novembre 2021
Création du Collège d’enseignement général et professionnel de Rouyn-Noranda - 14 août 1967
par Yvon Lafond
Le 4 août 1967, le Lieutenant-Gouverneur en Conseil du Québec – autrement dit, le Conseil des ministres – adopte une résolution à l'effet de créer un « Collège d'enseignement général et professionnel, dont le siège social sera situé à Rouyn, dans le district de Rouyn-Noranda ». Dix jours plus tard, le lieutenant-gouverneur Hugues Lapointe appose sa griffe sur les « Lettres Patentes » qui créent officiellement la nouvelle institution.
Le nouveau Cégep connaitra une croissance rapide. Le nombre de jeunes qui le fréquentent va doubler rapidement, ainsi que le nombre de programmes offerts. En cinq ans, le patrimoine bâti sera multiplié par trois et la croissance du personnel – dont celle du personnel enseignant -- suivra le même rythme au fil des années.
La présence du Cégep produira donc des impacts majeurs à Rouyn-Noranda et dans toute la région. L'effet le plus important sera de rendre beaucoup plus accessibles les programmes préparatoires aux études universitaires, tout comme les possibilités d'acquérir une formation technique, préparatoire au marché du travail.
Aujourd'hui, nous retrouvons des diplômés du Cégep dans toutes les sphères d'activités : services de santé et services sociaux, exploitation minière et foresterie, commerces et administration, activités politiques, sociales, sportives et artistiques. À celle des diplômés s'ajoute la contribution importante du personnel du Cégep qui rehausse la vitalité scientifique et culturelle de Rouyn-Noranda et de l'Abitibi-Témiscamingue.
Le Cégep de Rouyn-Noranda reçoit son acte de naissance
Le 14 août 1967, le lieutenant-gouverneur du Québec signe les « Lettres Patentes » qui créent la Corporation du Cégep de Rouyn-Noranda. Cet aboutissement couronne les efforts de toutes les institutions que le Cégep est appelé à remplacer : le Collège classique de Rouyn, L'Externat Classique pour filles, l'École normale, l'École des Infirmières, l'École des Arts et Métiers et l'École des Mines, le Séminaire St-Michel. La Commission scolaire régionale du Cuivre complète l'appui du milieu éducatif en faveur du projet. Le milieu politique, le monde des affaires et les élites professionnelles contribuent aussi à ce succès. Le 14 août 1967, la population célèbre la victoire du Comité pour un Cégep à Rouyn-Noranda, présidé par le juge Léopold Larouche.
Cela ne veut pas dire que l'accouchement ait été sans douleurs. Amos et Val-d'Or inscrivent aussi leurs candidatures en vue de recevoir le premier, et éventuellement le seul Cégep sur notre territoire. Chef-lieu de l'Abitibi, Amos est bien dotée d'institutions éducatives; sa démographie plus faible et sa situation géographique, à la pointe nord-est du triangle régional la désavantage. Dans le cas de Val-d'Or, c'est partiellement le contraire. Sa population s'approche de celle de Rouyn-Noranda, mais aucune structure n'est en mesure d'accueillir à court terme la nouvelle institution. Le gouvernement de l'époque tranche donc en faveur du lieu qui combine une population plus nombreuse, une position géographique centrale et un terreau institutionnel capable de faire germer le nouvel ordre d'enseignement. C'est ainsi que, moins d'un mois après sa naissance officielle, plus de 700 jeunes de toute la région franchissent pour la première fois les portes du Cégep de Rouyn-Noranda.
Mais pourquoi les Cégeps?
