mars 2020

Le chantre de messe

Charles-Hector Lacasse

Avant le concile œcuménique tenu par Jean XXIII, les messes se célébraient en latin, du fait que c'était une « langue morte » dont les règles ne changent plus, et ainsi tous les catholiques du monde entier possédaient une langue commune permettant de communiquer entre eux.

Je me souviens que les honoraires demandés pour une grand-messe étaient de 3,00 $ messe chantée) donc 50 cents pour le chantre, et 1,50 $ pour une basse messe (messe récitée) sans chantre. Diverses intentions y étaient attachées : action de grâce, soulagement des âmes du purgatoire, demande de faveur, remerciement pour faveur obtenue, etc. Les basses messes étaient moins… « prisées » du fait que ça ne payait pas autant…

Pour le rituel de la grand-messe, le célébrant entonnait diverses oraisons : Kyrie, Gloria, Credo, etc., auxquels le ou les chantres répondaient sur le même ton : c'était comme un échange de versets, de psaumes entre eux. Le tout se terminait par Ite missa est (Allez, la messe est dite) alors que le chantre répondait par Deo gratias (Rendons grâce à Dieu).

Mais écoutons Charles-Hector :

J'ai rempli la fonction de chantre de messe sur semaine durant plusieurs étapes formant un imposant trente-cinq ans. J'avais douze ans lorsque j'ai commencé avec d'autres écoliers, dont mon frère aîné Jean-Marie et ma sœur Bernadette. Nous étions cinq ou six à nous partager les 50 cents quotidiens : Marguerite Pilon, Sarah et Mathilde Bellemare. C'était au temps de Mgr Eugène Geoffroy, premier curé de Lorrainville, dont j'ai été le premier baptisé.

Même si ça nous faisait 6,00 $ par semaine, la petite troupe de chanteurs s'est disloquée peu à peu et nous nous sommes retrouvés seuls, Bernadette et moi, pour chanter cette messe qui avait lieu à six heures et demie du matin tous les jours de la semaine, mauvais temps comme beau, hiver comme été, vacances comme temps scolaire… à part les trois jours de retraite des prêtres, annuellement.

Quand il y avait de la visite au presbytère, nous étions pas mal certains d'avoir deux ou trois messes supplémentaires à chanter, cela alors que nous étions « à jeun depuis minuit » afin de pouvoir communier.

Parmi les prêtres visiteurs, il s'en trouvait qui n'avaient pas « d'oreille » ou peu de voix. Tout de même, ils devaient chanter la messe. Nous étions jeunes et ça nous amusait beaucoup, surtout à la toute fin de la messe alors qu'ils entonnaient l'Ite missa est et que nous devions répondre sur la même… variante étirée en fioriture échevelée. Nous tâchions de fausser, note pour note, en réponse au pauvre célébrant, en chantant : Deo gratias.

Puis Bernadette laissa à son tour et je fus remplacé plusieurs fois ; on enviait peut-être mes gros honoraires de 3,00 $ par semaine, mais on n'a jamais eu l'assiduité au poste comme moi et on revenait toujours me chercher.

Le jour de mon mariage, j'ai même accepté le défi d'aller chanter à la messe d'une ancienne blonde qui convolait juste une heure avant moi. Par ailleurs, comme ma future était Enfant-de-Marie, c'était les demoiselles de cette congrégation qui s'occupaient du chant des cantiques, et notre voisin, Josaphat Baril, qui était un ténor sans pareil pour des lieues à la ronde, avait chanté la grand-messe pour moi.

Vint le temps où les salaires augmentèrent dans tous les domaines, même les honoraires de messe ; mais pas ceux du chantre qui, pourtant, devait être présent à la grand-messe du dimanche dans le chœur de chant, parmi les chantres, et parfois occuper la fonction de maître-chantre sans recevoir un sou ce jour-là puisqu'on chantait en chœur…

En plus de ça, il y avait les longues vêpres de l'après-midi dominical qu'il ne fallait pas manquer. Mes dimanches étaient donc coupés en deux. Les parties de balle étaient très populaires, chez nous, à l'époque ; je n'en pouvais voir que la fin. L'année courante, il y avait aussi bien d'autres offices religieux : Quarante-Heures (quatre fois par année), retraite paroissiale d'une semaine annuellement, Salut du Saint-Sacrement durant tous les jours du Mois de Marie, les offices du carême et la Semaine Sainte… et j'en oublie, surtout si je m'arrête à ces derniers offices où je passais plus de temps à l'église qu'à la boutique de forge et si j'ajoute que le samedi matin je partais après un léger goûter pour ne revenir que passé midi, tant était longue la cérémonie - toujours pour le 50 cents de la messe, sans plus.

