janvier 2020

En colonie

Desneiges Massé-Lacroix

Desneiges Lacroix et son père Amédée Massé à Bellecombe. Source: Milane Gascon

La colonie de Sainte-Agnès-de-Bellecombe s'est ouverte en 1935. Presque toutes les familles venaient du comté de Frontenac. Mon père était monté le 27 juillet pour construire les petits camps de bois rond. Nous, les familles, sommes parties le 12 décembre par le train et avons voyagé, durant trois jours. La dernière journée, tout le monde était malade ; ça vomissait partout. Rien que d'y penser, il me semble que ça sent encore. Lorsque nous sommes arrivées à destination vers 4:40 heures de l'après-midi, on n'a pas voulu nous laisser débarquer ; le soir arrivait et nous avions encore près d'une douzaine de milles à faire avant d'arriver sur place. Par précaution, toutes les portes du train avaient été barrées pour nous empêcher de sortir, et ce n'est que le lendemain matin que nous avons pu le faire. Il y avait beaucoup de neige.

Nous étions 27 familles ; il y avait des mères qui avaient accouché depuis peu de temps et d'autres enceintes. Ma mère était de celles-là. Elle devait accoucher au début de mars. Nous avons débarqué du train dans les environs de Granada dans le coin de la Northern Québec, et ce sont des tracteurs chaînés à des « sleighs » qui nous ont amenés au centre. Quand on arrivait pour descendre une côte, le tracteur qui avait long de chaîne finissait par être rejoint par les « sleighs » et « boum ! » sur le tracteur, ce qui était brusquement ressenti dans le groupe, surtout pour ces pauvres femmes qui ont eu un mal de ventre assez grave.

Enfin arrivés au village, on nous a servi à manger ; ensuite, chaque famille est partie chacune vers son petit camp. Pour notre part, nous étions à peine à deux milles de notre nouveau foyer. Les bagages étaient restés à la Northern Québec. C'est un monsieur qui avait un cheval et une « sleigh » qui est allé les chercher pour les apporter à chaque famille : le ménage, les couvertures, un peu de provisions, etc. Dans notre camp, il y avait déjà le lit que mon père s'était fait avec des branches de sapin. Les parents ont couché là. Quant à nous, les enfants, nous avons couché par terre ; à cet âge, c'était un vrai plaisir, car c'était nouveau. Ma mère elle, ne trouvait pas cela si drôle, pareille situation. Elle a accouché le 16 janvier. Heureusement qu'une infirmière était arrivée. Elle était montée en même temps que l'abbé Malouin ; c'était Mme Tanguay. Il n'y avait pas de médecin pour arriver avec elle. L'accouchement a eu lieu dans la nuit. Nous, les enfants, on nous avait envoyés chez le voisin, car… les « sauvages » venaient… on ne pouvait donc pas demeurer à la maison.

Nous sommes rentrés le lendemain matin. L'infirmière était retournée coucher au presbytère. Elle demeurait à huit milles de chez nous et avait fait le voyage en voiture. Une seule personne possédait un cheval, dans ce temps-là. La garde avait averti le curé qu'il y avait un nouveau-né et qu'il était en danger. Aussitôt, le matin nous avons vu arriver le curé qui venait baptiser la petite ; on ne s'attendait pas à ça… alors, pour la marraine et le parrain… j'ai été désignée avec mon petit frère qui n'avait que sept ans. Le curé a dit « S'il sait son Je crois en Dieu ». Mais il n'allait pas encore à l'école. La dame qui était venue assister ma mère avait un jeune garçon qu'on a été chercher et qui a été parrain.

Dans ce temps-là, les mères demeuraient neuf jours au lit. Ma sœur aînée avait 15 ans et elle pouvait aider beaucoup à cet âge, mais… pas de laveuse électrique, le lavage se faisait à la planche dans une cuvette, le repassage au petit fer sur le poêle. Pas d'eau courante pour la maison donc pas d'évier, pas de toilettes, pas de commodités. Toutefois, nous avions la chance d'avoir une source sur notre lot, de l'autre côté de la route ; on pouvait faire provision d'eau potable. Mais pour laver, on faisait fondre la neige. Ce qu'il fallait en charroyer, de la neige ! Beaucoup, pour obtenir une quantité suffisante d'eau pour faire le lavage.