Mais pourquoi tous ces chambardements ? Pour le savoir, il faut remonter à la fin des années de « La révolution tranquille ». À cette époque, notre système d'éducation est la cible de nombreuses critiques. L'une d'elles touche l'éparpillement des responsabilités éducatives et le manque de coordination qui en découle. Le département de l'Instruction Publique, le ministère de l'Agriculture, celui des Terres et Forêts, le ministère de la Jeunesse, des congrégations religieuses, des instituts privés, un grand nombre de commissions scolaires : voilà autant d'acteurs qui gèrent différents créneaux, sans égard à leur complémentarité. Les garçons et les filles cherchent de plus en plus à s'instruire, mais le système répond mal à la demande. Le cours secondaire général, le seul réseau qui soit accessible partout et à tous, n'offre un passage ni vers les études universitaires, ni vers un travail spécialisé.
Le cours classique continue alors d'être la voie royale vers l'université. Dans notre région, il est disponible à Amos et Rouyn-Noranda. À la fin des années 1950, il devient de plus en plus clair que cette formation est trop longue, trop élitiste et trop orientée vers les professions traditionnelles. L'ouverture à l'administration, aux affaires et aux sciences y est peu encouragée, l'apprentissage des technologies n'est pas de son ressort.
Ceux qui n'ont pas la possibilité ou qui n'ont pas le goût de suivre cette voie et qui veulent éviter le cul-de-sac du secondaire général, se tourneront vers l'apprentissage d'un métier. Les écoles d'Arts et Métiers, gérées par le ministère de la Jeunesse, et une panoplie d'écoles privées, offrent ce type de formation. Mais elle est souvent de courte durée et peu disponible dans les régions, alors que le marché du travail recherche partout des ressources de plus en plus spécialisées, plus nombreuses, dans des secteurs qui se diversifient rapidement. Les jeunes filles qui veulent s'instruire sont majoritairement orientées vers le travail de bureau, la coiffure, l'enseignement, la profession d'infirmière ou la préparation à la vie de femme au foyer. En dehors de cela, les portes s'ouvrent encore plus difficilement pour les filles que pour les jeunes hommes.
L'ère du renouveau
Fraichement élu en 1960, le gouvernement dirigé par Jean Lesage confie à la Commission royale d'enquête sur l'enseignement dans la province de Québec présidée par Mgr Alphonse-Marie Parent le mandat de lui proposer des façons de démocratiser et de moderniser notre système éducatif. Ses recommandations ne manquent pas d'audace mais elles seront largement suivies, malgré l'opposition d'une frange importante du clergé. À Rouyn-Noranda, les organisations religieuses ont la clairvoyance de préparer le changement plutôt que de s'agripper au passé.
En 1964, le gouvernement met fin à l'éparpillement des responsabilités en créant le ministère de l'Éducation; Paul Gérin-Lajoie en est le premier titulaire. Il amorce rapidement une série de réformes dont les effets sont toujours présents. Il endosse notamment l'idée de créer des Instituts pour démocratiser la préparation aux études universitaires et de revamper la formation technique. Les réformes amorcées par Gérin-Lajoie survivront au changement de gouvernement. Élue en 1966 l'Union Nationale, dirigée par Daniel Johnson, endosse l'idée de créer ce nouveau type d'institution; on la désignera finalement sous le vocable de « Collège d'enseignement général et professionnel ». Le ministre de l'Éducation Jean-Jacques Bertrand annonce que douze de ces collèges verront le jour à l'automne 1967. Celui de Rouyn-Noranda fait partie de ce groupe de pionniers. Le vocable CEGEP est lancé, sa réalité aussi. Ils feront désormais partie du vocabulaire québécois et de notre environnement éducatif de génération en génération, depuis plus de 50 ans!
Bien que profitable à toute la région, l'arrivée du Cégep profitera encore davantage à l'agglomération de Rouyn-Noranda. Les effets observés sont immédiats; cinquante ans plus tard, on se laissera facilement convaincre qu'ils sont durables.
