janvier 2022

Programme canadien d’accueil des personnes déplacées par la guerre en Europe - 1er mai 1947

Par Benoit-Beaudry Gourd

Le 1 er mai 1947, Le premier ministre Mackenzie King fait une déclaration aux Communes pour recadrer la politique d'immigration du Canada suite aux pressions exercées par la société civile en faveur d'une politique plus ouverte aux personnes déplacées par la guerre en Europe. Le gouvernement annonce alors la création d'un programme visant à accueillir des réfugiés se trouvant dans les camps de l'Organisation internationale pour les réfugiés dispersés dans plusieurs pays en Europe. Entre 1947 et la fermeture de ces camps en 1951, le Canada accueille 186 154 personnes dans le cadre de ce programme.

Légende : Un groupe d’immigrants arrivant à Montréal d'Europe en 1947. Bibliothèque et Archives Canada.

La mise en place de ce programme d'immigration est un évènement marquant pour Rouyn-Noranda qui va recevoir plusieurs centaines de ces réfugiés européens qui viennent travailler à la mine Horne et aux mines de la région de Rouyn qui manquent de main-d'œuvre alors que l'industrie minière canadienne connait une forte croissance. Au début des années 1950, le mines de la région donnent du travail à 5 000 hommes. L'arrivée de ces nouveaux immigrants favorise la renaissance culturelle des principales communautés déjà établies avant la guerre. En 1961, Rouyn-Noranda compte 3 167 immigrants, soit 10,6 % de la population. Les communautés sont alors à leur apogée. Jamais, elles ne seront aussi nombreuses et leur contribution à la vie collective aussi importante.

Le programme d'accueil des réfugiés et personnes déplacées par la guerre

À la fin de la guerre en 1945, on évalue à près de 40 millions le nombre de personnes déplacées de force pendant le conflit en Europe. Ces réfugiés sont regroupés à l'intérieur de camps administrés par l'Organisation internationale pour les réfugiés. Cet organisme sollicite à l'époque plusieurs pays, comme les États-Unis, l'Australie ou le Canada, pour accueillir ces réfugiés. Malgré les pressions de plus en plus fortes exercées par la société civile, principalement par les communautés culturelles et les organisations religieuses préoccupées par la situation dans ces camps, le gouvernement canadien demeure d'abord réticent à recevoir ces réfugiés.

Augustinas Kuolas, un Lithuanien, devant le bureau du camp de transit pour personnes déplacées à Namburg en Allemagne en avril 1948. Bibliothèque et Archives Canada.

C'est dans ce contexte que, le 1 mai 1947, le premier ministre Mackenzie King prononce un discours à la Chambre des Communes pour présenter les bases d'un programme spéciale d'immigration pour encadrer l'accueil d'environ 165 000 réfugiés et personnes déplacées en Europe de manière progressive jusqu'en 1953. Ces nouveaux immigrants seront rapidement connus au Canada sous le nom de DP, acronyme de « displaced persons ». C'est le gouvernement qui détermine le nombre de personnes apte à s'intégrer au pays et à satisfaire ses besoins en main-d'œuvre, principalement dans les secteurs de l'agriculture, des chemins de fer, de la forêt et des mines. Le premier ministre précise alors que « Le Canada est en droit de choisir les personnes aptes à devenir de bons citoyens canadiens. Les Canadiens ne veulent pas qu'une immigration massive vienne changer le caractère de leur société et altérer la composition fondamentale de la population ».

Les grandes entreprises sont autorisées à recruter des travailleurs directement dans les camps en Europe en dehors du processus régulier de sélection des immigrants. Ces réfugiés arrivent au Canada avec un contrat de travail d'un an qu'ils doivent respecter sous peine d'expulsion. Ils ont le droit de demeurer au pays à l'expiration de leur contrat après avoir reçu un certificat de bonne conduite de leur employeur. Les hommes mariés peuvent alors faire venir leur famille. Ce programme spécial d'immigration prend fin avec la fermeture, en 1951, des derniers camps de réfugiés en Europe. Le Canada accueille 186 154 personnes dans le cadre de ce programme. Les Polonais et les Ukrainiens sont les plus nombreux mais on retrouve aussi en grand nombre des Yougoslaves, des Tchécoslovaques, des Baltes, des Russes, des Hongrois, des Roumains.

Des immigrants à leur arrivée dans le hall du quai 21 à Halifax en 1952. Bibliothèque et Archives Canada.

