mars 2020

Le citadin-colon, devenu directeur

Louis-Philippe Laurendeau

Extrait de son journal :

25 février 1923 - Je suis né à Montréal, rachitique, maigrichon, on me donnait peu de temps à vivre… à peine un an.

1929 - Élève des Frères de Sainte-Croix, je fais ma première communion d'une façon très spectaculaire : pantalons en bas du genou, brassard blanc, jabot dentelé, etc.

Suite à la crise de '29, c'est la misère partout, mais surtout dans les grandes villes ; la pauvreté règne. Une fois par semaine, au sous-sol de la maison de mon oncle, les vrais pauvres font la queue de la Saint-Vincent-de-Paul. Ils ont droit à un pain par semaine.

1932 - Mon père est sacristain à la paroisse Saint-Rédempteur ; je l'aide où je le peux, car je ne suis pas paresseux. À son insu, quelquefois, je grimpe dans I'un des clochers de l'église dont la hauteur est de cent pieds. Je m'avance sur la corniche en me tenant par un bras, pour mieux voir en bas. J'entends les passants qui me crient : « Aie ! Descends de là ! Tu vas te tuer ! » » Je le fais plus d'une fois, mais n'en souffle mot à mon père.

1934 - J'entends mes parents discuter en cachette… il est question de déménager en Abitibi… Youppi ! On va aller se promener ! C'est la crise économique et, comme résultat, les salaires ont baissé. Nous sommes sept enfants et, pour ma part, j'use deux paires de chaussures par été. Mon père gagne 15,00 $ par semaine et le loyer coûte 25,00 $ par mois… Ce départ amène quelques activités comme la vente de meubles en trop, I'achat de linge chaud, des bottillons pour tous, I'emballage du ménage que nous apportons et l'acquisition d'un gramophone, de disques de la Bolduc et d'autres objets indispensables.

Arrivée des colons par train en Abitibi, 1933. Bibliothèque et Archives nationales du Québec, Rouyn-Noranda.

10 octobre 1934 - Grand départ à la gare Moreau. Quelques parents et voisins sont là qui trouvent mes parents bien courageux. Pensez ! Nous nous embarquons pour l'Abitibi ! Quelques-uns s'essuient les yeux en cachette… Ça ne m'impressionne pas, je crains trop que mes parents changent d'idée… Assis dans le train depuis vingt minutes, j'ai déjà le nez collé à la vitre et j'ai hâte que ça décolle. Enfin ! Nous partons ! Ma mère trouve que je bouge beaucoup. Après dix-huit heures de brassage, de reculage et de chocs plus ou moins violents, nous arrivons enfin à Launay à 2 heures de l'après-midi, fatigués, éreintés, brûlés…

L'oncle Ovide Caron qui nous donnera l'hospitalité nous envoie chercher par son voisin avec sa Chevrolet ; il doit faire deux voyages et je suis dans le deuxième. Nous roulons à 25 milles à l'heure sur le chemin de gravier… du jamais vu pour nous les enfants ! Il tombe quelques brins de neige… nous grelottons. Avec la famille Caron nous sommes 12 personnes dans une très petite maison qui, heureusement, à deux étages. Tôt le lendemain, je vais avec mon père et l'oncle Caron voir notre maison sur notre terre, à 1/2 mille plus loin… Ouais ! Ce n'est pas un château. La maison est petite, à deux étages, pas peinturée… le plancher craque. Oncle Ovide, super optimiste, dit qu'avec de petites retouches ici et là nous serons très confortables… Après le contrat passé chez un notaire à Amos, l'ancien propriétaire de la maison a fêté ça au « caribou » durant un mois… Nous demeurons une semaine chez Marie et Ovide Caron puis notre ménage arrive par freight. Cela a pris quatre jours de freight pour venir de Montréal.

L'inscription à l'école, quelle épreuve !... Un lundi matin, dans cette atmosphère si différente de celle de Montréal. La discipline est faible ; on peut se parler sans que la maîtresse intervienne. La cinquième année avait cinq élèves seulement, ça ne fait pas sérieux pour moi. Et puis, ces lundis matins d'hiver, alors que ça fait deux jours que l'école n'est pas chauffée parce que la maîtresse pensionne en dehors ; on a beau bourrer la « truie » de grosses bûches de bois, nous passons l'avant-midi autour de cette fournaise, la vapeur nous sort de la bouche et nous piétinons sur place pour nous réchauffer. Je dois aller à l'école, mais je n'aime pas ça.

