août 2020

Les laitiers

Victorin et Joseph Dallaire

Laitier de la Laiterie Dallaire Dairy, établie depuis 1932, chemin Stadacona Road (700, Dallaire). Bibliothèque et Archives nationales du Québec, Rouyn-Noranda.

VICTORIN : puisqu'on veut rappeler les débuts de Rouyn, je présume qu'on veut souligner le curriculum vitæ des familles qui I'ont bâti. Alois voici la famille Dallaire, originaire de la Beauce, plus précisément du lac Drolet, près de Mégantic où le père possédait une beurrerie. Ce fut le lieu d'enfance pour les plus vieux de la famille.

Au début du siècle, le transport motorisé n'existait pas ; il n'y avait que la traction chevaline. Alors il fallait situer les usines de transformation assez près les unes des autres ; il y en avait quatre dans une petite paroisse, ce qui réduisait d'autant les revenus et insuffisant pour une famille en croissance.

JOSEPH : Albert Dallaire avait été un des premiers beurriers à avoir son permis d'opérer de l'école Saint-Hyacinthe. Il songeait donc à pratiquer cela quelque part.

VICTORIN : Le père regardait du côté des Cantons de I'Est, mais en même temps il se faisait une importante propagande en faveur de l'Abitibi. Il songea d'abord à pratiquer ce métier à La Reine, mais un autre l'avait devancé.

JOSEPH : Notre famille est partie de la Beauce avec trois petites vaches noires et blanches, quelques porcs et quelques poules. Notre père a dit « Nous allons étudier ce qui pourra le mieux nous aider à vivre. » Comme la vente du lait était un revenu de tous les jours, c'est le projet qui est demeuré ; le commerce des porcs et des poules irait par la suite.

VICTORIN : Notre père a été cantonnier pendant deux étés sur les routes de Macamic, en Abitibi ; ensuite les chevaux travaillaient selon les différentes demandes.

JOSEPH : Nous étions onze enfants ; la famille était presque au complet lors de notre déménagement à Rouyn. Seule l'aînée qui était mariée était demeurée à La Reine. Les garçons avaient été travaillés un peu en dehors, ici et là avant de venir par ici ; certains sont demeurés pour aider la famille tandis que d'autres cherchèrent à se placer dans les mines ou dans des emplois qui leur convenaient, suivant l'offre et la demande. Mon père tenait à posséder sa propre entreprise ; il allait donc commencer par l'industrie laitière.

J'avais onze ans à mon arrivée à Rouyn ; notre première adresse fut le 454 de la rue Rhéaume (qui est devenue depuis Rhéaume-Ouest). Il y avait une petite maison qui fut agrandie par en arrière et une petite étable pour loger nos animaux ; c'était voisin par I'arrière de la Taverne des Sports de Sam Lajoie, avenue Principale.

Tous les terrains des alentours étaient presque vacants. Nous avons bâti en 1931 : il y avait le poulailler où les vaches étaient logées en bas. C'était passablement défriché, mais il restait encore beaucoup de forêt. Les vaches avaient leur pâturage de jour à peu près où se trouve le terrain de golf ; elles revenaient en « ville » pour la traite du soir. Le clos de la nuit partait de l'emplacement du présent presbytère Saint-Michel et allait jusqu'au lac Édouard (jardin botanique). C'était clôturé, de la rue du Portage jusqu'à l'avenue Principale.

VICTORIN : Les porcs étaient un peu à l'écart et ils étaient nourris avec les déchets des restaurants, ce qui en faisait une viande très appréciée.

JOSEPH : Mon travail de petit garçon était d'aller surveiller au pâturage (golf). J'apportais mon Iunch du midi et je revenais à la maison le soir pour la traite ; ça donnait un bon mille de distance par des sentiers à travers bois puisqu'il n'y avait pas encore de chemin. En ce temps, nous avons eu jusqu'à vingt-cinq vaches, car il n'y avait pas de place non plus, en « ville ».

En 1933, nous avons déménagé pour établir une ferme avec bâtisse plus grande, suivant les besoins, et bientôt le troupeau de vaches a dépassé la centaine. La clientèle augmentait de jour en jour et le lait se vendait encore 10 cents la pinte, « qualité supérieure » au litre.

VICTORIN : Au début, il fallait acheter toute l'alimentation nécessaire aux animaux, mais après l'acquisition de la ferme, la construction de la grange, les défrichements successifs et I'achat des machines nécessaires, il fut possible d'en produire une bonne partie.

