septembre 2020

De la marine de guerre à l'autoneige

Léo Carr

Promenade dans les rues avec une autoneige en 1948 (08Y,P124,P48-48-4), Bibliothèque et Archives nationales du Québec, Rouyn-Noranda.

À vrai dire, mon nom est « Kerr ». Je suis né de père écossais, arrivé en Beauce au début du siècle. Je suis venu au monde le 3 avril 1914 à Notre-Dame-du-Nord, Témiscamingue. On appelait ça la « Tête-du-lac » dans ce temps-là.

Ma mère était une Saint-Georges, de Belle-Vallée. Mon père était un Anglais, qui venait de la Beauce comme je l'ai dit. Mon frère Lucien était plus vieux que moi, et j'ai eu deux sœurs plus jeunes.

Mon père courait les jobs d'un bord et de l'autre, il ne pouvait pas rester en place. J'étais pareil. J'ai travaillé à plusieurs places : dans plusieurs mines à Arntfield, dont à Francoeur, à Noranda, à Val-d'Or, à Malartic, ouvrage toujours en dessous de la terre.

Dans les années de guerre 39/45, il y avait beaucoup de jeunes qui s'en allaient pour être soldats et quand on me demandait, je répondais : pas tout de suite, je vais attendre.

Le printemps d'ensuite, j'ai eu un accident à la mine et j'ai été, sept mois à l'hôpital. J'avais les reins cassés. J'ai eu de la compensation et après, j'ai eu la permission de travailler, mais pas à de grands travaux.

Mon frère était monté à Valleyfield et travaillait sur un plan de munitions. J'ai été le retrouver et j'ai travaillé durant quelque temps. Puis j'ai reçu une lettre de I'armée pour aller passer des examens médicaux ; je suis allé à Montréal et on m'a classé A-1. J'avais mes papiers comme quoi je m'étais fait mal, même que j'avais encore du mal lorsque je marchais trop longtemps. Je ne me voyais pas soldat ; alors, j'ai décidé d'aller dans la marine. Mais où je me suis adressé, il y avait suffisamment de soldats et je n'étais pas assez instruit pour avoir un poste important. J'ai pensé à la marine marchande ; c'était elle qui s'occupait du transport des munitions et des provisions pour les besoins des armées. J'ai été faire application là et on m'a dit que peut-être dans deux, trois semaines, il y aurait des envois, mais je n'avais pas les moyens d'attendre à ne rien faire. On parla de manœuvres pour des réservoirs d'huile qui se feraient bientôt. Alors, avec un autre gars, j'ai été m'adresser à ce Bureau et on nous a envoyé à Portland,

Il y avait un pipeline qui transportait de l'huile à Montréal. On faisait un voyage dans le sud de l'Amérique. On entrait à New York avec un convoi et on descendait ça, faisant un voyage par mois. Il s'en calait une couple de ces navires par mois… J'ai fait ainsi six voyages pour l'Amérique.

Lorsqu'on débarquait du bateau, on le rentrait en cale sèche pour le réparer. On m'a payé et j'ai signé pour aller dans un autre bateau. C'était le Gatineau Park qui transportait des munitions sur l'autre bord, en Angleterre. C'était chauffé au charbon alors que l'autre avant était à I'huile. Là, c'était salissant ; il n'y avait pas moyen de se tenir propre. Alors, j'ai travaillé sur un autre bateau qui était chauffé à l'huile ; c'était aussi un cargo.

Personne ne voulait s'embarquer sur un cargo à l'huile et je me demandais bien pourquoi. Un matelot qui s'embarque sur un tanker à l'huile vient porter sa charge dans le port, le décharge pendant dix, douze heures et repart par la suite, tandis qu'un cargo peut passer deux à trois semaines avant de repartir.

Pendant ce temps, c'est plus encourageant ; on peut aller à terre et se promener d'un bord et l'autre. J'ai fait ainsi une couple de voyages de marchandises vers l'autre bord (Europe) et on est revenu pour cette fois pour prendre une charge de blé à Vancouver. On est parti de Montréal pour continuer jusqu'à Philadelphie avec une charge de dix mille tonnes. On a monté à Vancouver ; c'était pour Harworth en Hollande. De là, on est revenu pour faire un autre voyage à Bordeaux, en France.

Un troisième voyage à Bruxelles. Là, il y avait de gros magasins-départements, remplis de linge, de marchandises de toutes sortes de choses qu'on ne pouvait plus avoir par ici. Ici, on ne pouvait même plus avoir un fer à repasser électrique, tandis que là-bas, y en avait en masse. Quand on était allé à Bordeaux, les magasins étaient complètement vides. Il n'y avait rien à manger dans Ies restaurants… les enfants n'avaient pas de vrai linge… ils étaient habillés avec des poches… leurs chaussures étaient faites avec des poches et les semelles étaient du câble roulé et cousu. On était en novembre et il faisait froid et les enfants gelaient.