Au total, plus de deux millions d'immigrants arrivent au Canada au cours de la période 1946 à 1960 contribuant largement à la croissance démographique du pays. La plupart de ces immigrants s'établissent dans les quartiers ethniques des grandes villes canadiennes mais beaucoup aussi dans les centres miniers du nord de l'Ontario et de l'Abitibi qui comptent déjà au sein de leur population plusieurs communautés issues de l'immigration d'avant-guerre.

Une contribution importante au développement de Rouyn-Noranda

Des travailleurs pour les mines

Les mines de l'Abitibi manquent de travailleurs dans l'après-guerre alors que l'industrie minière est en pleine croissance au pays. La Horne et les autres mines de la région de Rouyn vont donc largement profiter du Programme canadien d'accueil des personnes déplacées par la guerre en Europe pour recruter plusieurs centaines d'hommes dans les camps de réfugiés. Une seconde génération d'immigrants européens, totalement différente de celle d'avant-guerre arrive à Rouyn-Noranda à la fin des années 1940 et au cours des années 1950. Contrairement à la première génération déjà au Canada depuis plusieurs années avant de venir à Rouyn-Noranda, ces nouveaux immigrants arrivent directement d'Europe. Ils sont jeunes et souvent plus instruits. Même si le journal « Rouyn-Noranda Press » signale l'arrivée à l'automne 1947 de plusieurs jeunes polonaises recrutées par l'hôpital Youville, ce sont très majoritairement des hommes seuls avec un contrat de travail d'un an avec une mine qui arrivent à Rouyn-Noranda durant cette période.

Avec l'arrivée en quelques années de centaines de nouveaux travailleurs, la main-d'oeuvre minière est en constante transformation. L'importance numérique des immigrants à la Horne et dans les autres mines se fait alors plus sentir. La mobilisation syndicale en sera d'autant plus ardue. Les immigrants sont alors souvent perçus comme peu favorables aux syndicats par les francophones qui sont majoritaires dans les mines. Cette réputation concerne surtout les nouveaux immigrants. Ceux-ci ne semblent pas avoir participé très activement à la campagne de syndicalisation de l'United Steelworkers of America au début des années 1950 et à la grève de l'hiver 1953-54 à la mine Horne. Totalement démunis à leur arrivée au pays, ils sont avant tout préoccupés par l'amélioration de leur situation socioéconomique et leur intégration à leur communauté d'appartenance déjà présente à Rouyn-Noranda.

Une équipe de travailleurs de la mine Anglo Rouyn en 1950. Bibliothèque et Archives nationales du Québec, Rouyn-Noranda.

Puis avec la levée de l'interdiction frappant l'immigration allemande et italienne, Rouyn-Noranda accueille au cours des années 1950, un grand nombre d'Allemands admis au Canada en raison de leurs qualifications professionnelles. De très nombreux immigrants arrivent aussi d'Italie durant ces années profitant du système de parrainage. Le recensement de 1961 permet de mieux apprécier l'impact de l'immigration de l'après-guerre sur l'évolution de la population des deux villes qui regroupent alors 30 212 habitants. On recense un nombre record de 3 167 immigrants qui forment 10,6 % de la population. Près de 50 % de ces immigrants sont arrivés au Canada après 1945. Les principaux groupes sont dans l'ordre : les Polonais, les Italiens, les Allemands, les Ukrainiens et les Finlandais.

Le renouveau de la vie communautaire des immigrants

La vague d'immigration de l'après-guerre permet à plusieurs communautés d'augmenter de manière significative leurs effectifs. Par exemple, les Italiens semblent avoir particulièrement bien exploité le système de parrainage et les filières familiales reliant les immigrants déjà installés à Rouyn-Noranda à leur région d'origine puisque cette communauté augmente ses effectifs de 162 % entre 1941 et 1961. Les communautés polonaise, ukrainienne et allemande voient aussi le nombre de leurs membres augmenter.

Des immigrants italiens devant la maison de chambres Pasquale & Rocca en 1954. Bibliothèque et Archives nationales du Québec, Rouyn-Noranda.

Les nouveaux arrivants redonnent vie à leur communauté dont les activités étaient en veilleuse depuis la fin des années 1930. Ils sont beaucoup plus attachés à leur langue et à leur culture que les immigrants de la génération pionnière souvent en voie d'assimilation. La vie communautaire des immigrants a en effet perdu beaucoup d'intensité à partir du milieu des années 1930. Plusieurs centaines d'immigrants ont été expulsés de la mine Horne suite à la grève de juin 1934. Beaucoup d'autres sont partis travailler dans les mines de la région de Val-d'Or. Les enfants se sont anglicisés et ont perdu peu à peu tout intérêt pour les activités de leur communauté. La plupart des salles communautaires qui constituaient le centre de gravité des différents groupes d'immigrants ont été fermées.