JOSEPH : Au début c'était nous, les enfants, qui allions livrer le lait directement chez les clients. L'hiver, nous étions aidés par notre gros chien noir et blanc, attelé à un traîneau. Puis ç'a été un poney pour un bon bout de temps, ensuite un cheval, puis deux chevaux, deux voitures, puis trois, puis quatre, le nombre augmentant d'année en année.

Il y avait aussi des clients qui venaient acheter directement le lait à la maison ; ce n'est qu'à partir de 1940 que les dépôts de lait furent laissés dans les magasins.

Ayant la possibilité d'aller faire des études dans un collège, je suis allé à Granby par le train, où se trouvait le Juvénat des Frères du Sacré-Cœur. Mon frère Victorin était allé au collège avant moi. Pour ma part, j'ai été parti un an et demi ; je suis revenu à I'automne de 1934.

J'avais quinze ans et c'était la première fois que je laissais ma famille pour aller au loin aussi longtemps. Je me rappelle de m'y être ennuyé terriblement. Un peu plus et je me serais sauvé.

Vu la distance, il est certain que certains étudiants éloignés comme moi passaient également les Fêtes au pensionnat. On nous organisait des activités, des travaux, des jeux, quelques sorties. Nous faisions une patinoire pour jouer au hockey, les menus étaient un peu plus soignés et nous organisions des pièces de théâtre ; mais au fond ça ne remplaçait pas la famille.

Naturellement, il y avait aussi les offices religieux et, tout « enfant de chœur », qu'on me nomme parfois, je n'ai jamais rempli cette fonction à La Reine, nous étions éloignés de l'église, de sorte que je n'étais pas familier avec ce service de liturgie.

Finalement, après réflexion et conseils de mon directeur de conscience, j'avais décidé de revenir chez nous. Quels changements j'ai constatés ! Ayant grandi, vieilli, mûri et devenu habitué aux dimensions de la ville, je regardais l'entourage… je trouvais que la maison était petite comparativement à l'établissement que je venais de quitter. Ce fut toute une différence et en beaucoup de choses.

Mes parents m'ont laissé libre de retourner au Juvénat, mais j'ai préféré quand même demeurer à la maison où le travail, réparti entre la ferme et le village, ne manquait pas. On m'a quand même offert de continuer d'aller à l'école de Rouyn, mais j'ai refusé ; j'avais quinze ans à ce moment et je ne réalisais pas le regret que j'aurais un jour de ce manque d'instruction. Mais… le train était passé.

Lorsque j'évoque le temps des Fêtes de mon adolescence, j'y revois les grandes réunions familiales d'alors chez les parents Dallaire-Bureau-Bouffard… Il y avait beaucoup de réjouissances, des repas fantastiques et des soirées animées de chansons, de danses qui se faisaient sur l'air des 78 tours que nous jouait le gramophone à manivelle.

La laiterie Dallaire fonctionnait à plein temps. Un bœuf d'attelage amenait les gallons de lait à la maison du village pour organiser la livraison. Bientôt, on acheta du lait des alentours, même jusqu'à une ferme de Senneterre.

En 1937, mon frère Philippe, qui était devenu homme d'affaires, achetait le commerce qu'il revendit en 1973 et qui fut revendu une nouvelle fois ; mais le sigle Dallaire est toujours à l'affiche.

VICTORIN : Pourrais-je ajouter que nos parents étaient de grands chrétiens, avec une foi vive qui leur donnait une force dans les difficultés. Nous leur devons une grande partie du succès de notre exploitation : la laiterie Dallaire.

NOTES D’HISTOIRE

La Laiterie Dallaire a été fondée en 1932 par Albert Dallaire, il fût l'un des premiers beurriers licenciés du Québec. En 1937, Louis-Philippe, fils d'Albert, devient propriétaire de la laiterie. Sous sa direction, la laiterie Dallaire fera l'acquisition de plusieurs autres laiteries de la région devenant la plus importante entreprise en Abitibi-Témiscamingue dans le secteur de la production laitière. En 1973, la Beurrerie Lafrenière de Laverlochère au Témiscamingue devient propriétaire de la Laiterie Dallaire qui continue d’opérer sous ce nom. En 1978 c'est le groupe Labatt qui devient le nouveau propriétaire. Puis en 1983, la Laiterie Dallaire fusionne ses activités Les Aliments Ault, une division du groupe Labatt.

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