septembre 2020
L’école des métiers
Marcel Beaulé
Dans les années 1929-1930, nous étions en pleine crise mondiale et nous demeurions sur notre terre. Je me souviens qu'on voyait passer beaucoup gens devant chez nous avec, comme havresac, une poche en jute sur le dos ; ils quémandaient leur repas le long de leur route et ma mère leur donnait volontiers.
Notre arrivée à Rouyn fut le résultat d'un testament. Nous devions encore sur notre terre 1 200,00 $ et on nous a obligés à vendre la terre à l'encan. Ma mère nous disait, après l'encan (où nous avions tout vendu : animaux, machineries-agricoles, mon cheval de selle) que tout ça avait donné 600,00 $ pour la terre au complet et le linge que nous avions sur le dos. Il nous restait une dette de 600,00 $ encore…
Nous avons été demeurer au village de Guigues durant six mois, puis nous sommes revenus à Rouyn. Mon père, de cultivateur qu'il était, est devenu ouvrier pour les besoins de l'endroit puisque c'était le temps des constructions.
Le premier endroit où nous nous sommes installés fut la rue Taschereau-Est. Aujourd'hui plus étendue qu'alors, mais dans le temps nous étions l'une des dernières maisons de la rue. Ensuite, c'était le bois debout, la forêt. Nous, les enfants, avons été à la petite école comme toute la gente écolière de l'époque ; et comme il n'y avait pas assez de place dans les écoles canadiennes-françaises, on en avait ouvert une dans une maison privée. On avait quatre classes et ça portait le nom d'école Pilon, près de I'atelier de l'imprimerie La Frontière, coin Perreault et Dallaire.
Les protestants anglais avaient leur école près de l'église Saint-Michel, de sorte que, deux fois par jour, on se rencontrait et, comme il y a toujours du grabuge entre les deux groupes, c'était alors la guerre rangée, surtout près du théâtre Lido. Bataille le matin, bataille le soir… c'est là qu'on a commencé à « aimer » les Anglais ; mais cela a bien changé depuis.
Comme tout garçon de bonne famille qui était poussé vers les études classiques, à l'âge de 13 ans, je quitte Rouyn et je me retrouve à Rigaud pendant six ans. Aujourd'hui, j'appellerai cela : ma prison. Plus tard, je disais à mes enfants : « Nous n'avons pas eu de jeunesse… » Je suis revenu du collège à 22 ans. Nous avions des vacances, mais la guerre s'étant déclarée en 1939, nous étions aux études.
La première année, je n'étais pas d'âge militaire, mais dans les dernières années nous l'étions, de sorte qu'il y avait un règlement : si on manquait un examen, automatiquement on se retrouvait dans l'armée. En jouant avec un peu d'astuce, j'ai pu terminer mon cours classique. Ce que je n'ai jamais compris, c'est qu'en Ontario il n'y avait pas cette obligation-là. Alors, pour faire ma philo I et II, j'ai déménagé au collège Sacré-Cœur de Sudbury, en Ontario. Ensuite, je me suis retrouvé en médecine à l'Université Laval. Mon père est décédé à cette époque et comme les bourses d'études n'existaient pas encore et que l'armée nous talonnait de plus en plus, je me suis retrouvé dans l'armée en 1944-1945. Heureusement pour moi, la guerre se terminait. Mais je n'avais pas grand-chose pour me bâtir un avenir.
La première « djobbe » que j'ai obtenue, tout comme mon copain Jean-Paul Allen, c'était celle de bûcheron, pendant que lui était entrepreneur forestier. Pour un gars qui rêve d'être médecin et qui finit par se retrouver au fond des bois comme commis… c'est un peu moins drôle.
Un jour - est-ce le destin ou Ia Providence ? – je faisais du « pouce » pour aller à mon chalet du lac Normand (que j'avais payé 300,00 $), car je n'avais pas de voiture. Voilà qu'un voyageur m'embarque et me dis :
– Je suis nouveau dans la place et je cherche un endroit pour aller à la pêche ; en connais-tu un ?
Alors je l'ai invité à mon chalet où la pêche était bonne. Nous avons fait plus ample connaissance, rendus là et il me dit à brûle-pourpoint :
– Tu n'as jamais pensé à I'enseignement ?
– Non, je ne suis pas passé par les écoles normales… je ne crois pas être capable d'enseigner.
– Voyons, je cherche un professeur de français pour I'école des Arts & Métiers ; et pour moi, si tu allais voir M. Beauchemin qui en est le directeur, probablement que tu ferais l'affaire et tu pourrais travailler là.
L'École des Métiers avait été bâtie pour une école primaire tout simplement. Mon épouse l'avait même fréquentée dans son enfance. On l'avait par la suite divisée en deux parties pour ouvrir l'École des Métiers. Un peu plus tard, toute l'école a été à la disposition de ceux qui voulaient apprendre un métier.
Au début, la directrice était une bonne Sœur ; une bonne vieille sœur américaine qui avait beaucoup plaisir à rire des Canadiens français parce qu'elle était un professeur d'anglais en même temps et, quand nous ne prononcions pas à l'américaine, elle trouvait ça bien drôle. Lorsque je suis entré là, c'était établi avec annexe à côté où il y avait deux ateliers d'ajustage mécanique, de soudure, de menuiserie, et on offrait aux élèves des stages dans chacun ; c'était la « crème » des élèves. Tous ceux qui ne réussissaient pas aux cours réguliers, on les envoyait aux Métiers, de sorte qu'avec cette clientèle nous sommes parvenus à faire des gens qui, aujourd'hui, lorsque je les rencontre, sont devenus beaucoup plus riches que moi à cause des connaissances qu'on leur a inculquées. On a fait des gars « pas trop pires » avec eux.
Nous avions donné aux élèves le choix du métier après avoir fait un stage dans chacun d'eux ; ils décidaient de celui qui leur convenait. Nous avions également ce qu'on appelle le cours technique, qui correspond aujourd'hui au cégep, et nous formions des professionnels ; je crois que c'est la meilleure formule. Avec toutes les enquêtes faites depuis le début, à un moment donné, je me suis retrouvé à la polyvalente D'Iberville. On nous avait demandé de faire ce qu'on appelle « le français-cadre » ; c'était supposé être merveilleux. Je n'avais pas trop confiance à ce projet et j'ai demandé à devenir un professeur de métiers, plutôt ; j'ai été en menuiserie. Déjà initié par mon père, j'ai suivi quelques cours et j'ai préféré cette nouvelle profession.
L'avenir a prouvé que j'avais raison quant au français-cadre, si on regarde comment la jeunesse d'aujourd'hui écrit en français…
J'ai donc fait 30 années d'enseignement et je revois ces maisons-là et, en même temps, les figures des différents élèves qui ont participé à ces constructions… Je me promène et je me sens fier d'avoir côtoyé ces gens qui me saluent avec joie en me disant : « C'était le bon temps !... »
Construit en 1938, ce bâtiment, de style Art déco situé au coin de l'avenue Dallaire et de la rue Mgr Rhéaume à Rouyn a été d’abord destiné à l'enseignement des filles du niveau primaire, par les Soeurs Grises, Devenu l’école des Arts et Métiers, le bâtiment sert partir de 1942 à la formation de futurs ouvriers dans les domaines de la mécanique, de l’électricité, de la menuiserie et de la soudure. Avec les années, se sont ajoutés des programmes en techniques minières et en entretien automobile. Vers la fin des années 1960, ces cours furent graduellement intégrés au secteur professionnel du Cegep de l’Abitibi-Témiscamingue.
Partager Facebook