L'accès aux études post-secondaires
Premier impact majeur : l'accessibilité aux études post-secondaires. Dès 1967, le Cégep de Rouyn-Noranda offre chacun des programmes de deux ans qui deviennent la voie d'accès à l'Université. Du côté de la formation technique, les contenus sont revus à la hausse pour les Techniques minières et les Soins infirmiers, auxquels s'ajoutent immédiatement six nouveaux programmes préparatoires au marché du travail.
L'intérêt envers les nouveaux programmes s'accroit rapidement. Un peu plus de 700 cégépiennes et cégépiens sont sur la ligne de départ à Rouyn-Noranda en 1967; ils seront plus d'un millier en 1970 et dix ans plus tard, ce nombre dépassera le cap des 2 000 personnes à temps complet.
L'accroissement du patrimoine éducatif : le développement physique du Cégep de Rouyn-Noranda
C'est principalement dans les locaux du défunt Collège classique de Rouyn que le Cégep amorce ses activités en septembre 1967. Les locaux de l'époque comprennent trois pavillons : le « Rhéaume », le pavillon dit « Le Centre », et le « Massé ». L'état désuet de ce dernier lui mérite le surnom de « Le Poulailler », attribué par on ne sait ni par qui, ni depuis quand.
Mgr Rhéaume, ancien évêque du diocèse de Timmins et fondateur du Collège classique, est plus chanceux : le pavillon qui porte son nom, inauguré en 1955, continue d'être au cœur du Cégep à Rouyn-Noranda. Il abrite aujourd'hui les bureaux administratifs, la Salle aux Usages Multiples (la S.U.M.), la librairie, la cafétéria, etc. De son côté « Le Centre » sera rebaptisé « Pavillon Jacques-Roux », en hommage au premier directeur général du Cégep. À ceci s'ajoute la résidence pour étudiants. Tout ce patrimoine bâti, d'une superficie d'environ 20 000 mètres carrés, sera vendu au Cégep naissant pour la somme de 1,6M$.
Trois ans après son ouverture, le Cégep devient un vaste chantier. En cinq ans, il multipliera par six la valeur de ses immeubles et il aura plus que doublé la superficie de ses locaux. La résidence pour étudiantes sera la première à bénéficier de cette vague. Suivront immédiatement le pavillon d'éducation physique (gymnase et piscine), la bibliothèque, le pavillon des Sciences et l'agrandissement de la résidence des garçons. La modernisation du pavillon « Le Centre » et de la cafétéria ainsi que l'aménagement de la Salle aux Usages Multiples complètent cette ère des grands travaux. Le pavillon « Massé » est démantelé en 1973-1974. A la fin de l'année suivante le campus de Rouyn-Noranda a déjà, grosso modo, la forme qu'on lui connait aujourd'hui.
Quelques constructions viendront évidemment s'ajouter au fil des ans : la reconstruction du département des Arts plastiques, victime des flammes à l'automne 1978; l'agrandissement du Pavillon des Sciences, suite à l'ajout de programmes techniques et, tout récemment, la construction des nouveaux locaux du Centre technologique des résidus industriels (CTRI). Dernière des grandes constructions sur le campus de Rouyn-Noranda, le CTRI ajoute un maillon important à la recherche appliquée réalisée en Abitibi-Témiscamingue.
Pour l'essentiel cependant, le patrimoine bâti du Cégep à Rouyn-Noranda approche ou dépasse l'âge vénérable de la cinquantaine. Les parties héritées de l'ancien Collège classique ont été inaugurées entre 1955 et 1960, alors que les constructions de l'ère Cégep s'échelonnent de 1970 à 1975. Malgré cela, ce patrimoine continue d'afficher son caractère moderne et pertinent. Le secret de sa durabilité : une pratique rigoureuse d'entretien et de rénovation. Il sera donc apte à desservir encore de nombreuses générations de cégépiennes et de cégépiens, en provenance de Rouyn-Noranda et de toute la région.
