janvier 2022

Création du plan de colonisation Vautrin - 2 mai 1935

par Benoit-Beaudry Gourd

Le plan de colonisation Vautrin et la constitution du territoire de Rouyn-Noranda

La crise économique des années 1930 force le gouvernement du Canada, les provinces et les villes du pays à intervenir pour résorber le chômage et éviter l'explosion sociale. Au Québec, la colonisation agricole apparait rapidement comme le moyen par excellence pour atténuer les effets de la « Grande Dépression ». La crise frappe durement le Témiscamingue, l'Abitibi rural et la région minière de Rouyn dont le développement est encore embryonnaire. Les plans de colonisation qui se succèdent au Québec de 1932 à 1939 amènent en quelques années l'établissement dans la région de milliers de familles et la création d'une quarantaine de nouvelles paroisses rurales. Le plan Vautrin, en vigueur de 1935 à 1937, est au cœur de ce grand mouvement de retour à la terre.

Une dizaine de ces paroisses de colonisation sont crées tout autour des villes de Rouyn et de Noranda, soudant ainsi la région de Rouyn au Témiscamingue et à l'Abitibi rural. Les plans de colonisation, en particulier le plan Vautrin, ont sans contredit contribué de manière déterminante à la constitution du territoire de la Ville de Rouyn-Noranda tel que nous la connaissons aujourd'hui avec ses nombreux quartiers ruraux.

Le village de Rollet sur les bords de la rivière Solitaire en 1942. Bibliothèque et Archives nationales du Québec, Rouyn-Noranda.
La colonisation au Québec, une œuvre de salut national

La crise économique qui s'abat sur l'Amérique à partir de 1929 amène de longues années de détresse pour des millions d'hommes et de femmes. Le Canada et le Québec sont rapidement entrainés dans la tourmente. Les gouvernements doivent intervenir en urgence pour lutter contre le chômage qui prend de l'ampleur. Le nombre de chômeurs au pays passe ainsi de 377 000 en 1930 à 826 000 en 1933. Uniquement à Montréal, on compte alors 62 000 chômeurs et 240 000 personnes vivant de l'assistance publique. De très nombreux chômeurs ruraux s'y sont installés pour bénéficier des mesures d'aide sociale de la municipalité. Pour freiner l'exode de la population des campagnes vers les centres urbains, les grandes villes du Québec réclament des gouvernements la mise en œuvre d'un plan de retour à la terre qui leur semble un moyen beaucoup plus efficace pour lutter contre le chômage que les mesures temporaires comme les secours directs ou les programmes de travaux publics.

Des chômeurs devant le refuge Meurling à Montréal en 1933. Archives de la Ville de Montréal.

C'est dans ce contexte que le gouvernement fédéral met en place, en 1932, un plan d'action pour favoriser le retour à la terre des chômeurs urbains. Le plan Gordon, du nom du ministre du travail W. A. Gordon, constitue un ensemble de mesures de secours aux chômeurs qui vise à les amener à s'installer sur des terres de manière à décongestionner les villes. Ce plan offre 600 dollars sur deux ans aux familles de chômeurs ou vivant de secours directs pour s'établir sur une terre de colonisation. Cette aide financière est défrayée à parts égales par le gouvernement du Canada, la province et la municipalité d'origine des colons. Au Québec, le recrutement et l'établissement des colons et de leurs familles ainsi que l'organisation des nouvelles paroisses sont confiés aux sociétés diocésaines de colonisation. Le plan Gordon permet ainsi en trois ans le retour à la terre de 976 familles regroupant 5 956 personnes provenant de Québec, Trois-Rivières, Hull, Shawinigan et surtout Montréal qui fournit 58 % des effectifs. Plus de 90 % de ces familles s'établissent au Témiscamingue et en Abitibi menant à la création de sept paroisses rurales dont deux dans la région de Rouyn, soit Saint-Augustin-de-Montbeillard et Sainte-Monique-de-Rollet fondées par des familles venues de Québec.

L'église Saint-Augustin de Montbeillard en 1934. Bibliothèque et Archives nationales du Québec, Rouyn-Noranda.

