août 2020

La coiffeuse

Arline Perreault

Au début de notre siècle, à l'époque de la fondation de nos villes jumelles, apparut l'ondulation permanente qui fut une révolution dans le domaine de la coiffure… chez les femmes surtout. Des salons s'ouvrirent, dirigés en majeure partie par des femmes qui tinrent entre leur main le sort de toutes les têtes, couronnées ou non. Mademoiselle Arline Perreault, après 45 ans de métier, nous parle de sa boutique, l'une des années trente.

La première fois que j'ai entendu parler de permanente, c'était en 1926. Madame Paul Ducharme, sortant d'un salon de coiffure à Haileybury, en Ontario, nous arrivait à Rouyn avec le dernier cri de la mode : un indéfrisable dans les cheveux… qui lui avait coûté vingt dollars !

L'opération « frisage » se faisait de la même manière qu'aujourd'hui, à la différence qu'on frise maintenant à froid. C'est la solution imprégnée aux cheveux qui donne la permanente, alors qu'autrefois les bigoudis étaient reliés à des fils électriques suspendus sous un gros bonnet d'acier, tout comme nos séchoirs d'ailleurs. On descendait ce casque « d'armure » sur la tête de la cliente comme au séchage et, après quelque dix minutes, on reprenait la manœuvre à rebours pour y retrouver une tête bouclée comme un petit mouton de Saint-Jean-Baptiste. C'était « permanent ! » ; ça durait autant que les cheveux.

Comme tout évoluait très vite dans nos villes, alors qu'on devançait le progrès, des salons de coiffure s'ouvrirent à Rouyn et à Noranda dès 1927. Moi je ne suis pas une coiffeuse de la première heure. Au contraire, je n'étais jamais entrée dans un salon avant de m'adonner à ce métier commercial. C'est arrivé, d'ailleurs, d'une curieuse manière. Je dirais même d'une miraculeuse manière…

C'était en 1935. Ma mère venait de mourir et je vivais seule avec mon père qui avait 68 ans. Je ne voulais pas le laisser et je cherchais un travail qui ne m'éloignerait pas de la maison. Alors j'ai commencé une neuvaine à Notre-Dame pour trouver une idée de I'emploi que je pourrais obtenir tout en m'occupant de mon père. Au lendemain de ma neuvaine, une pensée subite me vint à l'esprit : aller chez un coiffeur et demander d'entrer en apprentissage…

À 1 heure p.m., j'étais rendue chez Lake, un Finlandais qui tenait son salon en haut de chez Rice, et je faisais mon admission. Il me dit : « justement une autre petite Canadienne a demandé son entrée… Vous allez apprendre en même temps ». Le 14 décembre, je commençais à apprendre mon métier. Ce cours coûtait 40,00 $.

Après les Fêtes, réalisant que j'aimais bien ce travail, j'ai décidé de laisser mon cours ici et d'aller tout de suite aux États-Unis, dans une grande école de Lewiston (Maine), pour me perfectionner. Là, ça coûtait 300,00 $.

En mai suivant, j'ouvrais mon propre salon sur la rue Gamble, à Rouyn sous mon nom : Arline. Le prix de la permanente était de 2,95 $. Il y en avait aussi de 5,00 $. La différence était dans la qualité de la solution ajoutée aux cheveux. La mise en plis était de 0,75 $.

J'ai travaillé toute seule durant une dizaine d'années. Je frisais huit à dix clientes par jours, six jours par semaine, I'année durant. Mes plus grosses périodes étaient Noël et Pâques qui me faisaient deux groupes définis. Le reste du temps, on laissait allonger ses cheveux pour me revenir au bout d'un an, les autres clients étaient l'occasion, mais aussi fidèles au bout de leur année.

Un an après avoir débuté, j'ai déménagé ici chez moi, rue Horne. Vers 1945, j'ai commencé à accepter des stagiaires ; j'en prenais trois à la fois, Je ne l'ai jamais regretté, car elles ont toujours été gentilles et d'un grand dévouement. L'ouvrage n'a jamais manqué, malgré le Père Beaudoin des retraites fermées qui ne m'avait pas fait d'annonce… Dans ses sermons, il disait que celles qui avaient plus de trois permanentes auraient toutes, après leur mort, des serpents qui se promèneraient sur leurs têtes… Ça n'aidait pas mon commerce. La coiffure n'est pas un métier difficile à apprendre, mais il faut quand même avoir le talent de le faire, le goût pour arranger les cheveux et une dextérité ; c'était exigé pour avoir son diplôme. Il fallait faire vite… boucler en dix minutes. En deux heures, je lave une tête, je coupe les cheveux, je donne le permanent et je fais la mise en plis.

Nous avons aussi des hommes comme clients. Autrefois, ceux qui venaient au salon étaient des jeunesses sortant des chantiers et qui cherchaient à dépenser de l'argent en faisant les magasins pour se mettre beaux, alors, pour faire une nouveauté, ils se faisaient friser. Aujourd'hui, même des professionnels de tous âges fréquentent les salons de coiffure et demandent une tête africaine.

Malgré la multiplicité des salons, je compte encore une clientèle de deux cents personnes qui viennent chez moi durant I'année. La spécialité de ma maison est la permanente et la mise en plis. C'est un petit salon sans autre prétention qui ne tient pas à s'occuper des teintures-à-problèmes ni des coiffures compliquées. Ma clientèle partage aussi mon amitié et sa fidélité est durable puisqu'elle me revient après mes absences de six mois en Floride.

Ainsi parla cette grande Dame aristocrate: Mademoiselle Arline Perreault.

NOTES D’HISTOIRE

Les salons de coiffure apparaissent à la fin du XIXe siècle, tout d'abord réservé aux hommes ils seront accessibles aux femmes au tournant du XXe siècle. Métier souvent pratiqué à la maison par les femmes comme source de revenu supplémentaire au ménage familial.

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