novembre 2020

Le parc botanique

Julienne Cliche

Julienne Cliche en 1991 en compagnie de Rémy Trudel, député de Rouyn-Noranda-Témiscamingue à lAssemblée nationale du Québec. (08Y,P250,S7,SS10,D30). Bibliothèque et Archives nationales du Québec, Rouyn-Noranda.

Je viens de Saint-Samuel-du-lac-Drolet, à environ 8,3 kilomètres de Saint-Joseph-de-Beauce. Nous sommes arrivés dans la région Abitibi-Témiscamingue en 1936. Au temps de la colonisation, mon père était arrivé un an auparavant pour construire notre maison. C'était à MontBrun, près de la Caste, en bordure d'Aiguebelle ; un endroit où la nature est superbement entourée de montagnes.

Mon père a toujours été amoureux de la nature, de même que ma mère qui aimait faire des jardins. J'avais quatre ans et j'étais toujours dans ses jupes ; ainsi, j'ai pris conscience de I'horticulture. Mais dans le temps, on n'entendait pas parler de ça ; c'était de l'ornemental, alors que I'agriculture servait à nourrir l'homme.

La région ne se prêtait pas beaucoup ni à l'un ni à l'autre. Cependant, maman réussissait à faire pousser des patates, des concombres, des tomates qui, même si elles ne mûrissaient pas dans le jardin, terminaient leur maturité sous le lit, à la chaleur de la maison. Les temps étaient durs et chacun devait se débrouiller avec les moyens du bord. J'ai dû commencer à travailler très jeune pour aider aux besoins de la famille. Je me suis mariée à 17 ans et j'ai élevé six beaux enfants.

Mon mari, par son travail, était souvent absent de la maison, et ma lourde tâche ne m'a pas empêchée de garder en moi la passion que j'avais pour l'horticulture. Le club des Pouces Verts, de monsieur Serge Labbé, m'a permis de faire des expériences et m'a motivée à approfondir mes connaissances. Mais je m'inquiétais : les arbres, les fleurs étaient souvent brûlées par les émanations des mines avoisinantes. Est-ce que nos enfants auraient besoin d'un masque pour vivre ?

Un rêve.

Une nuit, au plus profond de mon désarroi, voilà que je fais un rêve qui me bouleverse. J'étais dans un beau jardin rempli de fleurs où Jésus, me tenant la main, me conduisait. Son visage me regardait avec une grande bonté. Lorsque je me suis réveillée, ma vie de misère était remplie d'une lumière intense qui me donnait une énergie nouvelle.

Doucement, ce rêve semble vouloir se concrétiser. Lors d'un Forum ayant pour thème « Ville en santé », notre projet d'un parc botanique arrive bon deuxième, après celui de la baisse du S02 dans l'air de Minéraux Noranda. Des rencontres ont établi la marche à suivre : Frédéric Carrier, architecte, et Hélène Defoy, paysagiste, ont réalisé le cahier de charge et le plan d'aménagement. Mais voici qu'une fois ces préparatifs terminés, rien de va plus. Rien, rien ne semble satisfaire les attentes des dirigeants de la ville.

Un après-midi, Frédéric Carrier me donne rendez-vous au restaurant pour le lendemain midi. Il m'annonce que le maire Gilles Cloutier veut mettre la hache dans le projet ! Ouf ! Une douche froide ! Nous sommes à la mi-juillet, une tonne de monde travaille dans le parc, des subventions nous ont été accordées, des dons de toutes sortes me parvenaient, des espoirs avaient été créés… et moi, Julienne Cliche, j'aurais trompé tous ces gens qui m'ont fait confiance ! Pas question que j'abandonne !

Je me rends à mon chalet pour la fin de semaine afin d'être avec ma famille et me reposer lorsque, soudain, on vint me porter un message qui se lit comme suit : André Melançon, cinéaste, veut vous rencontrer. Je tombe des nues. Enfin quelqu'un d'important pourra influencer les décisions du maire.

