juin 2020
L'immigrante
Georgianne Pelletier-Poiré
Ma mère venait de l'Islet et mon père du Nouveau-Brunswick. Suite à l'exode des Québécois vers les États-Unis, ils se sont rencontrés là-bas où ils étaient allés très jeunes, et je suis née aux États-Unis… J'ai oublié cette époque depuis longtemps.
Je suis venue très jeune par ici, dans la région, parce qu'il y avait des prêtres-colonisateurs qui vantaient d'une façon exceptionnelle les richesses de la terre en Abitibi ; ils avaient peut-être exagéré, car je pense que les gens n'ont pas toujours trouvé ça comme ils s'y attendaient.
Parmi toutes les paroisses de l'Abitibi-Témiscamingue, il n'y a aucune d'elles qui a eu un curé aussi original que le nôtre ; c'était le curé Langlais. Un être assez difficile à cerner parce qu'il avait un cœur d'or ! Par contre, il faisait des colères terribles, mais il pouvait tout donner par la suite. Pour survivre, il était obligé de garder des animaux ; il avait une écurie en arrière du presbytère et, avant d'aller dire sa messe, il était obligé d'aller « faire son train » traire la vache, donner à manger aux animaux, etc. À cette époque, comme on donnait la communion sur la langue, je vous jure que le corps du Christ a souvent eu une odeur de fumier de temps en temps…
Pour réussir à vivre il ramassait, toujours à la course, la crème et les œufs d'un colon à l'autre, parmi les localités se trouvant le long de la voie ferrée : Clova, Parent, etc., pour aller porter ça au train. Quand il partait pour affaires à Amos, il faisait le tour du village auparavant - encore à la course - et ramassait toutes les commissions de tout le monde, toujours extrêmement pressé. Il faut dire que dans le temps, quelques rares personnes seulement avaient une auto pour aller à Amos. Alors le curé prenait en note : une paire « de claques, telle pointure, une autre chose et une autre chose… Lui-même, d'ailleurs, faisait faire ses commissions par les autres pour avoir le temps… de faire les commissions des autres !
Quand l'évêque passait, grand fumeur de cigares, il laissait toujours des bouts de cigares dans le cendrier. Alors, après son départ, le curé ramassait ces bouts pour les mettre dans sa pipe et les fumer ; c'est dire qu'il ne perdait absolument rien.
Le Père Donat Martineau, o. m. i., racontait qu'un jour où l'évêque était en visite pastorale, le curé Langlais, tout en récitant le chapelet, dit à ses paroissiens : « Nous avons la visite de l'évêque… sa visite paroissiale… troisième mystère douloureux : le couronnement d'épines… demandons la patience… Je vous salue Marie… »
Des phrases me reviennent des sermons du curé qui était un ascète et vivait de privations. Par exemple, trouvant que le monde mangeait trop, il disait : « On creuse sa tombe avec ses dents » ou bien : « Trop manger fait mourir plus de personnes que toutes les guerres réunies ensemble ».
Dans le temps, tout le monde était pauvre ; nous n'en étions pas plus tristes pour ça ; n'ayant pas connu autre chose, ça ne nous manquait pas. La nourriture ? Je me rappelle que mon père aimait beaucoup les « ploids » autrement dit la galette.
Barraute a été fondée peu après Amos, soit en 1916 pendant Ia Première Guerre mondiale ; et la colonisation a repris pour de bon dans les années de la crise, mais les colons nouveaux étaient plus des citadins de Montréal que des fermiers de l'est du Québec. Déracinés de leur ruelle, ils n'avaient aucune préparation pour s'établir sur une terre où il n'y avait absolument rien de fait…
L'arrivée du train était un rendez-vous quotidien pour beaucoup de gens, surtout les jeunes… Je me rappelle avoir été au débarquement de colons qui venaient des grandes villes. Je n'avais jamais vu autant de beau monde réuni ensemble : permanente toute fraîche, belles petites robes, beaux talons hauts… pour arriver à Barraute !
