février 2022

Création de l’Université du Québec en Abitibi-Témiscamingue - 19 octobre 1983

par Jean Turgeon

L'Université du Québec en Abitibi-Témiscamingue, une institution à l'image de sa ville

Bien assise sur la ligne de partage des eaux, aux frontières de l'Abitibi et du Témiscamingue, Rouyn-Noranda est à l'image de celles et de ceux qui l'ont construite au fil des ans : une ville accueillante, cosmopolite, une société tolérante et inclusive, ouverte sur sa région, son pays et sur le monde. Dans les années 1930, les villes de Rouyn et de Noranda se sont développées autour de la mine et de la fonderie Horne. C'est grâce à l'apport d'une nombreuse population venue du monde entier que s'est façonnée la vie économique, culturelle et sociale.

Depuis 1983, Rouyn-Noranda accueille le siège social de l'Université du Québec en Abitibi-Témiscamingue (UQAT), une institution créée à l'image de sa ville, ouverte sur le monde, accueillant des professeurs, des chercheurs et des étudiants de plus de 50 pays. Cette unité dans le continuum historique a créé des liens indéfectibles entre l'UQAT et sa ville d'adoption.

Le campus de Rouyn-Noranda et siège social de l’Université du Québec en Abitibi-Témiscamingue.
L'UQAT, l'histoire du développement des services d'enseignement universitaire

En ce mercredi 19 octobre 1983, le Conseil des ministres du gouvernement du Québec est réuni pour sa séance hebdomadaire. Parmi les décisions du jour, le décret 2160-83 est adopté, instituant l'Université du Québec en Abitibi-Témiscamingue (UQAT). François Gendron, député d'Abitibi-Ouest, ministre délégué à l'Aménagement et au Développement régional, quitte ses collègues quelques instants et téléphone à Rémy Trudel, lui annonçant la création de l'UQAT et sa nomination à titre de recteur. C'est l'euphorie sur le campus et la nouvelle se répand rapidement dans Rouyn-Noranda, qui accueille le siège social de la nouvelle institution. L'Abitibi-Témiscamingue dispose enfin d'une clé essentielle à son développement, l'accès à l'enseignement et à la recherche universitaire.

L'UQAT est la dernière constituante du réseau de l'Université du Québec, mis sur pied dans la foulée de la Révolution tranquille qui, tout au long des années 1960, a façonné le Québec moderne. Notre université est née de la volonté des femmes et des hommes de la région qui ont mené une lutte de plus de dix ans pour sa création.

Le collège classique de Rouyn en 1950. Bibliothèque et Archives nationales du Québec, Rouyn-Noranda.

Dans le Québec des années 1950, l'enseignement supérieur est réservé aux enfants de parents fortunés ou à des jeunes de milieux modestes aidés par des mécènes ou des communautés religieuses. En Abitibi-Témiscamingue comme dans la majorité des régions, on offre le cours classique, avec son Baccalauréat ès Arts qui donne accès à l'université. Le Collège de Rouyn (affilié successivement à l'Université d'Ottawa et à l'Université de Montréal), les Séminaire de Rouyn et d'Amos (affiliés à l'Université Laval) offrent ce programme. Ces établissements sont la propriété du clergé. Les communautés religieuses gèrent tout l'enseignement postsecondaire. Les filles ont accès à des pensionnats partout en région, dirigés par des religieuses de plusieurs communautés. On y offre l'enseignement secondaire, les premières années du cours classique, l'École normale formant les enseignantes, le cours commercial et les cours de l'Institut familial. Les religieuses forment également des infirmières à Rouyn et à Val-d'Or. Les garçons ont accès à des écoles normales à Amos et à Rouyn, qui offrent les brevets d'enseignement obligatoires pour enseigner au primaire et au secondaire. S'ajoutent des écoles d'agriculture et des écoles d'Arts et de Métiers.

