mars 2020

La pionnière

Oneida Fortin-Charlebois

MMon père était ouvrier à La Tuque et il travaillait dans un moulin à papier. C'était un chasseur et il était venu ici par eau : il s'était rendu à La Motte. Plus tard, comme il n'y avait plus assez d'ouvrage à La Tuque, il déménagea à Amos, mais comme il y avait encore plus d'ouvrage à Rouyn, il décida de déménager par ici ; c'était et 1926. Nous étions six dans la famille, dont les quatre enfants. L'aînée de la famille est venue travailler à Rouyn deux ou trois semaines avant nous. En 1927, le train faisait pour la première fois le trajet d'Amos à Rouyn. Il avait fallu attendre quelques heures à Taschereau où il y avait embranchement. Le train de Cochrane amenait des gens d'Ontario, tandis que celui de Québec, dont La Tuque, arrivait de son côté.

Déménagés à Rouyn, nous avons emménagé plus d'une fois avant de nous fixer vraiment en direction du lac Édouard. La maison appartenait à M. Wilfrid Perron. Puis nous avons habité dans un « shack » de la rue Principale, une propriété de M. Antonio Bissonnette. Ma sœur, Mme Jean, y demeurait déjà avec sa famille. Au bout d'un mois, mon père a loué un local et y a ajouté une rallonge ; c'est là qu'il a fait demander maman et les deux autres enfants.


Vue des rues Portage et Perreault à Rouyn, fin des années 1920. Bibliothèque et Archives nationales du Québec, Rouyn-Noranda.

Ma mère a pris des pensionnaires. Ils étaient quatre pour une chambre. Puis nous avons habité un autre « shack » de « logs », rue Perreault-Est ; c'était presque vis-à-vis le petit théâtre Lido. L'été, quand il faisait chaud, nous nous essayions sur les marches du perron et nous regardions, écoutions surtout les films qui se déroulaient au cinéma d'en face dont les portes demeuraient ouvertes.

J'ai été à l'école à Rouyn avec les sœurs du célèbre Félix Leclerc. Son père, Léo Leclerc, avait tenu une épicerie et il fut le premier agent pour la brasserie Molson. Félix avait 17 ou 18 ans quand il a quitté Rouyn pour aller au collège . Les demandes de travail pour moi étaient assez rares. Les principaux bureaux d'affaires étaient anglais et je n'étais pas bilingue. Finalement, j'ai travaillé chez M. Donat Ducharme qui tenait une maison de chambres. Je recevais 4,00 $ /semaine pour m'occuper du ménage de ces chambres en travaillant tout l'avant-midi jusqu'à 4 heures p.m. J'ai fini par me trouver un emploi de commis au magasin de Sam Bucovetsky. J'étais la première engagée par ici, car c'était un nouveau commerce de lingerie, rue Principale. Deux jeunes filles de Timmins étaient arrivées avant moi. Il y avait le vieux Sam Bucovetsky…

D'autres magasins de lingerie - Jack Meanswears et Luk's se trouvaient aussi sur la rue Principale. J'ai travaillé dans le sous-bassement ; ce n'était pas grand ni complètement creusé, à cause des roches qui occupaient le terrain. La partie où on rangeait le stock se trouvait sur un rocher, et on grimpait à même pour placer ou prendre ce dont nous avions besoin. On avait installé tant bien que mal des rayons sur et entre les rochers pour vendre des bottes aux mineurs, des habits de mineurs, enfin toutes les choses à vendre pour ce métier ; petit à petit, on a agrandi.

Vue générale de la rue Perreault à Rouyn, fin des années 1920. Bibliothèque et Archives nationales du Québec, Rouyn-Noranda.

La clientèle était composée de plusieurs nationalités, à part les Canadiens français ; il y avait des Anglais, des Polonais, des Finlandais, des Russes, etc. Ces derniers n'achetaient pas beaucoup de linge, mais ils fouillaient jusqu'au fond de chaque pile et dépliaient tous les vêtements qui pouvaient les intéresser le moindrement. Après leur départ, il fallait « refaire les tablettes ».

Je n'ai pas appris leur langue pour autant, c'était trop difficile. Dans ce temps-là, ce n'était pas l'habitude de prendre les articles qu'on désirait ; généralement on demandait au commis qui, lui, allait chercher l'article, l'enveloppait et nous le présentait. Nous avions beaucoup de misère à nous comprendre et je crois que c'est un peu ça qui a changé la manière de servir comme il se fait de nos jours en prenant ce qu'il nous convient pour le présenter au commis qui alors l'enveloppe et le remet au client avec la facture. Autrefois, c'était incongru de se servir soi-même.

Je me suis mariée à Emmanuel Charlebois. Nous avons eu dix enfants : cinq filles et autant de garçons. Mon époux travaillait pour Grosinger, un magasin général de la rue Perreault-Est, puis à l'épicerie de Conrad Lafond, non loin de là. Il était commis et livreur au besoin. Il s'est enrôlé dans la brigade des pompiers de Rouyn ; il fut l'un des quatre pompiers de la première heure.

Pompier de Rouyn. Bibliothèque et Archives nationales du Québec, Rouyn-Noranda.

Qu'est-ce que ça fait, une femme de pompiers ? Ça attend… Quand l'incendie est éteint, le pompier revient à la maison et on voit à ce qu'il se réconforte et se repose. Lors du feu de l'Hôtel Albert, Emmanuel a été un jour et demi avant de revenir à la maison. À ce même moment, il devait aller servir de témoin au mariage d'un cousin à Davangus : Damas Fortin. Il avait dû se faire remplacer.

Je me suis impliquée dans la société rouandaise durant plusieurs années. J'ai été directrice du chœur de chant à la paroisse Saint-Michel, je suis Fille d'Isabelle, j'étais Jeanne d'Arc. J'ai eu une agence de produits de beauté pour longtemps et j'ai bien aimé ce travail. J'ai aussi suivi des cours pour adultes, puis je me suis mise à la peinture. J'y trouve sérénité et joie, d'autant plus que mes toiles sont très appréciées.

NOTES D'HISTOIRE :

L’exploitation de la mine Horne permet la création de la ville de Noranda, ville de compagnie, ville planifiée. Un plan d'aménagement est prévu même avant l'établissement des travailleurs. Par exemple, on trouve aux bords du lac Osisko une large avenue bordé de belles demeures, dans d'autres secteurs de la ville, des maisons plus modestes pour accueillir les mineurs, tandis qu’en périphérie on y trouve Rouyn, une ville sans plan d’aménagement où le développement se fait selon la morphologie du terrain.

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