janvier 2022
Création de la MRC de Rouyn-Noranda - 1er avril 1981
Par Julien Rivard
Le 21 novembre 1979, la sanction par le lieutenant-gouverneur du Québec de la Loi sur l'aménagement et l'urbanisme amorce un grand changement qui marquera ce qu'est devenu le Rouyn-Noranda d'aujourd'hui. La Municipalité régionale de comté de Rouyn-Noranda (MRC) est officiellement créée le 1er avril 1981, englobant les 17 municipalités du territoire d'appartenance. Une concertation entre le rural et l'urbain se met alors en place. Le schéma d'aménagement de la MRC, de 1988, a conduit les municipalités à se doter d'outils d'urbanisme moderne. La MRC a progressivement pris de l'importance en développant de nouveaux services et en acceptant plusieurs nouvelles compétences relevant auparavant du gouvernement. La « Ville-MRC » a été créée en 2002, poussant plus loin la concertation pour un développement organisé des différentes parties du territoire de Rouyn-Noranda en fonction de l'intérêt collectf.
La Loi sur l'aménagement et l'urbanisme et la création de la MRC de Rouyn-Noranda
La Loi sur l'aménagement et l'urbanisme, sanctionnée le 21 novembre 1979, fait partie des grandes réformes du gouvernement du Parti québécois lors de son premier mandat issu de l'élection de novembre 1976 avec d'autres lois comme celles sur la langue française (loi 101), sur la qualité de l'environnement et sur la protection du territoire agricole. Pour Rouyn-Noranda, ce sera l'amorce d'un grand changement dans la gouvernance et le développement. Les deux pièces maîtresses de cette loi sont la création des municipalités régionales de comté et l'obligation qui leur est faite de se doter d'un schéma d'aménagement. Les MRC auront à leur tête un préfet élu pour un mandat de deux ans parmi les maires des municipalités.
La création de la de Rouyn-Noranda
La MRC de Rouyn-Noranda est créée le 1 er avril 1981, couvrant les 17 municipalités d'alors et des territoires non organisés (TNO, non municipalisés). Ses limites sont celles du territoire d'appartenance qui englobe les villes et les localités rurales, en nette rupture avec les corporations de comté qu'elle remplace, dont les limites ne correspondaient pas au territoire d'appartenance et dont les villes ne faisaient pas partie. Ainsi, de Destor à Rollet, d'Arntfield à Cadillac, sur 6 484 km2 et sur près de 100 km du nord au sud et de l'ouest à l'est, la MRC englobait 14 municipalités rurales et 3 villes dont la population fréquentait régulièrement la ville-centre de Rouyn-Noranda pour le travail, les commerces, les services, les études et les loisirs.
Trois ans avant la création de la MRC, le territoire comptait seulement quatre municipalités : cité de Noranda, cité de Rouyn, ville de Cadillac et municipalité d'Évain. Cette dernière faisait partie de la corporation de comté de Témiscamingue, mais les trois villes n'y étaient pas représentées, pas plus que les 13 localités rurales en territoire non organisé (TNO, non municipalisé), soit huit sur le territoire de la Corporation de comté de Témiscamingue et cinq sur celui la Corporation de comté d'Abitibi.
La ville de Duparquet aurait pu se joindre à la MRC de Rouyn-Noranda, mais a plutôt opté pour celle d'Abitibi-Ouest. À l'est, Cadillac était tentée par la MRC de La Vallée-de-l'Or, mais Rouyn-Noranda l'a convaincue par un agrandissement considérable de son territoire selon Pierre Monfette, directeur de la MRC de 1984 jusqu'à sa dissolution en décembre 2001. Les lettres patentes de la nouvelle MRC montrent qu'elle a reçu sa part des actifs des deux anciennes corporations de comté de Témiscamingue et d'Abitibi. Le représentant de chaque municipalité a un vote. En 1990, Rouyn-Noranda, issue de la fusion de Noranda et de Rouyn en 1986, obtient sept votes. Roger Cotnoir, le maire d'Évain fut le premier préfet. Comme lui, les préfets qui ont suivi représentaient tous d'une municipalité rurale : Bibiane Labrecque-Robitaille (Bellecombe), Paul-Arthur Dickey (Évain) et Michel Cliche (Bellecombe).
