octobre 2020

Nonagénaire et pionnière

Berthe Baribeau-Marchand

Banque nationale à Rouyn (08Y,P123,S1,P137). Bibliothèque et Archives Nationales du Québec, Rouyn-Noranda.

« Nous étions une famille de douze et nous demeurions à Sainte-Geneviève-de-Batiscan. En 1920, mon père et les trois plus vieux de la famille étaient montés à Amos pour s'installer sur des terres de colons. Mon père avait acheté des lots en bois debout, dans le rang 8 et 9, et chacun s'occupait à défricher et à bâtir sa maison. Pendant trois ans, ils voyagèrent de Sainte-Geneviève à Amos.

En janvier 1923, les maisons étant suffisamment bâties, les familles commençaient à s'installer en Abitibi. Mon père était revenu à Sainte-Geneviève pour organiser notre déménagement et nous faire prendre le train. Arrivés à Amos, nous avons logé chez un de mes frères. Nous étions tous voisins, à six milles d'Amos et à quatre mille de Landrienne qui était un très petit village…

Peu de temps après, mon père a pris le train à son tour pour nous rejoindre ; mais parce qu'il avait tenu à amener avec lui un jeune poulain ; il avait dû voyager dans le wagon à bagages pour s'occuper de la bête en cours de route.

Il y avait eu un arrêt de trois jours à Hervey-Jonction pour un transfert de ligne et, pendant ce temps, comme une de mes sœurs vivait là, mon père est allé demeurer chez elle alors que son poulain restait dans le freight. Par ce froid d'hiver, mon père devait faire plusieurs voyages chaque jour pour s'occuper de la jeune bête.

Fatalement, mon pauvre père a pris froid et il a développé une pneumonie double. Il était si malade à son arrivée à Amos que, malgré les soins des médecins, il est mort peu de temps après.

Pauvre maman qui perdait son mari si brusquement en arrivant. Elle se retrouvait seule avec ses quatre derniers sur une terre prête à la culture. Les plus vieux étaient déjà établis, mais nous étions encore quatre à la maison : deux filles, deux garçons, et les autres aussi avaient souvent besoin d'elle. Elle se retrouvait à bout de ressource, loin de ses racines et sans aucun secours des gouvernements. Nous sommes demeurés à Amos pendant quatre ans, dans cette maison qui n'était pas encore organisée pour l'hiver. Aussi, durant la froide saison, nous demeurions chez un de nos frères et nous revenions dans notre nouveau chez nous au printemps. Nous avions des poules et un grand jardin. Maman s'occupait d'aller au marché, vendre le fruit de nos récoltes. Les garçons travaillaient sur la terre et ceux qui étaient déjà établis donnaient un coup de main à l'occasion.

J'avais seize ans. Ma petite sœur allait à l'école tandis que je demeurais à la maison avec maman. Un jour, un monsieur Cyr était venu me chercher dans le rang. C'était un ancien Frère ; il faisait du transport avec ses chevaux. Sa femme était malade et il n'y avait personne pour s'occuper d'elle. J'y suis allée quelque temps.

Barber Shop, rue Perreault Est (08Y,P117,S2,P121). Bibliothèque et Archives nationales du Québec, Rouyn-Noranda.

En 1925, mon frère aîné qui demeurait avec nous avait décidé de tenter sa chance à Rouyn avec ses chevaux et il était venu ouvrir un service de transport. Le plus jeune l'avait ensuite rejoint et, en 1927, ma mère avait décidé de déménager à Rouyn à son tour. J'avais 21 ans.

Mon frère était venu nous chercher en automobile, mais le ménage avait été, mis sur le train. Mais quel voyage ! Il a duré toute la journée. Les routes étaient impossibles, boueuses et pleines de cahots. Quand on est arrivés à Rouyn, on a vu des cabanes et pas de vraies rues ou si peu… Un bout de trottoir sur la principale rue… Ce n'était pas drôle. Mais on s'était tellement ennuyées à Amos que je ne serais pas retournée là. Tellement ennuyée de mon village qu'on m'avait conseillé d'y retourner pour me contenter et que ça me ferait du bien. J'y suis allée avec ma sœur et, c'était vrai, je suis revenue plus raisonnable.

À Rouyn, coin Principale et Perreault, la maison qui semblait d'importance était celle du magasin K. Joseph. La famille s'est installée sur la rue Bagshaw (auj. rue Dallaire). Nous étions encore quatre à la maison, plus maman. Comme elle faisait de l'asthme, la pollution de la mine a été très dure pour elle.