Où nous demeurions auparavant, c'était près de la grand-route. Il y avait aussi le bois, tout près. En face, c'était un club appartenant à des Anglais. Nous traversions le chemin pour aller tendre aux lièvres. Imaginez-vous qu'à Bellecombe aussi le bois était tout près, chez nous même ! Juste en arrière du camp, on allait mettre des pièges pour les lièvres.

Quand arrivait la fin du mois, on avait une poche de farine, du lard salé et un « sciau » de graisse, du sucre, du sel… le principal. On mangeait des fèves au lard, des crêpes, mais bien plus souvent de la sauce brune avec du pain. Avec le chèque, mon père achetait quatre poches de farine (100 livres chacune). C'est dire que nous passions en pains une poche de farine par semaine. À seize personnes, ça passe. On ne s'est jamais couchés sans manger, mais ce n'était pas du steak tous les jours.

Nous avons eu une école trois ans après notre arrivée à Bellecombe. Pour ma part, je n'y suis pas allée. Lorsque j'ai eu 14 ans, j'ai commencé à travailler dans les maisons privées. J'avais 2,50 $ par semaine ; c'était le salaire du temps : $2,00 à 3,00 $ par semaine. J'allais chez les femmes qui venaient d'accoucher ; ça coûtait moins cher quand elles pouvaient attendre après l'accouchement pour nous engager.

Quand je ne travaillais pas ailleurs, je travaillais chez nous. Les plus beaux des garçons, lorsqu'ils pouvaient aller en dehors, ça leur faisait gagner quelques « cennes ». On pouvait faire de l'abatis, ça payait. J'allais aider mon père aux travaux dehors. Je travaillais plus dehors que dans la maison. Pour l'abatis, on ramassait les souches et les branches pour en faire un tas et on laissait sécher, puis on mettait le feu dedans. Des fois, mon père jetait du gaz pour faire prendre le feu.

Je mettais du gaz sur un abatis et mon père passait d'un abatis à l'autre et y mettait le feu aussi. J'avais encore la bouteille vide dans les mains et je regardais ça… Tout à coup, la bouteille m'a sauté des mains, je ne sais trop comment, et on ne l'a jamais retrouvée…

Nous n'étions vraiment pas riches, en colonie. J'ai vu mourir un petit bébé du voisinage. Cette famille ne mangeait que du macaroni. Pas aux tomates, pas rien d'autre. Elle n'avait pas d'argent. Comme la mère mangeait si pauvrement, elle ne pouvait pas nourrir son petit bébé. Son mari était un ouvrier qualifié ; c'est comme si son honneur avait été bafoué d'avoir à faire autre chose que son métier. Aussi, il ne comptait que sur le chèque mensuel pour faire vivre sa famille. Son épouse était couturière et travaillait pour d'autres colons, mais ils ne pouvaient pas la payer… ça ne rapportait rien à manger.

Quand le petit bébé est décédé, j'étais allée avec ma mère ; un vrai petit Biafrais comme on voit à la télévision ! Même que c'était pire ! Un vrai paquet d'os. On le voyait mourir… son souffle diminuait, diminuait… cela prit environ trois heures. C'était une pauvre famille de 12 ou 13 enfants, et c'était trop honteux d'aller quêter. Les autres de la maison pouvaient se réchapper avec le macaroni. Ce n'était pas toutes les familles qui acceptaient de ne manger que de la sauce brune avec du pain…

Tout le monde ne savait pas comment budgéter avec le chèque mensuel ; ainsi lorsqu'il y avait au magasin de grandes chaudières de confiture de pommes, de fraises, etc., ça durait moins longtemps que de la mélasse… On achetait moins de pain, moins de farine, et rendu à la fin du mois il n'y avait plus de manger à la maison. Il fallait attendre l'autre paie. Quand tu es assez vieux, tu peux te passer de manger, mais pour celles qui attendaient un bébé…

Chez nous, nous n'avions pas de vache. Ma mère a nourri le bébé un bout de temps. Il y avait du lait en conserve et nous avons été chanceux de réchapper ce bébé parce que l'infirmière, elle, ne pensait pas qu'on le réchapperait.