Le premier schéma d'aménagement de la MRC de Rouyn-Noranda
En 1979, la Loi sur l'aménagement et l'urbanisme prévoyait que le schéma d'aménagement était la pièce centrale du pouvoir de la MRC, avec comme objectif de mettre en place des pratiques modernes d'aménagement et d'urbanisme. Le schéma d'aménagement de la MRC de Rouyn-Noranda est entré en vigueur en 1988 après un long processus d'études, de concertation et de rédaction impliquant des comités sectoriels et une proposition préliminaire d'aménagement.
Tôt dans la démarche, il y a eu adoption du Règlement de contrôle intérimaire (RCI), entré en vigueur le 9 mars 1984, qui édicte des règles uniformes à l'ensemble du territoire en attendant que les municipalités les intègrent dans leurs propres règlements d'urbanisme. Celui-ci impose les obligations suivantes, en nette rupture avec les pratiques d'alors en milieu rural :
· permis de construction;
· cadastre;
· lot en bordure d'un chemin cadastré;
· un seul usage principal par lot;
· dimensions minimales des lots non desservis par l'aqueduc et l'égout;
· installations septiques conformes à la règlementation provinciale.
Ces nouvelles règles se substituaient à toute règle incompatible des municipalités et à celles des anciennes corporations de comté, qui étaient minimalistes et loin d'être appliquées systématiquement. Cela a créé un choc en milieu rural, où beaucoup jugeaient ces exigences excessives. À titre d'exemple, le règlement construction & zonage à Bellecombe, de la Corporation de comté de Témiscamingue de 1976, compte trois pages, comme celui de Beaudry de 1977.
Des impacts significatifs et durables pour Rouyn-Noranda et sa population
Pour le Rouyn-Noranda d'aujourd'hui, les bénéfices qui résultent de la
Loi sur l'aménagement et l'urbanisme de 1979 sont substantiels sous l'angle de la gouvernance, des compétences et de l'aménagement du territoire et l'urbanisme.
Une gouvernance concertée et forte qui favorise le développement
Avant 1978, une concertation était assumée pour l'ensemble de la région par le Conseil régional de développement de l'Abitibi-Témiscamingue, mais il n'y en avait pas à l'échelle de l'agglomération (Noranda, Rouyn, Évain…), ni du territoire d'appartenance associé à la ville-centre. La création de la MRC a complètement changé la situation. Les représentants du rural et de l'urbain étaient désormais à la même table et devaient apprendre à fonctionner ensemble. Les trois quarts d'entre eux représentaient des municipalités nouvellement créées et devaient aussi apprendre à fonctionner au sein de leur conseil municipal. Ils avaient ainsi à composer en même temps avec l'intérêt local et avec l'intérêt régional. Il se peut que cette situation ait favorisé une meilleure concertation qu'ailleurs.
Selon Pierre Monfette, ancien directeur de la MRC, « les décisions se prenaient à l'unanimité, les votes étaient rares », ce qui reflète un bon niveau de concertation. Mon expérience personnelle comme urbaniste va dans le même sens. Dans les années 1990, j'ai fréquemment consulté le schéma d'aménagement de chacune des cinq MRC de la région. Celui de Rouyn-Noranda m'est apparu avoir un contenu plus élaboré, reflétant un niveau de consensus plus élevé qu'ailleurs, notamment pour les rapports entre le rural et l'urbain. Le haut niveau de la concertation est probablement un facteur du regroupement progressif des municipalités, dont le nombre est passé de 17 à une seule entre 1986 et 2002.