Les salaires réguliers du temps étaient de 1,00 $ à 1,50 $ par jour ; je me disais que c'était bon de gagner une demi-journée de gage pour une demi-heure de chant. Tout de même, je ne pouvais vivre que de ça. J'étais forgeron de mon métier et en plus, je dénichais ici et là quelques petites « jobs » qui apportaient aide à la marmite.

Parfois, mon épouse aurait aimé assister à la grand-messe du dimanche, les beaux jours d'été, où c'était l'occasion de rencontres amicales à la sortie de l'église. Si alors je gardais les enfants à mon tour, le curé avait vite fait de m'avertir que ce n'était pas ma femme qui était chantre. Il n'était pas question de me coucher trop tard non plus, car je devais être dispos, tôt le lendemain ; si nous allions en visite ailleurs, durant les vacances, les enfants auraient tellement voulu prolonger la veillée et c'est à regret que je le leur refusais ; mon rôle de gagne-pain passait avant. Les enfants ont encore le mauvais souvenir de ces dimanches tronqués…

Aux funérailles et aux mariages, je recevais 1,00 $, soit le double de l'ordinaire. Il fallait tout de même que je prépare ma messe, c'est-à-dire prendre le temps de voir au missel et au livre de chant ce qu'il fallait exécuter, car il y avait beaucoup de choix. C'était alors des exercices de chants avec la chorale et la musicienne pour pratiquer, repasser les chants pour le lendemain.

Il y avait souvent de ces pratiques pour toutes les grandes fêtes de l'année : NoëI, Jour de l'An, Pâques, qui nous prenaient bien des soirées de la semaine. Aussi, la visite de l'évêque, ou encore des célébrations spéciales : noces d'or, jubilés, ordination, anniversaire de paroisse. Toutes ces solennités comptaient encore et toujours sur le chœur de chant, ce qui nous obligeait d'abandonner le foyer pour les nombreuses pratiques.

Les seules vacances que je pouvais prendre étaient les trois jours de la retraite des prêtres. Aussi, c'était la grosse fête ! Toute la famille prenait le train pour Baby (Geoffroy, devenu Angliers) où demeurait mon beau-père Ovila Marleau. Mais c'était la plage du lac Long, surtout, qui nous y amenait… Ah ! Les beaux pique-niques de cette longue fin de semaine ! La vraie sortie de l'année.


Chorale dirigée par le chantre de messe. Bibliothèque et Archives nationales du Québec, Rouyn-Noranda.

C'était un numéro spécial, ce curé qu'on se permettait d'appeler « Tit-Pit » Gauvin à son insu, surnom qu'il avait rapporté de son coin natal. Il avait bon cœur, mais au tempérament prompt, et il n'avait pas la langue dans sa poche. Une fois - la seule même - où j'étais arrivé en retard à la messe, il m'avait donné ma paie en disant : « Ta femme était-elle couchée sur ta jaquette, que tu n'as pu te lever à temps ! »

Nous avons eu dix enfants et, à l'heure de l'inscription aux registres, lorsque le curé me voyait arriver, il me disait : « Bon ! Quel nom impossible as-tu encore choisi cette fois ? » Car mon épouse rivalisait avec ses nombreuses sœurs pour trouver des noms qui ne soient pas portés par tout le monde. « Bah ! Qu'on les appelle donc comme on voudra : 'trou de c...' si on veut, qu'est-ce que ça me fiche ! ».