Les effets du plan Gordon sont plutôt limités et marqués par un taux élevé d'abandon avant même l'expiration du plan, près de 28 % pour le Témiscamingue et l'Abitibi. Devant ces résultats mitigés et la situation économique qui se dégrade, les pressions du clergé et des élites sociopolitiques sont de plus en plus fortes sur le gouvernement d'Alexandre Taschereau pour que le Québec élabore son propre plan d'action pour soutenir la colonisation agricole. Si bien qu'en octobre 1934, le gouvernement organise à Québec un grand congrès dont les propositions serviront de base au plan de colonisation Vautrin.

Le plan Vautrin, un ensemble de mesures pour consolider le monde rural

Le 2 mai 1935, l'Assemblée législative du Québec adopte la « Loi pour promouvoir la colonisation et le retour à la terre » instituant le plan de colonisation Vautrin, du nom du ministre de la Colonisation Irénée Vautrin. D'autres lois sont aussi adoptées pour compléter la mise en place d'un ensemble de mesures visant à consolider le monde rural. Le plan Vautrin constitue le premier grand mouvement de retour à la terre conçu, planifié et dirigé par l'État québécois. Contrairement au plan Gordon dédié uniquement aux chômeurs urbains chefs de familles, le plan Vautrin est destiné principalement aux fils de cultivateurs et aux chômeurs ruraux et fait une large place aux jeunes hommes célibataires. Il prévoit notamment l'établissement de 10 000 fils de cultivateurs sur des terres libres et de 10 000 colons dans de nouvelles paroisses.

Un groupe de colons à la gare de Québec en partance pour l'Abitibi, 1935. Bibliothèque et Archives nationales du Québec, Rouyn-Noranda.

Recrutés par région d'origine et encadrés par les sociétés diocésaines de colonisation, les groupes de colons sont transportés vers leur lieu d'établissement où les accueillent des responsables du ministère de la Colonisation. Ensemble, ils travaillent aux premiers défrichements, à la construction de maisons et à l'ouverture des chemins de rang. Les hommes mariés peuvent ensuite faire venir leurs familles qui, entretemps, ont reçu l'aide du gouvernement pour vivre. Les colons vont ensuite bénéficier du soutien financier du ministère de la Colonisation pendant la durée de trois ans du plan pour défricher leurs terres et amorcer le développement de leur ferme.

Travaux de défrichement sur un lot de colonisation en Abitibi, milieu des années 1930. Bibliothèque et Archives nationales du Québec, Rouyn-Noranda.

Les différentes mesures du plan Vautrin touchent pratiquement toutes les régions du Québec et concernent 18 200 chefs de familles et 55 597 personnes. Elles permettent ainsi l'établissement sur des terres neuves de 7 419 colons, 29 411 personnes au total. Le Témiscamingue et surtout l'Abitibi sont les principales régions bénéficiaires en accueillant 57 % de ces effectifs, soit 16 591 personnes réparties en 4 309 établissements. Des 36 paroisses de colonisation créées durant le plan Vautrin, 27 se trouvent en région, dont 8 autour des villes de Rouyn et Noranda : Saint-Bernard-de-Beauchastel (Évain), Saint-Clément-de-Beaudry, Saint-Ignace-de-Fréchette (Cloutier), Saint-François-de-Sales-de-Destor, Saint-Joseph-de-Cléricy, Saint-Norbert-de-Mont-Brun, Saint-Guillaume-de-Granada et Sainte-Agnès de Bellecombe, À ces paroisses, il faut ajouter la colonie de Farmborough, créée lors de l'établissement dans le canton Joannès de familles de colons anglophones recrutés par la Montreal Protestant Colonization & Settlement Society.

Permis de colon d'Alex Boisvert de Montbeillard, 1937. Bibliothèque et Archives nationales du Québec, Rouyn-Noranda.
La consolidation des paroisses de colonisation

La reprise économique qui s'amorce à partir de 1936 entraine une baisse marquée du nombre d'aspirants colons. Les programmes mis en place le gouvernement de Maurice Duplessis à l'expiration du plan Vautrin en 1937, connus sous le nom de plan Rogers-Auger, visent ainsi beaucoup plus la consolidation des paroisses fondées depuis 1932 que la création de nouvelles colonies. Le ministère de la Colonisation établit en conséquence de nombreuses familles sur des terres abandonnées par des colons du plan Vautrin. Au total, ce plan de colonisation permet, de 1937 à 1941 l'établissement dans la région de 2 274 familles regroupant 15 161 personnes et la création de six nouvelles paroisses dont Saint-Roch-de-Bellecombe au sud de Rouyn.