Nous avions une coopérative alimentaire ; pour les autres commissions, c'était tout à Rouyn. Il y avait un monsieur qui avait une grande « sleigh » et on lui donnait toutes nos commissions. Est-ce qu'on le payait ? Je ne le sais pas. C'était mon père qui s'arrangeait avec ça. Il devait bien lui donner un certain montant. Cet homme apportait du stock pour toutes les familles qu'il y avait à Bellecombe. Pour les patates, c'était mieux de ne pas en commander, car elles gelaient sur le voyage en hiver. Ceux qui les achetaient, lorsqu'elles arrivaient gelées, n'avaient plus qu'à les jeter… à moins de les laisser dehors et à en prendre juste au besoin pour cuire le plus tôt possible ; c'était mangeable, mais pas aussi bon que des patates fraiches. Pas question non plus en hiver de commander des œufs ; ça gelait. Mais nous avions de la poudre d'œuf.

Nous n'étions pas plus fins que les autres, mais parce que nous venions de la campagne, nous arrivions à nous débrouiller passablement. Mon père était garde-feu et ne travaillait que pendant l'été, là-bas.

Défrichement des terres et construction de routes et de maisons. Bibliothèque et Archives nationales du Québec, Rouyn-Noranda.

La deuxième année de la colonisation, nous avons semé entre les arbres ; on grattait pour trouver la terre, car il y a toujours une espèce d'humus fourni par les plantes sauvages, les feuilles, etc. Nous avons récolté des choux de Siam, que nous avons eus en grande quantité. Nous avons eu aussi des carottes et ça poussait bien. Pour les patates, ç'a été la troisième année, et nous en avons eu assez pour passer l'hiver.

L'école fut construite juste en face de chez nous ; nous étions tous chaussés de petites claques, mais, durant les beaux jours, nous étions nu-pieds. Quand un enfant faisait sa première communion, on lui achetait une paire de souliers neufs, mais après la cérémonie on les serrait pour servir à l'autre, l'année d'ensuite. Même chose pour la confirmation. Pour la messe des dimanches, nous avions nos claques et l'été, c'était des espadrilles (souliers de toile). Bien souvent sur la route, nous avions à peine un demi-mille de fait que nous enlevions nos chaussures…

Dans les films que nous avons vus sur la colonisation, on ne montre pas la misère que toutes les femmes ont eue. Nous étions arrivées en « sleigh » et, trois ans après, les familles arrivaient par eau à un mille et demi plus loin soit sur la rivière Kinojévis, en chaland, pour déboucher sur les rangs 7 et 9. Nous étions allées les voir arriver, ma mère et moi ; il pleuvait à boire debout ! Les femmes arrivaient de la ville en petits souliers à talons… Il y en avait qui « sacraient en anglais », comme on dit. S'il y avait eu une auto pour repartir, elles seraient parties aussitôt pour ne jamais revenir…

Bien des maris se sont fait traiter de fous et de pas bons et, dans certains cas, il est resté un froid entre les couples. Ces femmes ne pouvaient pas croire, ne pouvaient pas accepter que les maris les aient amenées dans un trou comme ça. Elles disaient : « Si au moins on nous avait prévenues, on aurait pu acheter des bottes ! » La malle d'ailleurs ne fonctionnait pas tous les jours… Il y avait de quoi être mécontentes. Il fallait marcher dans des routes trempées. Quand tu cales à moitié jambe… sur un film qu'on nous présentait, on voyait les gens qui arrivaient par un beau soleil… Ce qu'on avait vu, ma mère et moi, ce n'était pas la même chose… Le plan de colonisation s'appelait le plan Vautrin, nom du ministre de la Colonisation. Les colons traduisaient ça par « le Plan Vaut-Rien ». C'était en 1935.

Au début, les colons étaient payés au moins par un chèque, mais à mesure que la colonie avançait, on payait des primes sur les abatis, à tant de l'âcre, juste pour défricher. Ensuite, les souches étaient arrachées et on recevait un autre montant quand c'était terminé.