Développement de services et acquisition de compétences : un meilleur contrôle sur le développement
Lors de la création de la MRC, le schéma d'aménagement était sa seule compétence importante. Les MRC, comme palier de gouvernance, n'avaient pas encore fait leurs preuves. Les choses changent à partir de la fin des années 1980, alors que la plupart des schémas sont en vigueur. Est d'abord apparue la notion de « coopérative volontaire de services». Les moyens limités des municipalités rurales les ont incités à proposer que les MRC développent des services qu'elles ne pouvaient se payer. C'est ainsi que la MRC de Rouyn-Noranda a développé des services de confection du rôle d'évaluation, de géomatique et de foresterie, en plus d'offrir un important soutien aux municipalités rurales dans leur gestion interne et dans l'élaboration de leurs plans et règlements d'urbanisme.
Le gouvernement du Québec, pour sa part, a progressivement confié de nouvelles responsabilités aux MRC, dont voici une liste partielle pour Rouyn-Noranda :
· Gestion forestière des blocs de lots intramunicipaux (1994), implication dans la gestion intégrée des ressources et du territoire (table GIRT, 2002), faune, trappage, eau souterraine, protection des paysages, milieux humides, plaine inondable, gestion des baux d'abris sommaires et de villégiature, gestion de l'exploitation de sablières et gravières (2014).
· Développement : centre local de développement, Pacte rural;
· Gestion de cours d'eau et de lacs;
· Gestion des matières résiduelles (2004);
· Schéma de couverture de risque touchant la lutte contre les incendies; sécurité civile;
· Parc régional des collines Kékéko (projet sur le point de se concrétiser).
Malgré ces changements, il reste des pans importants de la gestion gouvernementale qui demeurent fortement centralisés, touchant, par exemple, la majeure partie de la forêt publique, la zone agricole, l'éducation et la santé.
Une approche moderne de l'aménagement du territoire et de l'urbanisme
À Rouyn-Noranda, lors de la création de la MRC, l'environnement était dans un état lamentable, particulièrement en milieu urbain, l'un des pires au Canada. Ce n'est pas par hasard que la première orientation du schéma se lisait ainsi : « La protection adéquate de notre milieu ». On ne voulait plus de milieux contaminés et laids. C'est ainsi que la MRC et les municipalités se sont engagées dans une meilleure protection des milieux aquatiques (eaux usées municipales et des résidences isolées) et des sources d'approvisionnement en eau potable, puis à une meilleure gestion des matières résiduelles. Cependant, la MRC pouvait difficilement s'en prendre à la fumée et aux poussières de la fonderie Horne du fait que les villes de Noranda et de Rouyn protégeaient la fonderie. La gestion rationnelle des ressources était la deuxième orientation du schéma, ciblant principalement le milieu agricole et les ressources forestières, s'adressant ainsi au milieu rural. La consolidation de l'organisation spatiale était la troisième orientation, traitant de questions comme les périmètres d'urbanisation, l'offre en terrains industriels ou le centre de congrès
Pour les municipalités locales, l'essentiel des choix du schéma d'aménagement s'est traduit dans leurs plans et règlements d'urbanisme. Pour la plupart, il s'agissait de nouveaux outils de gestion de leur territoire. Pour la première fois, chaque municipalité a réalisé une étude de son territoire, de son occupation et de ses ressources en vue d'établir ses choix d'urbanisme. Pour ce qui est des villages, leur développement se faisait désormais sur une base plus rationnelle et dépendait moins de la seule volonté des propriétaires privés. En bordure de nombreux lacs, c'était la fin des terrains minuscules, non cadastrés, sans possibilité d'installations septiques dignes de ce nom. Les chalets ou résidences devaient désormais être établis à une certaine distance de l'eau et le déboisement du terrain devait être limité.