Des familles de colons à leur arrivée à Cléricy en 1941. Bibliothèque et Archives nationales du Québec, Rouyn-Noranda.

Les plans de colonisation des années 1930 transforment le monde rural de la région. En moins d'une décennie, 42 nouvelles paroisses sont créées et la population rurale double, passant ainsi de 30 942 à 72 925 personnes. Ce grand mouvement de colonisation fait partout reculer la forêt agrandissant considérablement le domaine agricole., La superficie des terres en culture double et le nombre de fermes triple pratiquement, passant de 3 768 en 1931 à 9 626 en 1941.

La 2 e guerre mondiale marque la fin de cette décennie de colonisation dirigée par l'État québécois. Le ministère de la Colonisation se concentre dans l'après-guerre sur la consolidation des nouvelles paroisses et sur le développement d'une véritable agriculture pour retenir à la terre les familles de colons. Cette politique de consolidation du domaine rural se concrétise par la mise en œuvre à partir de 1946 du plan Bégin, du nom du ministre de la Colonisation de l'époque. Le plan Bégin mise entre autres sur un vaste programme de primes et sur l'organisation de coopératives pour soutenir le développement des fermes dans les régions de colonisation.

Les plans de colonisation et le développement de la région de Rouyn-Noranda

C'est au cours de cette intense période de colonisation que la région de Rouyn prend sa véritable physionomie avec l'occupation d'un vaste territoire autour de Rouyn et de Noranda. Plusieurs milliers de familles provenant de partout au Québec se sont installées sur des terres, les ont défrichées et s'activent à développer leurs fermes. Cette occupation du territoire permet de souder solidement la région de Rouyn au Témiscamingue et à l'Abitibi rural. Tout autour des deux villes, des villages ont pris forme et des routes les relient au centre urbain. Le territoire est quadrillé par un impressionnant réseau de chemins de rang. Certaines localités rurales comme Évain, Mont-Brun, Granada, Cléricy comptent plus de mille habitants à l'orée des années 1950. Une nouvelle population gravite maintenant autour de l'agglomération minière contribuant largement à sa croissance à partir de l'après-guerre.

Une ferme à Sainte-Agnès de Bellecombe en 1942. Bibliothèque et Archives nationales du Québec, Rouyn-Noranda.

La présence dans ces paroisses rurales de centaines d'hommes à la recherche de revenus que ne peuvent leur procurer leurs terres à peine défrichées favorise la relance des activités dans les chantiers du bassin de la rivière Kinojévis et ailleurs en Abitibi. Pour faire vivre leur famille, la très grande majorité des colons doivent pendant près d'une vingtaine d'années travailler chaque hiver dans les chantiers de la région en attendant que leurs fermes atteignent une dimension suffisante. La mine Horne et la dizaine d'autres mines qui sont en production dans la région de Rouyn dans les années 1940 et 1950 recrutent par ailleurs une grande partie de leur main-d'œuvre dans ces localités rurales, accélérant ainsi le mouvement d'abandon des terres qui s'amorce parmi les colons dans l'après-guerre. Ces nouveaux arrivants en milieu urbain contribuent au brassage de population que connait Rouyn-Noranda qui accueille aussi à l'époque plusieurs centaines de personnes déplacées par la guerre en Europe se trouvant dans les camps de l'Organisation internationale pour les réfugiés.

L'école des rangs 5 et 6 à Cléricy, 1942. Bibliothèque et Archives nationales du Québec, Rouyn-Noranda.
Principales références

Roger Barrette, Le plan de colonisation Vautrin, 1972.

Maurice Asselin et Benoit-Beaudry Gourd, « Les plans de colonisation et la consolidation du monde rural », chapitre 7 de Histoire de l'Abitibi-Témiscamingue , 1995.

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