L'Abitibi-Témiscamingue, comme la plupart des régions du Québec, n'a pas accès à l'enseignement universitaire. À l'aube des années 1960, le taux de scolarisation de la région est l'un des plus faibles au Québec. La moitié des habitants âgés de 15 à 65 ans n'a pas dépassé le primaire et à peine 5 % sont diplômés d'un établissement postsecondaire.

Mgr Alphonse-Marie Parent et les membres de la Commission royale d'enquête sur l'enseignement dans la province de Québec.

Au début des années 1960, le rapport Parent conduira à la création du ministère de l'Éducation, à la réforme de l'enseignement secondaire, à la création des collèges d'enseignement général et professionnel (CÉGEP), dont celui de notre région en 1967. Ces grands chantiers éducatifs ont pour conséquence une augmentation spectaculaire du nombre des étudiants dans les programmes de niveaux secondaire et collégial, entraînant des besoins criants en formation des maîtres.

En 1968, l'Assemblée nationale adopte la loi créant l'Université du Québec, mettant sur pied un réseau d'établissements à Montréal, Trois-Rivières, Rimouski, et Chicoutimi. Un siège social situé à Québec exerce les responsabilités de gestion et de coordination des établissements du réseau. Ces nouvelles universités reçoivent les missions traditionnelles d'enseignement et de recherche, avec en plus le mandat d'assurer la formation des maîtres. Les écoles normales sont fermées et leur personnel et leurs biens sont transférés aux nouvelles universités. En Outaouais et en Abitibi-Témiscamingue, on ne reçoit pas ce beau cadeau. Diverses formes de services universitaires seront toutefois offertes à partir de Hull et de Rouyn. L'histoire de l'UQAT débute ici.

Les années 1970 sont marquées par une longue marche vers l'autonomie de nos services d'enseignement universitaire. L'Université du Québec à Trois-Rivières (UQTR) se voit confier en 1970 le mandat de prendre la relève des Écoles normales d'Amos et de Rouyn, et de dispenser des programmes universitaires en Abitibi-Témiscamingue et dans le Nord-du-Québec, à partir d'un campus érigé dans des locaux du Cégep de Rouyn-Noranda. Dès la rentrée de 1970, le campus accueille des étudiants à temps complet, tandis que les programmes de perfectionnement sont offerts de Ville-Marie à Chibougamau, et de Mont-Laurier à Matagami. Cette délocalisation de l'enseignement deviendra rapidement la marque de commerce de l'UQAT.

Les débuts de l’enseignement universitaire à Rouyn-Noranda : le pavillon Jacques-Roux du Cégep de Rouyn-Noranda et les modules préfabriqués servant de salles de cours, début des années 1970.

Ces débuts seront marqués par la volonté des membres de la communauté universitaire, professeurs, gestionnaires, membres du personnel et étudiants, d'obtenir les pouvoirs nécessaires au développement de programmes aux trois cycles, et d'activités de recherche en symbiose avec les besoins du milieu régional. Les services universitaires se développeront lentement, au rythme des structures de gestion qui suivront l'UQTR : la Direction des études universitaires dans l'Ouest québécois (DEUOQ) et le Centre d'études universitaires dans l'Ouest québécois (CEUOQ), de 1972 à 1979, avec Me Alain Gourd de Rouyn-Noranda à titre de président du conseil d'administration, le siège social demeurant à Hull.

En 1979, Hull se départit de ses responsabilités à l'égard de la région pour se consacrer à l'obtention du statut créant l'Université du Québec en Outaouais (UQO). En Abitibi-Témiscamingue, une commission prend le relais, avec Mme Suzanne Firlotte de Rouyn-Noranda à la tête du conseil. Enfin, entre 1980 et 1983, le siège social de l'Université du Québec créé une structure provisoire, le Centre d'études universitaires d'Abitibi-Témiscamingue (CEUAT), dont le mandat est de préparer le dossier nécessaire à la création de l'UQAT, ce qui sera chose faite le 19 octobre 1983. C'est la première constituante du réseau de l'Université du Québec à choisir le nom de sa région, pour bien montrer son appartenance à l'ensemble de son territoire.