De façon générale, cet urbanisme favorise une cohabitation harmonieuse entre les diverses utilisations du territoire. Les chicanes entre voisins deviennent plus rares, que ça implique des résidences, des commerces, des industries ou des mines. Bref, en milieu urbain, rural et de villégiature, le développement devait désormais se faire en fonction d'une approche rationnelle, respectueuse de l'environnement et qui met en premier l'intérêt collectif à long terme. Cette approche a été renforcée en 2010 par le Schéma d'aménagement et de développement révisé de la Ville de Rouyn-Noranda.
Un bilan : de nombreux bénéfices pour Rouyn-Noranda
Avec un recul de plus de 40 ans depuis l'adoption de la Loi sur l'aménagement et l'urbanisme, on peut observer plusieurs bénéfices pour Rouyn-Noranda qui sont partiellement attribuables à cette loi :
· L'appartenance au même territoire est un fait au sein de la population rurale et urbaine, en nette démarcation à ce qui existait en 1979.
· Une gouvernance s'est mise en place à partir de 1981 et s'est renforcée par la suite, intégrant le rural et l'urbain. Le niveau élevé de consensus a contribué au regroupement de toutes les municipalités en 2002.
· La MRC, puis la ville, ont développé de nouveaux services relatifs à la gestion du territoire et des collectivités. La ville dispose maintenant d'un personnel professionnel qui exerce ses compétences dans une bonne gamme de domaines.
· La MRC, puis la ville, sont devenues un palier de réelle décentralisation, apte à accepter de nouvelles compétences dans des domaines relevant du gouvernement du Québec. Plusieurs décisions se prennent maintenant à un palier plus près des citoyens.
· La MRC, puis la ville, ont développé des outils modernes d'aménagement de territoire et d'urbanisme qui favorisent une meilleure qualité de l'environnement et une meilleure qualité de vie dans toutes les parties du territoire.
Pour l'avenir, on peut penser que la ville de Rouyn-Noranda continuera à acquérir de nouvelles compétences. On peut aussi s'attendre à une implication nouvelle des Anicinapek dans la gouvernance territoriale.
Il reste à intégrer les Anicinapek dans la gouvernance territoriale
Les Anicinapek n'étaient nullement impliqués dans la gouvernance territoriale en 1979. Ils le sont très peu aujourd'hui. La
Loi sur l'aménagement et l'urbanisme ne fait aucune référence aux Premiers Peuples et à leurs droits. Pour Rouyn-Noranda, les communautés d'Abitibiwinni (Pikogan), Timiskaming et Long Point (Winneway) sont les plus concernées. L'occupation actuelle du territoire s'est faite sans leur consentement et sans consultation, à l'encontre du droit canadien et international. En comparaison, la Nation Crie a une influence majeure dans la gouvernance du territoire d'Eeyou Istchee Baie-James. Pour Rouyn-Noranda, des changements d'une assez grande importance pourraient être négociés dans l'avenir.
Principales références
Coutu, Jean-Charles. 1 er avril 2001. Rapport sur la réorganisation municipale dans la Municipalité régionale de comté de Rouyn-Noranda. 71 p.
Québec. 2009. La municipalité régionale de comté Compétences et responsabilité, 80 p.
Québec. 2019. La municipalité régionale de comté Compétences et responsabilité, 70 p.
Québec. Loi sur l'aménagement et l'urbanisme, A-19.1. http://legisquebec.gouv.qc.ca/fr/ShowDoc/cs/A-19.1
Québec. Loi sur l'organisation territoriale municipale, RLRQ, c O-9 https://www.canlii.org/fr/qc/legis/lois/rlrq-c-o-9/derniere/rlrq-c-o-9.html
Rouyn-Noranda (Québec : Municipalité régionale de comté). (1987). MRC de Rouyn-Noranda : Schéma d'aménagement. Municipalité régionale de comté de Rouyn-Noranda.
Rouyn-Noranda (Québec : Municipalité régionale de comté). 1984. Règlement de contrôle intérimaire.
Partager Facebook