La rue Noranda (aujourd’hui Mgr Tessier) à Rouyn au milieu des années 1930. À droite sur la photo : le marché public et la salle communautaire des Polonais. Bibliothèque et Archives nationales du Québec, Rouyn-Noranda.

La vie communautaire des différents groupes connaît donc une renaissance à la faveur de l'intégration des nouveaux immigrants. On assiste à l'émergence de nouveaux lieux de rassemblement identitaire où vont se dérouler les principales activités collectives des immigrants : les fêtes nationales, les festivités de Noël, du Nouvel An et de Pâques, les mariages, etc. Les activités des Ukrainiens gravitent autour de l' Ukrainian Hall de l'avenue Dallaire à Rouyn et celles des Yougoslaves autour du Croatian Hall à Noranda. De leur côté, les Polonais adoptent le Remembrance House de la 7e Rue à Noranda comme leur lieu de rassemblement. Cette salle est tellement identifiée à la communauté polonaise que la majorité des immigrants la désignent alors comme le Polish Hall. Certains groupes d'immigrants, comme les Slovaques ou les Baltes, se réunissent à la salle des Moose de Noranda. Et l'édifice du Club italo-canadien, construit en 1958 sur l'avenue Dallaire à Rouyn, est au cœur des activités culturelles et sociales des Italiens. L'église catholique ukrainienne Christ-Roi et l 'église orthodoxe russe Saint-Georges érigées au milieu des années 1950 dans le secteur de l'avenue Mercier et de la rue Taschereau sont également des lieux identitaires importants.

Certains groupes renouent aussi dans l'après-guerre avec la tradition des grands pique-niques communautaires qui se tenaient l'été à Rouyn dans le secteur de la ferme Dallaire. Ces rassemblements se tiennent maintenant en bordure du lac Osisko à Rouyn où les Yougoslaves, les Russes, les Polonais, les Ukrainiens ont défriché de grandes clairières bien identifiées comme leur lieu de rassemblement.

La communauté ukrainienne réunie à l’église Christ-Roi de Rouyn en l’honneur de Monseigneur Borecky, évêque du Diocèse de Toronto de l'Église catholique ukrainienne du Canada, fin des années 1950. Bibliothèque et Archives nationales du Québec, Rouyn-Noranda.

Les années 1960 marquent l'apogée des communautés culturelles à Rouyn-Noranda. On assiste par la suite à leur déclin extrêmement rapide. Après une longue période de croissance, l'industrie minière connaît, au cours des années 1960 et 1970, un net ralentissement de ses activités marqué par de nombreuses fermetures de mines. Les mines qui ferment sont les plus anciennes, celles où les immigrants sont les plus nombreux. Un mouvement d'exode s'amorce alors chez les immigrants en direction du sud de l'Ontario où le secteur manufacturier est en rapide croissance. La vie communautaire des différents groupes va peu à peu se désagréger. La plupart des communautés ne sont plus assez nombreuses pour maintenir leurs structures associatives. La fermeture au cours des années 1970 des deux derniers centres communautaires, la salle ukrainienne et le Club italo-canadien, vient confirmer cet état de fait.

Les différents groupes d’immigrants défilent sur l’avenue Principale à Rouyn lors des festivités du 25e anniversaire de fondation de la ville en 1951. Bibliothèque et Archives nationales du Québec, Rouyn-Noranda.

La contribution au développement de Rouyn-Noranda des immigrants, tant ceux de la première génération que ceux arrivés dans l'après-guerre, est importante. Ils ont participé par leur travail à la croissance de la région minière. En choisissant d'inscrire leurs enfants à l'école anglaise, ils ont favorisé le développement et le maintien d'un solide réseau scolaire anglophone à Rouyn-Noranda. Et surtout, leur présence a largement contribué à faire de Rouyn-Noranda une société plus ouverte et plus perméable aux grands mouvements sociaux et culturels du 20 e siècle.

Principales références

Benoit-Beaudry Gourd, Avec le rêve pour bagage. Les immigrants à Rouyn-Noranda 1925-1980, 2016.

Marlène Epp, Les réfugiés au Canada, un survol historique, 2017.

Conseil canadien pour les réfugiés, 100 ans d'immigration au Canada 1900-1999, 2009.


L’église orthodoxe russe Saint-Georges. Christian Leduc.

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