent sans logement. Le Parti communiste canadien est bien implanté à l'époque parmi les immigrants. Ses militants défilent au centre-ville le 1 er mai pour la Fête des travailleurs en chantant l'Internationale.
C'est ainsi que le Mine Workers Union of Canada, qui fait partie de la Workers Unity League, une centrale ouvrière affiliée Parti communiste canadien, s'implante parmi les travailleurs de la mine Horne au début de 1933, principalement parmi les immigrants qui forment 54% des 1 400 travailleurs de la mine et de sa fonderie. Les conditions de travail sont alors extrêmement dures car la mine est encore en développement et les équipements de ventilation ne sont pas complètement installés. Les mineurs sont payés pour 8 heures de travail mais restent souvent de 10 à 12 heures sous terre.
Le 11 juin 1934, le syndicat présente les revendications des travailleurs à la direction de la mine : reconnaissance du droit d'adhérer à un syndicat, observance de la journée de 8 heures sous terre, amélioration de la ventilation, réembauche des militants syndicaux congédiés, augmentation de 10% des salaires et paiement du surtemps à taux et demi. Noranda Mines refuse de reconnaitre et de négocier avec un syndicat, et encore moins avec un syndicat « rouge ». La grève est déclenchée le 12 juin paralysant complètement le travail sous terre et ralentissant le fonctionnement de la fonderie. La grève est brisée en 10 jours par l'intervention de la Police provinciale, la proclamation de la loi d'émeute, l'embauche de briseurs de grève parmi les chômeurs de la ville, l'arrestation des organisateurs du syndicat et le congédiement par la mine de centaines d'immigrants. Noranda Mines réussit à désorganiser complètement le Mine Workers Union dans la région de Rouyn. L'échec de la grève laisse les travailleurs miniers de l'Abitibi dans un état de grande faiblesse face aux compagnies minières pendant plusieurs années, empêchant toute nouvelle tentative sérieuse de syndicalisation.
L'International Union of Mine, Mill & Smelter Workers
Durant la Deuxième Guerre mondiale, le gouvernement fédéral, empiétant sur la juridiction des provinces, va obliger les entreprises à négocier les conditions de travail de leurs employés avec les syndicats accrédités par le National Wartime Labour Relations Board. Par contre, les salaires sont gelés au niveau de 1939 et le recours à la grève devient illégal. C'est dans ce contexte que l'International Union of Mine, Mill & Smelter Workers (Mine-Mill), un syndicat déjà implanté dans les mines du Nord ontarien, organise au printemps 1944 des sections locales à Rouyn, Val d'Or et Malartic. Les travailleurs accueillent avec enthousiasme ce syndicat qui se distingue par son militantisme. Le Mill-Mine obtient ainsi 91% d'adhésion lors du vote d'accréditation à la mine Horne. Le syndicat est aussi accrédité dans plusieurs autres mines de la région. Noranda Mines et le Mine-Mill signent le 8 février 1945 un premier contrat de travail à la mine Horne. La compagnie reconnait le syndicat comme l'unique agent négociateur des employés salariés de la mine et de la fonderie. Par contre, l'adhésion au syndicat reste volontaire et la compagnie refuse de percevoir à la source les cotisations syndicales. Le Mine-Mill négocie ensuite des ententes semblables avec les autres mines.
Avec la fin des mesures exceptionnelles mises en place durant la guerre par le gouvernement canadien, le Mine-Mill élabore un cahier de revendications devant servir de base de négociation pour le renouvèlement des conventions collectives dans les mines du Nord Ontario et de l'Abitibi. Le Mine-Mill réclame l'adhésion obligatoire au syndicat, la retenue à la source des cotisations syndicales, un salaire horaire moyen de 1,10$, la semaine de 40 heures, le paiement du travail supplémentaire à temps et demi et à temps double pour les congés ainsi que deux semaines de vacances.
Au début des négociations à la mine Horne, Noranda Mines consent uniquement à reconduire le contrat signé en 1945 puis fait en novembre 1946 une offre finale prévoyant une hausse de $0.10/h et rejetant toutes les autres demandes syndicales. Devant l'impasse dans les négociations, le syndicat déclenche la grève le 22 novembre. Des centaines de travailleurs établissent alors un piquet de grève arrêtant le fonctionnement de la mine et de la fonderie. Le syndicat, après une entente avec la compagnie, réduit par la suite le nombre de piqueteurs à 30 par quart de travail et permet le passage quotidien de cadres et techniciens pour assurer l'entretien de l'équipement et des installations. Plus que les salaires, l'adhésion syndicale et la retenue des cotisations à la source sont au coeur du conflit entre Noranda Mines et le Mine-Mill, épicentre de la lutte entre les compagnies minières et les travailleurs de l'Abitibi et du Nord ontarien.