L’ancien Séminaire Saint-Michel, le premier siège social de l’Université du Québec en Abitibi-Témiscamingue.
L'UQAT, au cœur de sa ville

Rouyn-Noranda, ville universitaire et cosmopolite

La première vague d'immigration des années 1930 a attiré des travailleurs venus travailler à la mine Horne et à sa fonderie. Une autre vague d'immigration s'amorce au début des années 1970 par l'arrivée de professeurs venus de France pour enseigner au Cégep et à l'Université. Ces coopérants ont par la suite été suivis par des collègues de diverses origines, et par des centaines d'étudiants internationaux qui font de Rouyn-Noranda une ville toujours cosmopolite, rayonnante de culture partagée et de diversité stimulante.

La présence de l'UQAT à Rouyn-Noranda est un facteur d'attraction et de rétention de nouvelles familles. Notre université possède un poids démographique important, accueillant dans son campus et dans ses laboratoires des étudiants de la région, du Québec et du monde entier, des professeurs, des chercheurs, et du personnel administratif et scientifique, qui vivent dans la ville, s'impliquent dans la communauté et contribuent activement à la vie économique, sociale et culturelle de leur milieu.

Le campus de Rouyn-Noranda de l’UQAT comprend de nombreux laboratoires pour les étudiants, les professeurs et les chercheurs.

Rouyn-Noranda, au cœur de notre identité régionale

Les années 1970 voient naître en Abitibi-Témiscamingue une concertation accrue et une mobilisation importante de dirigeants d'organismes et d'entreprises locaux. La création du Cégep, premier établissement d'enseignement supérieur, les expériences du Bloc, du Comité des paroisses marginales, de Multi Média, du Conseil de développement social et du Conseil régional de développement donnent une nouvelle vigueur à Rouyn-Noranda et à la région. Cette mobilisation forge une nouvelle identité basée autour d'un rêve commun : demeurer sur le territoire et en assurer le développement à tout prix.

C'est dans ce bouillonnement des esprits que s'implante lentement l'Université à partir de Rouyn-Noranda, et qu'elle essaime ensuite ses services partout en région. Ainsi, l'un des impacts les plus significatifs de la présence de l'Université est son rôle de catalyseur qui a participé à l'émergence d'une identité régionale moins axée sur une approche locale, et plus ouverte à des projets collectifs au profit de l'Abitibi-Témiscamingue entière.

À Rouyn-Noranda, on poussera la réflexion plus loin, en définissant une nouvelle ville constituée de l'union de la ville avec l'ensemble des municipalités de la MRC, créant ainsi une identité collective d'envergure et une cité de plus de 40 000 citoyennes et citoyens.

Des étudiants dans l’Atrium du campus de Rouyn-Noranda de l’UQAT en 2017.

Rouyn-Noranda, une capitale universitaire

Bénéficiant de la présence du siège social de l'UQAT, Rouyn-Noranda accueille la majorité des effectifs humains de l'institution, étudiants, professeurs, chercheurs et membres du personnel de toutes catégories. S'ajoutent les édifices du campus principal et des équipes et laboratoires de recherche reliés aux nombreux programmes d'enseignement offerts.

Disposant des centres de décision régionaux, Rouyn-Noranda a joué un rôle important dans l'implantation des services universitaires et elle a été vite confrontée à la volonté d'autres villes de posséder chez elles une partie de cette université si nécessaire au développement de l'économie du savoir.

À ce titre, la mise sur pied des Corporations de développement de l'enseignement supérieur a permis au milieu de réclamer une part plus importante de présence universitaire. À Rouyn-Noranda, on a choisi d'élargir le mandat de la corporation en y ajoutant l'enseignement professionnel de niveau secondaire. La création de ces organismes de soutien et de revendication a suscité à l'UQAT une importante réflexion sur le déploiement de ses structures de recherche.