Un fait tragi-comique s'était produit un soir de carême, alors qu'il y avait foule à l'église pour la dévotion comprenant la récitation du chapelet, le sermon et le Salut du Saint-sacrement. J'étais monté au jubé comme à l'accoutumée, mais dans la chaleur et l'obscurité de l'endroit, surtout le fait que je venais de souper, je me suis endormi tout simplement, pour me réveiller… alors que le curé fermait violemment la porte de la sacristie. C'était terminé. Je n'en croyais pas mes yeux, mais, de mon observatoire, je réalisais que les gens sortaient des bancs et se dirigeaient eux aussi vers la sortie…

Honteux d'avoir ainsi failli à mes responsabilités, j'attendais que l'église soit vide avant de descendre, quand papa est monté voir ce qui se passait. Il était inquiet de moi, ne sachant pas ce qui m'était arrivé… J'ai appris alors que le pauvre curé avait entonné et répondu toutes les oraisons concernant le Salut - et c'était pas mal long - et il avait officié seul avec son enfant de chœur. Impétueux comme il l'était, il pouvait bien avoir fermé la porte durement.

Plus tard, à l'heure de la paie, il était calmé, mais il me dit « Tiens… c'est pour ton somme de l'autre soir. » Le comique de l'histoire est que je n'étais jamais payé pour ces offices auxquels je devais me rendre chanter.

La musique d'église ne s'écrit pas comme la musique courante que l'on trouve sur le marché ; le plain-chant, que j'avais appris sur les bancs d'école, était en notes carrées et la clef à la portée n'était pas la même qu'on trouve dans les cahiers de musique ordinaire. Plus tard, nous en sommes venus au chant grégorien avec des notes rondes, la clef de sol tout comme pour un morceau de piano populaire… d'où la rareté des chantres de messe, car il fallait souvent chanter au pied levé, en solfiant l'air tout simplement en lisant les notes… a capella, quoi ! C'est-à-dire sans aide d'instrument de musique. Je chantais ainsi toutes les messes sur semaine. L'accompagnement à l'orgue n'était que pour les dimanches et fêtes.

Il fallait toujours se référer aux intentions du jour, suivant le calendrier liturgique. Ainsi, on ne chantait pas de funérailles les jours fériés ; le service funéraire était remis au lendemain ou plus tard. Le Vendredi-Saint, plein de cérémonies tristes, n'était pas accompagné par l'orgue. Si la célébrité d'une fête surpassait celle inscrite au calendrier rituel, elle avait préséance.

Dans toutes ces prières que nous chantions, il était question de marques de respect, de vénération, d'hommage, d'amour, de suppliques à Dieu en souvenir des saints ou des choses saintes : Sainte Croix, Saintes répliques etc., désignées au calendrier liturgique annuellement. Ces chants étaient toujours en latin et, là aussi, il m'avait fallu l'apprendre.

Avant la messe, je consultais le livre de chant pour connaitre l'événement à mettre en évidence. Un matin, j'arrivai à l'église alors que se trouvait un couple dans le premier banc, ainsi que des gens qui devaient être des témoins comme pour un mariage. C'était trois jours après Noël ; il n'y avait pas eu de bans de publiés, je ne savais pas si le couple avait payé le spécial d'une messe ou si je devais chanter la messe du saint du jour. J'en étais là à me questionner, alors que le prêtre arriva à l'autel avec les ornements sacerdotaux ordinaires. Mgr Geoffroy - car c'était lui qui officiait- me lança un : « la messe du jour… les innocents ». Surpris de l'apostrophe lancée à la face des futurs mariés, je baissai le nez dans mon livre et de fait, j'ai pu lire : « 28 décembre, fête des Saints Innocents ». C'était leur jour, mais j'étais le seul à comprendre certainement.

Puis le concile de Jean XXIII, en voulant aérer l'Église, a fait en sorte que le latin fut remplacé par la langue du pays. Autrement dit, si tu étais Chinois, tu chantais en chinois dans ton église ; si tu étais Français, tu chantais en français, etc. Tous les paroissiens furent invités à chanter, et on ne m'a pas congédié… ni remercier. Comme tous les autres pratiquants, j'ai appris en même temps qu'eux que je n'existais plus en tant que chantre de messe. Le temps était révolu.

J'avais survécu à trois curés et, sans autre avis, j'avais à disparaître tout simplement. Les honoraires des messes, n'ayant plus à être partagés avec le pauvre chantre, avaient quand même haussé à cause des besoins du progrès…

NOTES D'HISTOIRE

Quand la religion était pratique courante au Québec, la musique avait une place de choix dans nos églises. C'était le fief du maître-chantre, du curé et de l'organiste. Le chantre était parfois rémunéré pour chanter les offices religieux et il recevait parfois un montant supplémentaire pour le chant que les paroissiens payaient à l'occasion des services funéraires, des messes anniversaires, etc.

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