décembre 2021
Création de la compagnie Rouyn Mines Railway - 3 avril 1925
par Benoit-Beaudry Gourd
Rouyn Mines Railway et le chemin de fer de Rouyn
Le 3 avril 1925, la loi créant la « Rouyn Mines Railway Company » est sanctionnée par l'Assemblée législative du Québec. Cette compagnie doit construire une voie ferrée entre la gare de Taschereau sur le National Transcontinental et la région de Rouyn où Noranda Mines Limited a décidé de mettre en exploitation le fabuleux gisement de cuivre et d'or découvert à proximité du lac Osisko par le prospecteur Edmund Horne.
La construction d'un chemin de fer vers la nouvelle région minière fait à l'époque l'objet d'une intense bataille politique et juridique entre les gouvernements du Québec et de l'Ontario. Le Québec va contester jusqu'au Conseil Privé à Londres le droit du Temiskaming and Northern Ontario Railway (TNOR) de prolonger son réseau en territoire québécois jusqu'à Rouyn, interrompant pendant près de deux ans la construction de cette voie ferrée. Même si le jugement du Conseil Privé est en faveur du TNOR, une compagnie appartenant au gouvernement ontarien, lorsque la fonderie Horne coule ses premières anodes de cuivre en décembre l927, les trains circulent déjà sur les deux lignes concurrentes. Dès lors reliées par le rail à Toronto, Montréal et Québec, la région minière de Rouyn va se développer très rapidement.
La bataille du chemin de fer de Rouyn
En décidant en 1925 de construire une mine, une fonderie de cuivre et une ville sur la rive nord du lac Osisko, Noranda Mines Limited va rendre incontournable l'aménagement de voies de communication à gros rendement en direction de la région de Rouyn alors accessible que par les voies d'eau, des chemins d'hiver et par avion. La construction d'un chemin de fer pour relier la nouvelle région minière aux grands réseaux ferroviaires canadiens s'avère donc essentielle.
Déjà en 1923, le gouvernement du Québec avait entrepris des discussions avec la Canadian Pacific Railway (CPR) pour le prolongement jusqu'à la région de Rouyn de sa nouvelle voie ferrée reliant la ville de Témiscaming et Angliers au Témiscamingue. Mais le projet avait été abandonné, le gouvernement considérant les demandes financières du CPR démesurées.
Puis en 1924, Noranda Mines sollicite la Canadian National Railway (CNR) pour aménager une voie ferrée entre la région de Rouyn et Taschereau sur le chemin de fer National Transcontinental plus au nord. Le CNR, créé en 1919 par le gouvernement canadien pour sauver plusieurs compagnies ferroviaires alors de la faillite, hésite à s'engager en raison des coûts élevés du projet. Noranda Mines propose ensuite au Temiskaming and Northern Ontario Railway (TNOR) de prolonger sa ligne Swastika-Larder Lake jusqu'à la région de Rouyn. Cette compagnie, propriété du gouvernement de l'Ontario, est depuis 1902 le moteur du formidable développement minier du Nord-Est ontarien.
Dès 1925, le TNOR, entreprend, via le Nipissing Central Railway, une filiale à charte fédérale, la construction d'un embranchement entre Larder Lake et le village de Rouyn. La compagnie veut même étendre sa ligne jusqu'au lac De Montigny plus à l'est où plusieurs gisements aurifères ont été découverts. Les ambitions du TNOR vont se heurter à la farouche opposition du gouvernement du Québec qui ne peut accepter que l'Ontario obtienne ainsi une influence prépondérante sur l'économie de la nouvelle région minière.
Le TNOR étend son réseau jusqu'à la frontière interprovinciale mais ne peut aller plus loin car le gouvernement du Québec lui refuse le droit d'opérer sur son territoire.Le Québec va contester à la Cour Suprême du Canada puis au Conseil Privé de Londres le droit du TNOR de construire une voie ferrée en territoire québécois. La bataille juridique interrompt pendant près de deux ans sa construction au delà de la frontière interprovinciale.
Le gouvernement québécois profite de ce délai pour s'entendre avec le CNR et Noranda Mines pour incorporer la compagnie Rouyn Mines Railway et entreprendre la construction de l'embranchement Taschereau-Rouyn. La nouvelle compagnie loue alors au gouvernement du Canada cet embranchement pour une période de 30 ans. Le CNR est chargé de l'exploitation de la ligne.