L'accroissement du patrimoine éducatif : des profs d'ici, d'autres venus de loin
Le Cégep doit, au moment de sa naissance, relever un défi majeur : bâtir une équipe professorale complète et compétente. La tâche est complexe. Les programmes que le Cégep offre en 1967 sont complètement nouveaux ou en grande transformation. On doit donc faire appel à des compétences plus nombreuses et plus spécialisées.
Pour combler cette demande, le Cégep aura recours à des sources diversifiées de recrutement. Sont d'abord mises à contribution les institutions qui se sont regroupées pour réclamer la création d'un Cégep à Rouyn-Noranda. L'École des Arts et Métiers, l'École des Mines et celle des Infirmières fournissent les premiers noyaux du corps professoral de certains programmes techniques. Quelques religieuses arriveront de l'École normale et de l'Externat classique pour filles. Le Collège classique transfère des ressources dans bon nombre de disciplines de la formation générale : français, philosophie, mathématiques, histoire, sciences.
Le Cégep des premières années trouve un second bassin de recrutement parmi les diplômés récents du Collège classique. Le démarrage du Cégep bénéficie aussi de la contribution de profs venus de l'étranger. Les premiers arrivent de France, de Belgique et même d'Égypte ; l'Italie et l'Espagne s'ajouteront comme pays d'origine. Ce mouvement s'estompe au milieu des années 1970, alors que les premiers diplômés du Cégep commencent à joindre les équipes de leurs anciens maîtres. D'autres jeunes d'un premier emploi ou à la recherche d'horizons nouveaux.
Le Cégep crée ainsi un réservoir de savoirs et de compétences important et diversifié, inconnu auparavant. Ce réservoir va s'agrandir rapidement et il se renouvelle constamment. Composé au départ d'une quarantaine de personnes, le corps professoral du Cégep dépasse maintenant les 250 enseignants hautement diplômés, appuyés par une quinzaine de professionnels et autant de personnes affectées à l'encadrement pédagogique ou administratif. Le personnel de soutien technique, physique et clérical complète le personnel du Cégep
Une contribution à la vitalité économique, scientifique, sociale et culturelle de Rouyn-Noranda
La contribution du Cégep à la vitalité économique de Rouyn-Noranda est loin d'être négligeable. Au cours de la période 1970-1975, les 10M$ affectés à la construction du nouveau Cégep ont amorti les effets du ralentissement cyclique de l'activité minière. Son apport est cependant beaucoup plus que conjoncturel. Aujourd'hui, le Cégep de l'Abitibi-Témiscamingue injecte directement plus de 35M$ par année dans l'économie rouyn-norandienne. Autre élément à considérer : la population étudiante qui fréquente le campus du Cégep à Rouyn-Noranda se maintient constamment au-delà de 1 500, plus du double de ce qu'elle était au moment de sa création. En plus d'être des consommateurs de biens et de services, ces jeunes forment un réservoir appréciable de main-d'œuvre d'appoint dynamique et compétente.
La contribution la plus importante du Cégep est toutefois liée à sa vocation essentielle : participer à la croissance du savoir et des compétences de notre population. À cet égard plus qu'à tout autre, l'impact du Cégep est significatif et durable. Après leurs études universitaires, bon nombre de diplômés de la formation générale du Cégep assurent la qualité de nos services d'enseignement et de santé. On les retrouve aussi dans les secteurs de l'administration, de l'ingénierie, de la culture et des loisirs. Tous nos secteurs d'activités reçoivent aussi l'appui indispensable de techniciennes et de techniciens formés par le Cégep, dans un éventail appréciable de spécialités : techniques de la gestion et de l'administration, soins infirmiers, génie civil, technologies minérale, électronique et mécanique industrielle, foresterie, assistance sociale, etc. À celle des diplômés s'ajoute évidemment la présence ici du personnel du Cégep. Depuis plus de cinquante ans, toutes ces personnes contribuent d'une manière bien visible à la vitalité économique, scientifique, sociale et culturelle de Rouyn-Noranda.
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