Mon père bûche du bois de chauffage et je veux I'aider. Pour subvenir aux besoins de sa famille, mon père se lance à la chasse aux lièvres. Au premier hiver, il en capture cent. Il sait comment tendre les collets, enlever la peau du lièvre, l'éventrer, etc. Le deuxième hiver, c'est moi qui étends les collets ; ma mère me dit : « Il faut en prendre, des lièvres, si on veut manger de la viande ! ». Le lièvre goûte le bois de tremble ; il est meilleur cuit avec du lard. Le gramophone… La Bolduc, on la fait « aller » et ce n'est pas pour rien que, rendu à 70 ans, je puisse encore chanter Les Maringouins.

Un colon qui transporte ses biens du train à la maison sur un traîneau tiré par des chevaux. Bibliothèque et Archives nationales du Québec, Rouyn-Noranda.

1935, vers février - Mon frère Georges, qui était postulant en communauté à Montréal, nous arrive par le train sans avertissement. Il est chaussé de petites bottines avec des claques et une petite paire de bas seulement. Il gèle littéralement. Je me trouve à la station de Launay par hasard, chaussé, moi, de mes mocassins et de trois paires de bas de laine… Ça fait quatre mois que mes parents n'ont pu payer la pension de Georges. Aussi, les Frères ont décidé de payer son passage et nous le retourner tout simplement.

L'hiver, nous voyageons sur le chemin de fer ; c'est la route la mieux entretenue pour marcher ou aller en traineau à chien.

Cette année, mon père a travaillé comme bûcheron pour Ambroise Ménard à raison de 1,00 $ par jour ; il a travaillé cent jours.

Je tente de poursuivre ma sixième année, mais j'ai toutes sortes de problèmes, pour ne pas dire toutes sortes d'excuses : semences, réparation de clôtures, récolte d'automne, etc. Plus tard, je ferai souvent allusion à mon cours à « l'Université de Launay ».

1936 - Nous possédons une paire de bœufs pour faire les travaux de la ferme ; ce n'est pas vite, mais c'est mieux que rien. J'ai un ami : Marcel Laroche. Il est mon aîné d'un an. Il ne rêve que des filles. Je vais chez lui et je deviens vite copain avec ses nombreuses sœurs. Ils sont dix-sept frères et sœurs. Les fréquentations amicales dureront plusieurs années. Pour mes treize ans, c'est la plus grande victoire ! Duplessis est élu premier ministre aux élections provinciales du mois d'août. C'est la délivrance des méchants libéraux patronaux d'Alexandre Taschereau. J'ai 15 ans. Je me promène de temps à autre avec les filles, le dimanche, mais nous ne passons pas devant le restaurant, car je n'ai pas cinq sous pour acheter un coca-cola. Habillé avec l'habit de mon père et son chapeau, je me trouve très bien.

1938 - Nous devons profiter des projets de travaux de colonisation qui passent. Georges et moi sommes engagés, car nous y sommes éligibles à titre de soutiens de famille. À nous deux, nous gagnons 35,00 $ aux trois semaines ; de quoi y vivre six mois. Cependant, le chèque fait au nom du père arrivera six semaines plus tard.

Un jour, revenant du travail, je fais face à notre taureau reproducteur ; il rôde autour d'une génisse trop jeune pour avoir des veaux. Je veux le chasser, mais il fonce tête première sur moi. Je dois sauter par-dessus trois broches piquantes de la clôture, à côté, pour ne pas me faire encorner ! Par chance que Georges, en arrière de moi, distrait « Jack ». Je peux m'enfuir en boitant ; je clopinerai deux mois. M... Bœuf ! À l'été, je travaille à un moulin à scie de François Gallichan ; ce genre de « canteur » se répartira sur trois ans. Ça permettra à mes parents de rembourser l'argent emprunté pour construire notre nouvelle maison. Je gagne 20,00 $ la semaine. J'ai seize ans, j'essaie de me faufiler auprès des filles, mais je ne suis pas trop chanceux. Par contre, le beau Georges l'est.

Maison typique de colon en Abitibi. Bibliothèque et Archives nationales du Québec, Rouyn-Noranda.

1940 - J'ai dix-sept ans, c'est toujours la guerre. Le premier ministre Mackenzie King nous avait promis qu'il n'y aurait pas de conscription durant son mandat. Cependant, l'Angleterre fait appel aux Canadiens pour défendre la… « Mère-Patrie ».

1942 - Je peux voter et je vote NON au plébiscite pour la mobilisation obligatoire. À Québec, 79 % pour le NON, mais dans tout le Canada, le OUI l'emporte par 65 %. Par la suite, je reçois une lettre recommandée du gouvernement canadien pour me présenter à mon entrainement militaire. Heureusement, Godbout a repris le pouvoir et les fils de cultivateurs sont exemptés… Une autre décision : les femmes auront droit de vote.