Sur certains bateaux de guerre, il y avait de la nourriture pour six semaines quand on allait dans le sud. Après une couple de mois, toute la marchandise qui se trouvait sur le bateau était jetée à l'eau. Des caisses de beurre, des quartiers de bœuf aucunement entamés, à l'eau !

Pourquoi ? Parce qu'un autre dix mille tonnes s'en venait avec sa provision de nourriture ; il fallait prévenir les magasins pour la recevoir… Aussi, au quai de Vancouver, on jetait tout ça. On n'avait pas le droit de ne rien garder et si quelqu'un voulait une caisse de beurre ou d'autres marchandises qu'on jetait, on lui disait : « Plonge et va le chercher » On ne pouvait pas lui en donner.

En Angleterre aussi, au quai, ça sentait mauvais terriblement. De grosses toiles recouvraient des tonnes de jambon, de bacon qui pourrissaient là, alors qu'un simple individu ne pouvait en avoir… On avait droit à un œuf par semaine, alors qu'on en voyait des caisses se perdre. On guettait pour voir si on ne pourrait pas en cacher dans nos poches avant de descendre du bateau. Nous avions été une quinzaine de jours par là.

Au lendemain de la guerre, nous sommes arrivés en Angleterre. Un sous-marin allemand avait été saisi et nous l'avions visité. Il y avait tellement de bateaux, cent cinquante environ, qu'on ne voyait pas la mer ni à côté ni à la fin de pareil cortège lorsqu'on était dessus ; le bateau à côté pouvait se faire tirer dessus et disparaître sans qu'on en prenne connaissance. Nous nous sommes fait tirer dessus, mais c'est le bateau d'à côté qui a été calé.

Entre ces bateaux, il y avait des corvettes qui poursuivaient les sous-marins allemands et leur envoyaient des bombes. Ils contenaient dix mille tonnes de bombes et pas seulement des bombes, mais d'autres munitions. Dans les premiers temps, je gardais mon life jacket à la portée de la main, mais par là suite, je ne savais même plus où il était.

Quand un bateau à I'huile sautait, I'huile se répandait et elle était aussi épaisse que de la grosse mélasse, y avait pas moyen de nager dans ça ni de se sauver. Il y avait huit réservoirs d'huile pour approvisionner le bateau qui marchait à la vapeur.

On n'était pas autant pour le Canal de Panama parce que la guerre n'était plus que d'un seul côté. Deux bateaux se rencontraient difficilement dans ce détroit de 80 milles de traverse.

Quand je reviens au pays, la guerre est finie et j'ai rencontré un gars qui venait des environs de Toronto, Il me dit ; « On va là-bas, on va commencer à contracter… – Dans quoi ? J'le sais pas. »

On a eu un contrat de l'Hydro-Ontario pour couper du slash à la hache. 125 acres à la fois, on engageait des gens pour ça et ça nous donnait 10,00 $ de l'heure et on leur donnait 50,00 $. On travaillait aussi et on se gardait les plus beaux terrains, de même ceux qui étaient bien fournis.

Cela a duré quelques années, puis on a contracté pour installer des égouts… à Oshawa, Hamilton, Bradford, Bressury, London en Ontario. J'ai laissé ensuite pour le skimobile.

Je suis revenu au pays en disant que je retournerais en Europe, mais je n'y suis jamais retourné. C'est que mon père était tombé malade. Je suis demeuré dans les alentours et je prenais différents petits contrats en Ontario, d'un bord et de l'autre.

Mon père est monté par ici au commencement de 1900 au lac Fortune où s'est ouverte la première mine par Renaud et Olier. Rouyn n'existait pas encore. Mon père voyageait avec M. Gagné qui venait d'Ontario et qui a été par la suite le premier maire de Rouyn. C'était du temps où on avait commencé à construire le Pouvoir à Angliers et tout le transport se faisait avec des chevaux. Les grosses machineries venaient par bateau, de New-Liskeard et débarquaient à Notre-Dame-du-Nord, un monsieur Charlebois qui venait d'Ontario également et qui était maquignon de chevaux. L'ouvrage a duré à peu près deux ans et là, on commençait à parler de Rouyn.

Mon père qui était déjà venu en parler à monsieur Charlebois, il dit : « Albert, viendrais-tu avec nous autres ? On monterait par-là. » J'ai plusieurs chevaux et on monterait par là…

On passait sur des chemins d'hiver : Guérin, Nedelec… à la tête du lac Long… pour arriver à Rouyn. Ils se sont installés dans une écurie qu'ils ont bâtie, mon père et monsieur Charlebois, avec un petit office en avant, là où se trouve Alex Radio à Noranda. Mon père dit : « Y a une Mine qui voudrait que je voyage les big shots d'une mine à l'autre. Comme il parlait anglais, il n'avait pas de misère à avoir les jobs. Il avait une team de chevaux et il a fait faire une grande boîte pour mettre sur des sleighs et faisait le transport avec, Il est toujours resté par ici ensuite jusqu'au commencement de la guerre 39-40. Il est allé à Valleyfield, par en-bas, mais il est revenu vivre et mourir par ici.

