juin 2020

Le Théâtre Lido

Bruno Grenier

Nous sommes en 1939. Un incendie vient de réduire le théâtre Lido, premier de Rouyn, en cendres et j'ai pensé faire une entrevue avec M. Bruno Grenier qui a travaillé à ce théâtre dans ses débuts. Et alors il est arrivé un fait drolatique que je tiens à raconter. Célibataire endurci et bohème invétéré, ce monsieur n'a pas le téléphone et, pour le rejoindre, il me faut appeler à l'Âge d'Or Saint-Michel où il passe la majeure partie de son temps.

J'ignorais qu'il venait de perdre la voix à cause d'une laryngite et que cette voix qui reprenait timidement vie, était tout à fait méconnaissable, au point que je l'ai prise pour une voix de femme. Aussi, lorsqu'il me répond au téléphone, je lui demande de pouvoir parler à Monsieur Bruno Grenier. Il me demande ce que je lui veux. Interloquée de cette… indiscrétion pour moi c'est une femme qui me répond - J'ai idée qu'il doit être soudé à sa baguette de billard et qu'une… petite amie veut s'occuper de prendre ses messages. Ou encore je me dis : « Tiens, tiens le môsssieur a enfin une petite amie et elle le dorlote tout en régissant ses activités, hé ! hé ! hé ! »

Je consens à donner des explications : « Je voudrais rencontrer Monsieur Grenier pour des renseignements historiques. »

– C'est moi, Grenier, me dit-il de sa voix efféminée.

Je ne suis absolument pas convaincue ; elle est tenace, me dis-je, croyant toujours à la petite amie possible et entêtée. Têtue moi aussi, je lui dis qu'il me fallait prendre un rendez-vous avec lui pour…

– C'est moi, Grenier ! répétait-il tandis que je commençais vraiment à trouver la femme qui me parlait jalouse de vouloir absolument savoir le pour et le contre de mon entrevue avec le dit Bruno…

– Je ne reconnais pas votre voix, ai-je fini par dire.

Alors il me répond :

– Je le sais, j'ai une extinction de voix !...

Riant sous cape de ma bévue, je lui ai demandé un rendez-vous et, par les réponses qu'il me donnait, il m'a fallu réaliser que c'était bien Bruno Grenier à qui je parlais…

Et je vous livre l'entrevue en question :

J'ai travaillé au théâtre Lido de la rue Perreault-Est. Le propriétaire était alors M. Lapointe ; on l'appelait « chef Lapointe », mais il n'était pas chef par ici ; un gros et grand homme de 6 pieds, les épaules larges comme ça… En 1936, j'ai travaillé pour lui ; j'étais placier. Généralement, les films étaient en français, mais il y en avait aussi des américains… je pense qu'il y avait les deux langues, surtout à cause des films de cow-boys. Dans le romantique… il y avait Mae West… En même temps, il y avait le théâtre Alexander, rue Principale. Il était dirigé par Armand Dumont. Ce monsieur avait porté la soutane comme Frère, puis avait repris la vie civile. Il avait enseigné aux garçons, à Lorrainville.

Le petit Lido était aussi appelé le Régal… ou vice versa. Peu de temps après 1936, je dirais en 1938, il avait passé au feu. Le feu avait pris dans les fils en haut ; le monde sortait en panique. Moi, je suis sorti le dernier, comme un capitaine de bateau, tandis que les autres sautaient par-dessus les bancs en criant. J'attendais ; je ne voulais pas me faire écraser en me bousculant dans les portes. C'était un soir où il pleuvait, il tonnait et il ventait. J'avais dit à un copain : « Je vais aller au théâtre… » Quelque temps après, on a remboursé les gens qui étaient venus aux vues ce soir-là.

Il y avait du cinéma tous les jours, dimanche compris ; la salle était toujours comble et j'avais souvent de la misère à trouver des sièges pour les spectateurs. Il y avait deux films et un documentaire, surtout en anglais. Les enfants n'avaient pas droit d'aller au cinéma. L'entrée coûtait 25 sous.

Concert au théâtre Régal, affiche. Bibliothèque et Archives nationales du Québec, Rouyn-Noranda.

À l'époque, c'était la langue anglaise qui primait ; nous étions obligés de parler en anglais dans les magasins ; autrement, on ne nous servait pas. Même chose au téléphone. Suivant l'ancien système, tu demandais à l'opératrice de signaler pour un tel numéro et elle te répondait en anglais, te priant de parler anglais ! Comprenne qui peut. Le seul journal disponible, le Noranda Press, était un journal anglais. Le Nugget avait aussi paru, avant, mais avait eu peu de clientèle.

Puis il y a eu une grosse évolution au sujet de la langue. Par exemple, chez Bucovetsky, où toutes les engagées étaient des Canadiennes françaises, elles ne devaient parler que l'anglais. C'est alors qu'un comité s'est formé pour réclamer la langue française. Le curé Pelletier, le journal La Frontière des Oblats de Marie-Immaculée (avec Julien Morrissette en tête), puis le docteur Rioux. Ces promoteurs étaient des patriotes convaincus. Ça a changé bien des affaires. Il y a eu des assemblées où on disait : « PARLEZ FRANÇAIS ». Le mouvement a grossi et, aujourd'hui, tout est en français au théâtre, même les annonces.

En 1938, je demeurais sur la rue Gamble et j'avais un petit commerce de produits que je vendais de porte à porte. Les magasins, comme les maisons, étaient recouverts de papier goudron rough et noir sur la rue Perreault et même la Principale. L'hôtel Albert, par exemple je pense même que, sous ce papier, c'était un shack. On en a pourtant fait un grand hôtel. De l'autre côté de la rue, il y avait le magasin de musique Mignault. Avant ça, ça avait été à Laiterie Lapointe.

Le théâtre Régal, le premier théâtre de Rouyn. Bibliothèque et Archives nationales du Québec, Rouyn-Noranda.

À Percé, ma famille était un peu en moyens. Mon père a fait 50 ans de médecine. Son père (mon grand-père) était marchand ; il faisait le commerce du poisson. Il achetait tout le poisson des pêcheurs de Newport, etc. Le père de ma mère était aussi un marchand, à Percé, et il achetait les pêcheries des gens de Percé, qu'il expédiait aux États-Unis et en ltalie.

NOTES D'HISTOIRE

Appelées théâtres en raison de l'affichage anglophone de l'époque, les salles de cinéma étaient des lieux très fréquentés à Rouyn-Noranda. Le Théâtre Régal (ensuite nommé Lido, puis Odéon et finalement Rouyn) a été le premier lieu à diffuser des films. En 1949, les six cinémas en activité totalisent près de 760 000 entrées, soit une moyenne de plus de 2 100 entrées par jour alors que Rouyn-Noranda ne compte qu’une population d’environ 22 000 personnes. Le cinéma demeure la forme de loisir culturel la plus populaire à Rouyn-Noranda jusqu’aux années 1960.

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