L'embranchement est complété lorsque le Conseil Privé donne raison à l'Ontario en 1927. Le TNOR peut alors étendre son réseau au Québec si bien que lorsque la mine et la fonderie Horne entrent en production en décembre 1927, les trains circulent déjà sur les deux lignes ferroviaires concurrentes. Le CNR construit une grosse gare à Noranda tandis que le TNOR érige une gare à Noranda près de la mine Horne et une autre à Rouyn. Le TNOR draine dès lors une part importante du commerce vers l'Ontario. Toronto est pendant longtemps le principal centre d'approvisionnement de la région de Rouyn.
Toutefois, avec le raccordement de la région de Rouyn au réseau du CNR, le TNOR préfère ne pas prolonger son réseau vers la région de Val-d'Or. C'est le CNR qui développe par la suite le réseau ferroviaire en Abitibi. Avec le déclin du trafic, le Canadien National (CN) va progressivement, à partir de 1979, démanteler la ligne entre Taschereau et Rouyn-Noranda, La Cyclo-voie du Partage des eaux utilise aujourd'hui l'emprise de l'ancienne voie ferrée.
Rouyn-Noranda, une plaque tournante du réseau ferroviaire régional
Le Rouyn-Mines Railway et le TNOR vont jouer un grand rôle dans le développement de la région de Rouyn. La mine Horne et les autres mines profitent du chemin de fer pour évacuer leur production vers les marchés et pour s'approvisionner. La ligne Taschereau-Rouyn du CNR incite ainsi Noranda Mines à développer son secteur de la transformation du cuivre au Québec avec ses usines Canadian Copper Refiners et Noranda Copper and Brass à Montréal.
Le chemin de fer, un puissant levier pour le développement de Rouyn-Noranda
La construction du Rouyn Mines Railway incite la Canadian International Paper (CIP) à installer dès 1927 un gros dépôt forestier à Cléricy à la jonction de la voie ferrée et de la rivière Kinojévis. À partir de Cléricy, la CIP va exploiter le vaste bassin forestier des sources de la Kinojèvis et du lac Pressac. La présence de cette voie ferrée favorise aussi, l'installation, à partir de 1935, de familles de colons le long de son tracé et la création des localités rurales de Laferté, Mont-Brun, Cléricy et Destor.
Les villes de Noranda et de Rouyn dépendent pendant longtemps du chemin de fer pour leurs approvisionnements. Les entrepôts des grossistes en alimentation, en charbon, en essence, en matériaux, etc., sont établis le long des voies ferrées du CNR et du TNOR. Jusqu'aux années 1960, le train est un moyen de communication important vers l'extérieur tant pour le transport des personnes et des marchandises que de la production des mines et de la fonderie Horne.
Le Rouyn Mines Railway constitue le premier maillon du « chemin de fer des mines » aménagé entre 1933 et 1938 par le CNR pour relier Rouyn-Noranda aux centres miniers de Cadillac, Malartic et Val-d'Or pour ensuite rejoindre Senneterre sur le National Transcontinental. Des embranchements vont aussi relier au réseau les villages miniers de Duparquet et Normétal. Puis, une ligne ferroviaire est aménagée aux cours des années 1950 entre Barraute et la région de Chapais-Chibougamau. Les mines de ce secteur vont dès lors envoyer leur concentré de cuivre vers la fonderie Horne. Le chemin de fer constitue donc un puissant levier pour le développement de la région minière de l'Abitibi.
Reliées par le rail à Toronto, Montréal et Québec, Rouyn-Noranda, avec ses trois gares, devient rapidement une plaque tournante du réseau ferroviaire régional. En 2021, Rouyn-Noranda est toujours desservie par le CN et l'Ontario Northland Railway, le nom qu'a pris le TNOR en 1946.
Principales références
Alain Bernier, Le Rouyn Mines Railway 1926-1979, 2020.
Andréanne Lebrun, Le chemin de fer dans la région de Rouyn et Noranda : Un enjeu pour le contrôle du Nord-Ouest québécois, dans la revue Cap-aux-Diamants, No 112, Hiver 2013.
Benoit-Beaudry Gourd, Le klondyke de Rouyn et les Dumulon. Histoire du développement minier de la région de Rouyn et d'une famille de pionniers, 1982.
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