Les enfants grandissaient et allaient travailler ailleurs. Le chemin s'est continué deux milles plus loin. Le gouvernement donnait un montant d'argent pour le faire construire. Ceux qui pouvaient travailler là avaient un avantage de plus. Les colons devaient s'établir sérieusement sur leur lot ; il ne fallait pas qu'ils cherchent à trouver du gagne-pain à Rouyn. D'ailleurs, les chemins étaient presque inexistants ; il aurait fallu voyager à pied, à la fin du jour, faire 18 milles par toutes sortes de températures, et le travailleur serait arrivé tard après sa journée.

Il a fallu plusieurs années avant d'avoir un chemin carrossable entre Bellecombe et Rouyn. Nous sommes demeurés dans le camp de bois rond pendant quatre ans. Ensuite, mon père a construit au bord de la Kinojévis. Un de mes frères a pris le lot de mon père et nous, nous sommes restés au bord de l'eau.

Pour aller à Rouyn, comme il n'y avait pas encore de chemin dans notre bout, nous descendions en bateau jusqu'à Mc Watters. Il y avait un traversier dans ce temps-là. De là, nous prenions un taxi pour le reste du chemin jusqu'à Rouyn. C'est dire que nous n'allions pas souvent là. Le traversier était en action seulement pendant le jour. Nous étions partis de Lac-Mégantic pour venir par ici. Nous étions dans le dernier train, celui qu'on appelle fumoir ; c'était le wagon spécial pour nous.

Il y avait un vieux garçon et son cheval… logés à l'arrière, dans le wagon de fret probablement ; il traversait notre wagon pour aller soigner son cheval. Quand il y avait de longues courbes de voie ferrée, nous regardions par la fenêtre et nous pouvions voir la queue du train, c'est-à-dire les wagons de fret. Nous ne faisions pas la cuisine dans le train. Nous avions fait des sandwiches d'avance pour ces trois jours. Je me rappelle… l'eau n'était pas bonne et c'est comme ça que tout le monde avait été malade au dernier jour. Il y avait aussi une femme et son bébé de quinze jours ; elle était très fatiguée, rendue au bout. Elle pleurait continuellement. Les autres femmes tâchaient de lui venir en aide et prenaient soin de son bébé à tour de rôle. Nous, les enfants, on trouvait ça tout drôle, mais pour les femmes, c'était loin de l'être.

Il y en avait qui souffraient d'épilepsie, comme ça s'appelait… Moi-même, je suis sortie avec un monsieur qui souffrait d'épilepsie. C'est curieux, il n'a jamais eu de crise lorsqu'il venait à la maison. Même, un soir, nous avions été par eau en visite ; mon frère sortait avec une fille du rang voisin et nous nous étions embarqués. Ma mère ne voulait pas… elle craignait justement que le jeune homme fasse une crise et qu'on se noie.

Quand t'es jeune, tu ne penses pas ça possible et nous avons quand même fait le voyage qui nous donnait environ trois milles sur l'eau. Nous sommes allés chez lui et nous en sommes revenus après la veillée et il n'a fait aucune crise. Je ne l'ai jamais vu en état de crise et pourtant on a dit qu'il en faisait souvent… Il demeurait avec son père et il me disait que lorsqu'ils étaient chez eux, il aurait fallu qu'il suive un régime. Il trouvait que son père ne surveillait pas assez ce qu'il mangeait, car c'était lui qui faisait la cuisine. Une fois, au Mois de Marie, il était sorti pendant l'office ; je n'avais pas trop fait attention, mais quand nous sommes sortis, mon frère, qui était sorti avec lui, a dit qu'il avait fait une crise d'épilepsie.

Plus tard, il s'est noyé…

NOTES D'HISTOIRE

​Bellecombe, ce toponyme tire son origine du nom du capitaine Guillaume Léonard de Bellecombe, officier du régiment Royal-Roussillon de l’armée de Montcalm. Les premières familles de colons s’établissent dans le canton Bellecombe en 1935 et fondent la paroisse Sainte-Agnès. Puis suivra en 1938 la paroisse de St-Roch.

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