Après des mois de grève, le Mine-Mill décide à la fin de janvier 1947 de paralyser totalement la mine et la fonderie. Les grévistes reçoivent alors l'aide de mineurs venus de Malartic, Val d'Or, Timmins et Kirkland Lake. Le 8 février 1947, après 79 jours de grève, une nouvelle entente de travail est signée prévoyant principalement une augmentation de 0,13$ du salaire horaire. La mine ayant été paralysée pendant un hiver particulièrement rigoureux, la production ne reprend que lentement, si bien qu'à la fin février, Noranda Mines n'a rappelé que 600 travailleurs et la fonderie n'a pas encore repris ses opérations. Même s'il a renoncé à ses principales demandes, le syndicat réussit à conclure une deuxième série de conventions collectives qui améliorent sensiblement les conditions de travail dans les mines de la région.
Le Mine-Mill est par la suite confronté à une surprenante coalition regroupant les compagnies minières, le gouvernement Duplessis qui vient de récupérer sa juridiction sur les relations de travail assumée durant la guerre par le gouvernement fédéral et une large partie du mouvement syndical nord-américain qui veut expulser de ses rangs les syndicats radicaux dirigés par des sympathisants communistes. Il fait aussi face au maraudage de l'United Steelworkers of America. Les travailleurs miniers de l'Abitibi sont ainsi entrainés malgré eux dans les luttes de faction qui secouent alors le mouvement syndical. Expulsé du Congress of Industrial Organizations aux Etats-Unis et du Canadian Congress of Labour en octobre 1949, le Mine-Mill voit sa juridiction sur le secteur minier confié aux Steelworkers en janvier 1950. Déjà pratiquement éliminé du Nord ontarien en dehors de Sudbury, le syndicat se retire alors de l'Abitibi.
L'United Steelworkers of America
L'accréditation en 1951 de l'United Steelworkers of America à la mine Horne et dans les principales mines de la région marque la fin du syndicalisme radical et militant incarné par le Mine Workers Union et le Mine-Mill. Le Steelworkers entreprend la négociation de ses premières conventions collectives au cours de 1952, en commençant à la Horne. Ses principales revendications sont la retenue à la source de la cotisation syndicale, une augmentation du salaire horaire de 0,22$ et la réduction des heures régulières de travail à 44 heures par semaine. Incapable de s'entendre avec Noranda Mines, le syndicat déclenche la grève le 22 août 1953.
De nouveau, la retenue à la source des cotisations syndicales est cœur de l'affrontement entre les travailleurs et Noranda Mines et les autres compagnies minières. Si bien qu'en octobre, les travailleurs des mines d'or de la région de Timmins entrent aussi en grève. Au total, on dénombre plus de 4 100 grévistes à Rouyn-Noranda et Timmins. Après quatre mois de grève sans aucun déblocage dans les négociations, Noranda Mines fait une offre finale le 5 janvier 1954 prévoyant une augmentation des salaires de 7,5 cents/heure et rien d'autre. La compagnie menace de plus d'expulser de ses logements de Noranda des centaines de grévistes qui sont en retard dans le paiement de leur loyer. Après avoir dépensé 2M$ dans les grèves à la Horne et à Timmins, la direction américaine du syndicat décide de mettre fin aux prestations de grève et recommande aux travailleurs l'acceptation de l'offre. La grève se termine le 17 février 1954 après 147 jours. Le Steelworkers apprend lors de cette longue grève que les succès relatifs du Mine-Mill ne tiennent peut-être pas à son idéologie radicale mais découlent plus fondamentalement du rejet par Noranda Mines de l'idée même du syndicalisme et de la négociation collective.
Les travailleurs de la mine Horne vont finalement obtenir une amélioration significative de leurs conditions de travail en avril 1957 lors du renouvèlement de leur convention collective : une augmentation de 9% du salaire horaire sur deux ans, la réduction de la durée de travail à 40 heures par semaine et des vacances payées, soit une semaine après un an, 2 semaines après 5 ans et 3 semaines après 15 ans. Ce nouveau contrat de travail va au delà des recommandations du conseil d'arbitrage. Alors confrontée à une violente grève à la mine Gaspé Copper à Murdochville, Noranda Mines désire éviter que ses deux grosses mines de cuivre et leurs fonderies soient en grève en même temps, paralysant ainsi ses usines de transformation Canadian Copper Refiners et Noranda Copper and Brass situées à Montréal. La compagnie ne cède toutefois pas sur la principale demande du syndicat, à savoir la retenue à la source de la cotisation syndicale.
En fait, c'est l'intervention du gouvernement du Québec qui va forcer les employeurs à percevoir à la source les cotisations syndicales. Le gouvernement légalise d'abord en 1964 la retenue volontaire et révocable des cotisations syndicales. Cette mesure est alors implantée à la mine Horne. Puis en 1977, la retenue de la cotisation syndicale à la source pour l'ensemble des salariés membres d'une unité d'accréditation devient une obligation légale au Québec. Le Steelworkers, mieux connu au Québec comme le syndicat des Métallurgistes-Unis puis le syndicat des Métallos, va représenter les travailleurs miniers de l'Abitibi jusqu'à l'arrivée de la Confédération des syndicats nationaux (CSN) à partir des années 1970. La CSN va ainsi lui ravir l'accréditation syndicale à la Fonderie Horne en 1979.
Principales références
Benoit-Beaudry Gourd, Mines et syndicats en Abitibi-Témiscamingue 1910-1950, 1978.
Jean Gérin-Lajoie, Les Métallos 1936-1981, 1982.
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