mai 2020

La ménagère du presbytère

Madame Curé

Au début de la colonisation, dès qu'une localité s'érigeait en paroisse, on lui imposait la construction d'un presbytère-monstre ; la plus grosse maison du village. Généralement, il y avait moult appartements aménagés pour seulement deux personnes devant y vivre leur autonomie respective collatéralement et à l'année longue : le curé et sa ménagère.

Les appartements de surplus devaient servir surtout tous les trois ans, lors de la visite épiscopale de Monseigneur l'évêque et de sa suite, qui occupaient alors chacun une chambre et… une suite durant quelques jours.

À la disposition personnelle de monsieur le curé, il y avait, au rez-de-chaussée : le vestibule, un grand bureau-bibliothèque, un grand salon, un petit salon, une salle à manger, une chambre et une salle de toilette. La ménagère avait, au deuxième : une chambre, un boudoir ou salle de couture et une salle de toilette. Sur le même palier se trouvaient les chambres… et leur suite, destinées aux visiteurs.

Deux escaliers accédaient au deuxième étage ; l'un à la disposition du curé et de ses hôtes, non loin de la porte d'avant, et l'autre, au coin opposé, c'est-à-dire dans la cuisine, pour la ménagère ; car il y avait une grande cuisine avec « dépense », adjacente. À l'extérieur, une grande galerie partant de la cuisine faisait presque le tour du presbytère, pour se continuer à l'autre porte de la cuisine. C'était presque un éléphant blanc à entretenir, été comme hiver, alors que la froide saison ne faisait point de quartier.

N'était pas ménagère de presbytère qui voulait ; c'était une vocation de renoncement. Première exigence : l'âge canonique, c'est-à-dire dans la quarantaine au moins, de bonnes mœurs, une réputation sans tache et une conduite irréprochable.

À la ménagère de presbytère incombait la responsabilité discrète d'un ange gardien du curé, rôle ingrat et obscur il va sans dire. Par ailleurs, aux heures de bureau, qui n'avaient pas vraiment d'heures fixes, elle devait se transformer soit en gardienne, soit en secrétaire, réceptionniste, téléphoniste et, au besoin, garde-malade, conductrice d'automobile… jardinière même et jusqu'à fermière dans certain cas. Toujours à l'attention de son curé, elle vivait presque solitaire, ne pouvant pas vraiment s'éloigner du presbytère ni recevoir sans que ça dérange.

Ma ménagère-de-presbytère désirant l'anonymat, je respecte son désir tout en transmettant son récit :

Vue du presbytère et de l'église St-Michel sur l'avenue du Portage à Rouyn, début des années 1930. Bibliothèque et Archives nationales du Québec, Rouyn-Noranda.

Ma première profession fut celle d'institutrice ; j'ai débuté dans une école de rang située à un mille et demi de chez nous. Six autres membres de ma famille la fréquentaient et, sur semaine, nous dînions tous ensemble. Je gardais ensuite les trois plus jeunes à coucher tandis que les autres retournaient à la maison chaque soir.

J'avais quarante-cinq élèves répartis dans tous les grades de l'école élémentaire, de la première à la septième année incluse. C'était le temps où on appuyait les maîtresses d'école ; on ne critiquait pas et on ne faisait pas la grève.

Lors de ma troisième année d'enseignement, j'avais obtenu l'école d'un village avec autant de cours et d'écoliers. Je demeurais dans une famille et, pour payer ma pension, je faisais différents travaux ménagers et je m'occupais des enfants de la maison. Le curé de cette paroisse n'avait pas de ménagère. Sa mère, qui était presque aveugle, demeurait avec lui, de même qu'une fillette d'une quinzaine d'années.

Or, il arrivait souvent qu'il ait recours à la maîtresse d'école en l'occurrence moi - pour certains petits travaux de raccommodage ou encore de réparation du linge de l'église.

Il me faisait faire un noviciat sans que je m'en aperçoive. Un jour, sa mère partit pour Montréal et il me demanda d'aller demeurer au presbytère avec la petite fille déjà en place, pour diriger la maison préparer le souper, etc. J'y suis demeurée quelques jours tenant le rôle de… ménagère-de-presbytère.

Finalement, le curé m'a invitée à aller demeurer au presbytère aux mêmes conditions : travailler pour ma pension. J'ai accepté de terminer l'année ainsi et, en juin, j'ai laissé l'enseignement qui me donnait 30 $ par mois pour devenir ménagère-de-presbytère au salaire de 20 $ mensuellement, logée et nourrie en plus. Je ne chômais pas l'été.

Vue du presbytère et de l'église St-Michel sur l'avenue du Portage à Rouyn, début des années 1930. Bibliothèque et Archives nationales du Québec, Rouyn-Noranda.

Je suis demeurée quarante ans au service de ce curé. Cependant, j'ai toujours refusé de chanter les messes sur semaine et de faire office de sacristine, ce qui ne m'enlevait pas la corvée du lavage du linge de l'église : nappes d'autel et de balustrade, aubes et surplis aux milles plis à « craquer » après les avoir empesés, cela pour le même salaire ; de même que je devais traire la vache et voir au poulailler, parfois même soigner le cheval, car c'était l'époque de la voiture de trait. En plus de ça, il y avait un jardin à entretenir…

Après quinze ans de ministère dans cette paroisse, monsieur le curé a été transféré dans un autre endroit qui comptait bien une fois et demi le nombre de familles que nous venions de quitter. C'était à cent quarante milles de chez nous et nous nous sentions pas mal déracinés… l'ennui nous visitait souvent. Pourtant, ce n'était pas l'ouvrage qui manquait. Mais le curé avait une automobile et, de temps à autre, il devait s'absenter, même retourner au pays ; il ne m'offrait pas d'y aller, car je devais voir aux affaires du presbytère, plus la vache, le veau, les poules, les dindes et même les cochons, etc. ; mais nous avions aussi l'aide du bedeau.

Nous sommes demeurés là pendant dix-sept ans. Puis la santé de mon curé commença à décliner ; il a demandé à être transféré dans une plus petite paroisse, non loin d'un hôpital ; ce fut près de Rouyn où il œuvra pendant encore vingt ans.

Là, j'ai repris l'enseignement pour remplacer une religieuse qui était malade. Cette fois, une de mes sœurs est venue me prêter main forte. J'avais toujours fort à faire, car, cette fois, c'est la couture qui prenait mon temps libre. J'ai confectionné des soutanes et même un paletot pour monsieur le curé, et toujours sur le même salaire… J'avais repris l'école tout en demeurant la ménagère-du-presbytère ; j'étais toujours au poste et je servais aussi d'aide-garde-malade.

Un jour, il est décédé, mon curé, et malgré plusieurs offres de retourner comme « ménagère-de-presbytère », j'ai refusé catégoriquement, consciente d'avoir fait ma part largement.

Ce que j'ai trouvé de pire ? Les interminables dimanches après-midi où, n'invitant personne à me visiter, je me cloîtrais pour guetter la porte ou le téléphone afin de répondre avant que ce bruit ne réveille monsieur le curé qui, lui, faisait son petit somme.

NOTES D'HISTOIRE :

Dans les années 1940, ce sont en majorité des religieuses qui travaillent dans l'enseignement public dans les villes, par opposition à la campagne où la fonction d'institutrice est occupée par des laïques et à moindre salaire.

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