Un « alligator », c'était un chaland avec des roues à aubes de chaque côté pour faire marcher le bateau. Il traînait des billots de la drave qui flottaient dans un boom, genre de grand collier fait de billots de bois attachés les uns aux autres comme pour faire un enclos.

J'étais tout jeune quand j'avais été sur le lac Expance (lac Simard) qui est un très grand lac, avec mon père. Il avait dit à son aide : « Va falloir passer la nuit ici parce que le vent est trop fort. » Ils ont été au large et envoyé l'ancre à l'eau.

En 1947, mon beau-frère ; Joseph E.S. Laporte dit Sam Laporte travaillait à une invention pour améliorer l'automobile d'hiver et j'ai embarqué dans l'organisation à titre de président de la Compagnie Canadian Skimobile Manufacturing Co.Ltd et on en a vendu quelques-unes. Le brevet est au musée Bombardier à Valcourt dans un cadre de cuivre. Un brevet, c'est bon pour 17 ans. Si tu changes quelque chose, tu peux encore « breveter » dessus. Au départ, nous n'avions pas encore monté tout le montage des machines à neige, car l'origine remonte au début de 1800 et c'est en Russie que le brevet avait été, accordé. Ce que Laporte a présenté d'invention était les ponts et les skis sur le côté de la machine qui faisaient en sorte que lorsque les ponts à chenilles en - dessous calaient dans la neige, les skis se retrouvaient juste à l'égalité de la surface et soutenaient automatiquement la machine qui alors continuait à avancer. Le pont des chenilles reprenait le contrôle ensuite et continuait la promenade. Ces machines se vendaient deux milles dollars, soit le salaire d'un homme à 75 cents durant deux ans.

Après le feu, j'en avais fait un avec mon beau-frère. On l'a encore ; on a été le chercher au camp de Sam où il traînait depuis dix ans, levé sur des billots comme démonstration. Pour commencer, on avait eu un contrat pour quatre skimobiles et des pièces de rechange. On est allé à la banque Toronto Dominion, je pense, mais on n'a pas été capables d'avoir une « cenne ».

J'avais une propriété, de même qu'un nommé Falardeau qui travaillait avec nous autres ; il était gérant à la mine Francoeur, mais il n'avait rien d'autre. Mon beau-frère non plus… il était à loyer. Falardeau et moi, nous avons été obligés de signer une garantie sur notre propriété pour se faire avancer de l'argent.

On était loin de la machinerie automatique et j'ai scié avec une scie à bras de… pieds de long. On avait essayé un moteur et il a brûlé au bout d'une journée. On en a vendu à I'armée, à Hydro-Ontario et à d'autres entreprises… une quinzaine environ. Nous avions dix, onze ouvriers embauchés quand malheureusement en 1957, le feu a pris à I'atelier et nous avons tout perdu.

Comme nous n'avions pas les moyens de remettre I'entreprise sur pied, il a fallu laisser tomber… Nous en avions un pour faire de la démonstration et nous avions été à Kapuskasing pour faire des tests. On aurait pu opérer par-là, mais Sam ne voulait pas déménager. Il voulait rester ici à Arntfield.

Y avait des compagnies qui auraient voulu acheter notre invention, mais mon beau-frère voulait garder le contrôle de l'argent. On a fait aussi des démonstrations sur le lac Osisko, mais dans ce temps-là, personne ne se dérangeait pour venir voir ; les mines commençaient à fermer. Je suis retourné sur le marché du travail.

Une nièce de Sam qui a hérité de ses parents, a trouvé dans ses valises tous les plans d'invention du skimobile. Avec la fille de Sam, elle a décidé de s'occuper de remettre en mémoire les idées de cet « inventeur », afin d'enregistrer des cassettes sur cette invention.

Mon esprit d'inventeur dort toujours en moi et j'ai inventé un jeu de quilles où I'allée n'a que 24 pieds de long par 24 pieds de large à 12 pouces de terre pour accommoder les gens de l'Âge d'Or et les enfants. J'en ai expérimenté les résultats dans une salle de loisirs et ça fonctionnait très bien. Malheureusement, les gens de l'endroit n'étaient pas intéressés à ce jeu qui était nouveau pour eux. Aussi, il aurait fallu deux allées pour donner un vrai service.

De même, j'ai inventé un « monte-charge », pour transporter un skidoo sur un automobile. Ce ne sont pas les idées qui manquent, mais I'aide financière à rendre le projet à son terme.

NOTES D'HISTOIRE

C'est dans les années 1920 qu'un inventeur américain fait breveter le terme anglais "snowmobile" (autoneige) après avoir équipé une auto Ford de modèle T de chenilles et de skis. À la même époque, à l’âge de seulement 15 ans, Joseph-Armand Bombardier commence à développer un prototype de motoneige. C'est en 1959 que Bombardier mettra sur le marché son modèle sportif de motoneige qu'il nommera Ski-Doo.

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