Comme l'endroit était établi depuis quelques années, ce n'était tout de même pas si mal, mais ces colons devaient se diriger à Saint-Blaise, à Rochebaucourt, à Castagnier, au nord de Barraute, et nous les avons perdus de vue jusqu'à la fin de l'été, alors qu'une grande partie de ces gens revenaient prendre le train pour retourner d'où ils venaient auparavant, aimant mieux crever à Montréal que de continuer à vivre comme le dur été qu'ils venaient de passer sur leur terre.
C'était réellement pitoyable de revoir ces gens ; les permanentes étaient pas mal descendues, les talons hauts maganés et les bébés, surtout, mangés par les mouches noires et les maringouins. On n'avait pas de moustiquaires : essayez donc de dormir durant ces chaudes nuits d'été dans les coins non défrichés où les maringouins nous mangent tout rond ! Nous comprenions pourquoi ces gens ne restaient pas.
Le lac Castagnier a ceci de particulier : il a été colonisé et habité durant de nombreuses années par des Ukrainiens qui venaient de leur pays. Il y avait le Père Josaphat Jean, un prêtre de rite orthodoxe ou ruthène. Le Père Jean avait l'aspect des prêtres de l'Europe de l'Est, avec une très grande barbe. Pourtant il était natif de Saint-Fabien-sur-mer, près Rimouski. Comme ces gens ne savaient pratiquement pas parler français, juste quelques mots pour se débrouiller, et comme mes parents arrivaient des États-Unis, nous étions le refuge de ces Ukrainiens lorsqu'ils venaient au village ; il n'y avait que mes parents qui pouvaient les comprendre un peu. À la longue, ils ont appris le français et ils se sont débrouillés. Il semble qu'ils aient mieux réussi que les gens venus de Montréal pour coloniser.
Parmi ces personnes, j'ai connu Nick Lesik qui était le père de Marcel Lesik, maire d'Amos, qui a déjà demeuré à Rouyn. Ces orthodoxes faisaient leur signe de croix sur trois côtés ; c'était ce qui nous frappait. Il y avait également une famille de musiciens ; je ne sais trop comment s'écrivait leur nom… Soüp… comme la soupe Campbell, peut-être. Ils étaient tous des musiciens et ils jouaient un certain instrument de musique que je n'ai jamais revu par la suite. II y avait un de ces musiciens surtout qui était fameux pour jouer de cet instrument. J'ai lu dans La Frontière qu'il y avait un monsieur Peter Soüp décédé à Val-d'Or, trouvé mort dans ses appartements : c'était un de ceux-là, décédé à l'âge de 78 ans.
J'ai demeuré à Barraute jusqu'à l'âge de 13 ans puis j'ai été faire mon cours à I'École normale d'Amos. Mes parents demeuraient à Barraute, dans ce temps-là. Mon père était assez habile pour faire n'importe quoi comme ouvrier ; ainsi, il a aidé à construire les bâtisses pour les mines de Malartic, etc. Nous ne sommes jamais demeurés sur une terre ; nous vivions au village, et mon père partait de Barraute pour aller sur les chantiers de construction à I'extérieur.
Mon père, Zéphirin Pelletier, était un patenteux invétéré ; je pense que vous n'avez jamais vu son pareil. D'après ma mère, Ernestine Poitras, nous sommes passés près de devenir millionnaires bien souvent dans notre vie. Mais mon père était un inventeur, pas un homme d'affaires, alors ça finissait en queue de poisson. La dernière année, il a vécu au foyer Pie XII. Mes parents étaient déménagés-par ici, à Rouyn, et je suis venue enseigner à Rouyn-Noranda.
La région a connu deux vagues d'immigration européenne. La première (1925-1939) fut constituée majoritairement de mineurs venus du Nord Ontario. Suite à la grève des "Fros" en juin 1934, beaucoup de ces travailleurs d'origine européenne sont expulsés des mines pour être remplacés par des Québécois. La deuxième vague (1945-1955) cherche dans l’après-guerre à répondre à la pénurie de main-d’œuvre dans les mines de l’Abitibi. Les compagnies minières vont alors recruter des travailleurs en Europe dans le bassin des personnes déplacées par la guerre connues à l’époque sous le nom de "D.P." (displaced persons).
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