25 mai 1949 - J'ai 26 ans. Je débute à la mine Noranda sous terre. C'est un travail permanent ; je suis heureux. Mes premières impressions sur Rouyn-Noranda : quelquefois, de Launay, on voyait de la fumée dans l'air ; ça venait de Rouyn-Noranda. Dans ce temps-là, on n'appelait pas ça un problème d'environnement. On disait « Ils » nous empoisonnent, la mine Noranda et ses alentours… Il paraît qu'à quarante milles alentour il n'y a pas un brin d'herbe. J'avais treize ou quatorze ans, je rêvais d'aller voir ça ; je voulais voir si c'était vrai qu'il ne poussait rien. Je croyais alors que le monde de là-bas devait être vert.

Après avoir œuvré dans les chantiers, j'étais venu travailler pour la « grillade » (C.I.P.) durant neuf ans. Aussi, j'ai été bien surpris de trouver à Rouyn-Noranda du monde joyeux de bonne humeur et semblable à tout le monde !

1950 - Lors du mariage de mon frère Jean, c'est le coup de foudre pour une cousine de la mariée : Marie-Paule Giasson. Elle demeure à l'Islet où elle enseigne. Une correspondance s'établit entre nous et, aux Fêtes, je prends le train pour l'Islet. Peu après, c'est le OUI de la grande demande puis les dates à déterminer et les projets en cours à finaliser. Tout est discuté. Le même soir s'ensuivent des becs dont nous nous étions privés au nom de la morale et peut-être aussi pour éviter le péché mortel. La bague de fiançailles sera expédiée par la poste à l'occasion de la fête de Pâques 1950 et le mariage aura lieu le 4 août 1951.

Le voyage de noces est du genre un peu spécial, un aller seulement de ma part pour marier ma future, le retour à deux vers Launay et Marie-Paule y retournera seule un an plus tard. Je lui avais dit qu'on marchait sur l'or… ça l'avait impressionnée, la pollution qui tombait des cheminées de la mine, c'était de la poussière d'or… Quand on est à l'Islet, c'est loin l'Abitibi-Témiscamingue, mais mon épouse ne m'a pas quitté depuis et ça fait plus de 45 ans qu'on est mariés. Elle n'a pas lâché.

Août 1953 - La grève se déclare à la mine Noranda. Et notre maison à payer ? Mon père qui est sacristain à Notre-Dame-de-la-Protection m'offre son emploi pour le temps de la grève. Après arrangements avec le curé Pelchat, je deviens bedeau à 50,00 $ par semaine. La grève dure six mois et je serai bedeau pendant neuf mois, bien content ensuite de remettre cet emploi à mon père. Je piquetais la nuit tout en étant bedeau le jour.

Après la grève, je cumulai les deux métiers pour trois mois. Le curé était bien heureux du retour de mon père.

1956 - Grand tournant de ma vie : je suis embauché comme directeur général de la société Saint-Jean-Baptiste de l'Ouest québécois. Quel changement radical de travail ! Je n'ai aucun remords de mon départ de la mine alors que je lance à bout de bras, bottes, chapeau, vêtements de mineur, etc. J'ai le sourire facile. Trois enfants : deux filles et un garçon sont nés, et Marie-Paule reprend l'enseignement en tant que remplaçante à l'École Sacré-Cœur de notre paroisse ; $9,00 par jour, c'est bon à prendre. Un an plus tard, elle enseignera à plein temps.

Je me suis impliqué dans bien des actions sociales, telle la Ligue du Sacré-Cœur, le chœur de chant, les Campeurs où j'assumais des responsabilités sans compter mes peines ni mon temps. La vie a eu ses hauts et ses bas, mais nous y sommes passés à travers assez-bien merci ! La société Saint-Jean-Baptiste changea sa raison sociale par Société nationale des Québécois de l'Abitibi-Témiscamingue et, durant un quart de siècle, je m'y suis dévoué à fond avant de prendre ma retraite, à regret.

Maintenant, je jette un regard sur ce passé pour conclure que j'ai tâché de faire pour le mieux et je m'en suis tiré assez bien.

NOTES D'HISTOIRE

La Société Saint-Jean-Baptiste (SSJB) du diocèse de Timmins a été fondée en 1945. Elle change de nom en 1961 pour celui de Société Saint-Jean-Baptiste de l'Ouest québécois puis prend en 1972 le nom de Société nationale des Québécois de l'Abitibi-Témiscamingue. La mission de cet organisme était d’unir les Canadiens français pour la sauvegarde de leurs traditions, de leurs institutions, de leur langue et de leurs droits.

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