Le mardi suivant est prévu pour le tournage du film Le soleil se lève au nord. Dans la réalité, il pleut abondamment et je me sens un peu perdue. Heureusement, le réalisateur reviendra le jeudi pour les « prises de vue », et le soleil se lève au nord va ouvrir le Festival du cinéma de 1991 à Rouyn-Noranda. Ce fut le « miracle », qu'il fallait pour donner aux résidants de la région le sentiment d'appartenance si fragile de notre coin de pays. Merci à André Melançon, ancien résidant de Rouyn-Noranda, qui est venu relever notre fierté.

Le parc botanique « à fleur d'eau », est un projet qui sait toucher le cœur des gens, car il représente I'espoir d'un mieux vivre collectif. Et c'est fleur à fleur que les jeunes des écoles, les employés des programmes sociaux en réinsertion sociale, les jeunes contrevenants, les bénévoles, mettent les efforts nécessaires afin d'y créer un milieu de vie qui embellira leur quotidien.

Jour après jour, le parc grandit à grand coup d'espérance et de sueurs, Julienne Cliche à la tête. Il y a tant à faire. Le plus difficile est de coordonner toutes les ressources, de parvenir à convaincre les autorités que nous possédons une ressource inestimable qu'il faut exploiter tant au niveau écologique qu'au niveau humain.

Le parc devient une attraction touristique très intéressante. Des gens viennent de partout pour le voir et ils sont surpris de tous ses attraits. « Comment est-ce possible en zone 2-A de réussir à faire un aussi beau jardin ? Comment faites-vous pour l'entretenir ? »

Le miracle, Julienne Cliche l'a fait en rassemblant toute une communauté, en lui donnant une vision d'avenir, en lui démontrant qu'en unissant les efforts, tout est possible.

Pendant plus de dix ans, le parc botanique « â fleur d'eau inc. », s'agrandit et s'embellit de plus en plus. Mais la foi des dirigeants ne tient qu'à un fil… Peu d'argent, des programmes sociaux à maintenir, le déficit zéro à atteindre, les dirigeants se retirent, prétextant que les emplois créés n'en sont pas de vrais.

Mais qu'est-ce qu'un vrai emploi ? Ne pourrait-il pas se créer des emplois permanents... Les dirigeants des services sociaux favorisent le placement de ses bénéficiaires au centre de récupération, en disant : « Ça, c'est des vraies jobs ». Quel manque de vision !

Je suis à bout de souffle. Mes espoirs et ma santé s'amenuisent de jour en jour et c'est bien à contrecœur que j'ai dû abandonner la réalisation de plusieurs années d'efforts soutenus, ainsi que celles de Patrice, mon mari, pour l'embellissement de la ville de Rouyn-Noranda.

Il faut le reconnaître, notre société n'a plus les moyens de participer à l'effort communautaire et l'association touristique n'a pas supporté les efforts du milieu pour mettre en évidence le potentiel de cette oasis de verdure au centre-ville.

La ville assure du mieux qu'elle peut l'entretien du parc. Il est là, il y restera. Chaque fleur, chaque arbre, chaque coin de pelouse a une histoire : la nôtre.

Je termine en citant une lettre que m'adressait, au nom de sa classe, une élève de quatrième année d'une école que j'étais allée visiter pour leur parler de botanique :

NOTES HISTORIQUES

Le lac Edouard est à l'origine du nom du Parc botanique à Fleur d'eau né au début des années 1990, du rêve de Julienne Cliche d'implanter un jardin au coeur de Rouyn-Noranda. Elle raconte son aventure dans son livre "La naissance d'un jardin nordique, à Fleur d'eau inc." publié en 2012. Après quelques années d'existence, s'est ajouté au parc, un jardin géologique où on trouve une collection de blocs de minéraux représentant les éléments géologiques spécifiques à l'Abitibi-Témiscamingue. Ce Jardin géologique comprend des panneaux d'interprétation relatant l'histoire minière et géologique de la région.

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