juillet 2020

La guerre, yes sir!

Marguerite Gauthier-Chauvette

Nous sommes arrivés à Rouyn à la fin d'août 1939. J'y venais avec mes parents qui voulaient ouvrir une maison de pension. J'avais fait la classe durant quatre ans dans ma paroisse de Guigues et je voulais me reposer de l'enseignement.

Au premier abord, j'ai été surprise des dimensions de cette ville par rapport à la paroisse que je venais de quitter, puis des nombreuses nationalités qui avaient dans le temps. On entendait parler différentes langues : polonais, ukrainien, russe, italien, anglais… et français naturellement ; beaucoup de monde qui, la plupart du temps, travaillait pour la mine Noranda. Moi, j'ai aidé à la maison jusqu'au début de 1940, car j'avais fait application en septembre précédent pour enseigner à l'École Saint-Michel, dirigée par les Clercs de Saint-Viateur, mais on ne m'avait engagée en février pour terminer l'année, abandonnée par un professeur malade. Pour commencer, j'ai fait trois ans, puis j'ai dû être au repos durant un an et demi. J'ai repris ensuite trois autres années. Je recevais, au début, 50,00 $ par mois et je trouvais ça bon puisque, à Guigues, on me donnait 30,00 $, ménage à faire compris et j'enseignais aux filles et aux garçons en même temps. À Rouyn, j'ai enseigné à la première année pour commencer et, plus tard, j'ai eu la quatrième année. L'uniforme était demandé dans une certaine mesure… pourvu qu'on porte une robe noire ou bleue marine avec collet et poignets blancs, sans spécification de modèle.

Nous étions à l'époque de la Guerre mondiale de 1939-1945. Je m'étais sentie transportée dans un autre univers, à mon arrivée, à cause de tout ce monde cosmopolite et, en plus, les rues étaient remplies de voitures de l'armée : des jeeps. On voyait beaucoup d'uniformes circuler à pleins trottoirs. Il y en avait partout.

Dans ma famille, personne n'a été appelé avant 1942. Puis mes frères ont été appelés. L'aîné s'est rendu à Arvida où son groupe était cantonné et il y a pris son coup de mort. Il y avait tellement d'aluminium partout dans l'atmosphère, jusque sur l'herbe. Prenant un bain de soleil, un certain jour, il a dû avoir une égratignure, car l'empoisonnement s'est emparé de lui et ça s'est tourné en leucémie. Il est décédé en 1951. Mon autre frère s'est rendu seulement à Valcartier. La guerre commençait à diminuer et il n'a pas été plus loin.

Les temps avaient été vraiment critiques quand même, au début, car les prévôts ou policiers militaires envahissaient villes et villages sans aucun respect pour l'intimité des gens. Ils entraient en pleine nuit dans les chambres, s'emparaient sans plus de façon des conscrits et les emmenaient manu militari. Parmi nos connaissances, il y eut un père de famille pas mal costaud qui, devant l'effronterie des prévôts, ne s'était pas gêné pour les ficher à la porter avec la même brusquerie. Les gens ripostaient aux attaques des « M.P. » aussi sauvagement qu'ils étaient provoqués. C'était une question de survie.

Dans les années 1940, Ernest Laliberté avec un copain devant le magasin Nick sur la rue Perreault à Rouyn. Bibliothèque et Archives nationales du Québec, Rouyn-Noranda.

C'était aussi le temps des fameux coupons de restriction sur la nourriture : le beurre, le sucre, la viande, etc. Chaque Canadien avait son carnet de coupons avec un nombre défini de timbres, valides seulement pour un temps déterminé. Il se faisait beaucoup de marché noir avec ces fameux coupons, car on n'avait pas droit de les donner à d'autres ni d'en user passé la date inscrite sur le carnet, chose qui se faisait régulièrement. Je me rappelle que chez nous, à la pension, c'était surtout le beurre qui manquait en premier. Maman « allongeait », si I'on peut dire, la livre de beurre en y ajoutant du lait et de la gélatine, je crois. Nous n'aimions pas tellement cela, surtout sur les rôties, car ça fondait et le lait se séparait de la gélatine… On souffrait des restrictions, mais on pensait à ceux de « l'autre côté », qui avaient à souffrir bien plus que nous… Les pensionnaires devaient remettre leur livre de coupons, pour les repas.

Après la guerre, les loyers se faisaient rares, mais ils n'étaient pas chers. Nous, on pratiquait une sorte de marché noir… il fallait débourser une somme rondelette pour avoir la clef des appartements. On disait : « Si vous voulez le loyer, il faudra également acheter les meubles qui sont dedans. » Bien souvent les meubles étaient tous justes bons à jeter au dépotoir, mais il fallait les acheter quand même si on voulait le loyer. Ainsi, lorsque je me suis mariée, en 1948, nous avons demeuré d'abord chez mes parents, au 8 de la rue Pelletier. Et quand, au mois de mai, nous avons trouvé un loyer, cela a coûté 70,00 $ pour avoir la clef. Il avait fallu acheter un vieux sofa où tu ne pouvais plus t'asseoir dessus, tant il était déformé, et un vieux poêle à bois qui avait dû servir dans les chantiers.

Pour en revenir à mes… professions, en plus d'enseigner, j'étais organiste bénévole pour la congrégation des Enfants de Marie dont je faisais partie à la paroisse Saint-Michel (car celle de Saint-Joseph n'existait pas encore), et ce, tous les dimanches, car il y avait une messe pour les enfants et, à tour de rôle, les élèves des différentes classes faisaient le chant. Il y avait aussi, tous les vendredis, une représentation sur la scène de la salle de récréation à l'école, donnée par les élèves de Saint-Michel de chaque classe, chacune à son tour. Il y avait du chant, des récitations et des séances plus poussées chez les grands de 10ème, 11ème et 12ème années. Là encore j'étais requise pour accompagner au piano.

Après mes dix années d'enseignement, je n'ai pas voulu continuer dans cette profession après mon mariage, maintenant toutefois mon poste d'organiste et même beaucoup plus qu'avant et desservant les paroisses environnantes pour toucher l'orgue lors des cérémonies religieuses : funérailles, mariages, messes spéciales, etc.

À l'image du titre d'un premier livre sur Rouyn-Noranda, on peut dire que… « J'ai vu naître et grandir ces jumelles ». Il y a eu des feux, souvent de grandes envergures qui faisaient des ravages, mais la ville renaissait de ses cendres au lendemain des conflagrations…

NOTES D’HISTOIRE

C'est pendant la guerre que le bénévolat féminin est à son apogée. Les femmes sont alors une source de main-d’œuvre gratuite pour le gouvernement. En 1940, le nouveau ministère des Munitions et des Approvisionnements est créé pour coordonner tous les aspects de la production de guerre. Puis en 1941, la division des Services volontaires féminins est organisée spécialement pour diriger le travail des femmes. On garde alors les noms de toutes les volontaires qui peuvent offrir leurs services.

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