Le pavillon des Premiers-Peuples du campus de Val-d’Or de l’UQAT.

Cette réflexion a conduit l'Université à installer des laboratoires dans chaque municipalité régionale de comté de l'Abitibi-Témiscamingue. Des laboratoires et des équipes de chercheurs ont ainsi vu le jour en foresterie et sur les ressources hydriques à Amos, sur les communications souterraines, la foresterie autochtone, et les services aux Premiers Peuples à Val-d'Or, en agriculture à Notre-Dame-du-Nord, et sur les biomatériaux à La Sarre.

L'UQAT, une présence dans la communauté

Il serait réducteur de limiter les impacts de l'implantation de l'Université à son seul apport économique. Même si elle injecte une soixantaine de millions de dollars annuellement dans l'économie régionale, dont une bonne proportion à Rouyn-Noranda, c'est plutôt par la présence des membres de sa communauté universitaire que l'UQAT a des impacts significatifs dans son milieu.

Au lendemain du 19 octobre 1983, des citoyennes et des citoyens de la ville et de la région se réunissaient pour mettre sur pied une fondation destinée à soutenir la nouvelle université. Depuis lors, la Fondation de l'Université du Québec en Abitibi-Témiscamingue a injecté plusieurs dizaines de millions de dollars en subventions de recherche et en bourses d'études. Au fil des ans, le conseil d'administration de la FUQAT a accueilli plusieurs personnes de Rouyn-Noranda, dont plusieurs ont présidé à ses destinées.

Enfin, plusieurs dizaines de membres de la communauté universitaire sont depuis toujours actifs au sein d'organismes locaux de Rouyn-Noranda, entre autres la Chambre de commerce et d'industrie et dans ses comités, le Centre local de développement, dans les organismes communautaires, et ceux à vocation culturelle et sociale. Des universitaires ont été parmi les membres fondateurs du Conseil de la culture, du Centre d'exposition, de l'École de musique, du Prix littéraire, de l'Orchestre symphonique régional, entre autres.

: Le pavillon des sciences est la plus récente addition au campus de Rouyn-Noranda de l'UQAT.
L'UQAT, un héritage collectif

Aujourd'hui, Rouyn-Noranda accueille et soutien une université qui a décerné près de 20 000 diplômes dont la majorité des titulaires sont demeurés dans leur région pour y étudier, y vivre et y travailler.

Les régions de l'Abitibi-Témiscamingue et du Nord-du-Québec se sont développées au rythme des besoins des marchés du sud de la province pour le bois, l'or et le cuivre. Ce sont les enfants de ces bûcherons, de ces mineurs et de ces agriculteurs, auxquels se joindront les membres des communautés des Premières Nations, qui réclameront le droit à l'éducation supérieure dès le début des années 1970. Ensemble, ils développeront l'enseignement et la recherche universitaire, assurant, à partir de Rouyn-Noranda, une présence partout sur le territoire et conduisant l'Université dans sa longue marche vers la reconnaissance et la pleine responsabilité acquises le 19 octobre 1983.

Pour toutes les femmes et pour tous les hommes qui partagent leur existence sur la terre de l'Abitibi, du Témiscamingue et du Nord, l'UQAT est un héritage collectif dont ils pourront toujours être fiers.

Principales références

Archives personnelles de Jean Turgeon, premier secrétaire général de l'UQAT.

Corporation de la maison Dumulon , La naissance de Rouyn et de Noranda, une histoire de mines, Musées numériques du Canada-Histoires de chez-nous, 2017. https://www.histoiresdecheznous.ca/v2/rouyn-noranda-une-histoire-de-mines_a-mining-story/

Odette Vincent et al., Histoire de l'Abitibi-Témiscamingue, Institut québécois de la recherche sur la culture, 1995.

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