La première année, je suis restée à la maison ; ensuite, j'ai été travailler à la Banque Nationale, rue Perreault, pour le gérant, monsieur Arthur de La Chevrotière. J'avais un ami depuis Amos : Antonio Marchand. Nous venions presque du même endroit, à Batiscan, mais je ne le connaissais pas avant. J'étais amie avec une de ses sœurs et j'allais chez elle. On y allait en groupe et j'avais fait sa connaissance. Peu après, il venait chez nous et il avait commencé à me courtiser les bons soirs : mardi, jeudi, samedi et dimanche (après-midi et soir). On disait que les autres jours, c'était pour les jaloux.

Il travaillait chez un boucher ; il vendait de la viande. Un jour, il est parti pour aller apprendre le métier de barbier à Montréal. C'est durant ce temps que nous avions déménagé à Rouyn. Aussi, il est venu nous retrouver et il a exercé son métier de barbier au salon de monsieur Kruger.

Nous sommes sortis ensemble durant huit ans. Nous n'avions pas les moyens de nous marier. Pendant ce temps, il cherchait à ouvrir son propre salon de barbier. Les temps étaient durs et les distractions étaient faibles. Nous allions patiner à l'aréna de Noranda, il y avait aussi des parties de hockey. Nous allions au théâtre quelquefois, à des parties de cartes où se jouaient le euchre, le cinq cents, le rummy. Nous lisions.

J'ai aussi travaillé à la Laiterie Lapointe sur la rue Principale. C'était un gros travail. Il y avait des enfants et la mère venait d'avoir un autre bébé. La fille qui travaillait là auparavant était partie, et madame Lapointe avait besoin d'aide. Elle est venue me chercher. Je ne voulais pas y aller, car je devais me marier dans deux mois ; je préparais mon trousseau de mariage. J'ai fait quand même un mois et il me restait un mois.

En 1931, nous nous sommes mariés à l'église Saint-Michel, un samedi matin, à huit heures. Je faisais partie de la Congrégation des Enfants de Marie ; alors, je me suis mariée vêtue de la grande robe blanche avec un long voile sur la tête. Le dîner de noces s'est fait chez nous, puis nous avons été à Amos chez les parents de mon mari pour souper. Le lendemain, nous sommes partis en voyage de noces à Montréal. Au retour, soit en 1932, mon mari a acheté une cabane sur la rue Principale dans laquelle il a tenu son salon de barbier et un petit restaurant.

En 1936, il a fallu faire un peu d'amélioration à la bâtisse pour qu'on puisse y avoir notre logis, tout en gardant l'espace pour son travail et le restaurant. En 1946, la ville de Rouyn a décidé de refaire la rue et le trottoir en asphalte et pour ça, niveler le terrain. Nous nous trouvions alors à trois pieds plus bas que le reste de la rue ; il nous a fallu faire encore d'autres travaux en conséquence et, cette fois, nous avons fait construire un troisième étage. Le sous-sol servait à la salle de billard, le rez-de-chaussée pour le salon de barbier et le restaurant, et par la suite, pendant plusieurs années, un magasin de lingerie et une mercerie. La famille y logeait aussi. Au troisième étage, on louait des chambres à la semaine : $5,00 pour deux personnes ou 2,50 $ pour une.

En 1944, on avait acheté le bloc du coin Principale et Perreault et là, j'ai tenu un petit magasin de coupons dans le sous-sol, mais nous habitions l'autre maison parce que le haut était loué à d'autres gens de commerce. C'est vous dire qu'on avait de quoi faire.

Les enfants grandissaient, ils allaient aux études et je n'avais plus d'aide à la maison. Puis on a fait construire une maison près du lac Osisko. Là, j'ai installé une salle de couture pour faire des tentures, des rideaux, des coussins, des draperies et beaucoup d'autres choses. J'avais quatre machines à coudre et une employée régulière : c'était Madeleine Parenteau, une cousine. Elle finissait sa journée à dix heures du soir ; moi, je continuais jusqu'à minuit. Je faisais de tout ; même mes meubles de salon, c'est moi qui les ai recouverts. Pas seulement des housses, mais de vraies couvertures avec des nervures après, et ils durent encore. Je faisais beaucoup de choses ; nous n'avions pas le temps d'arrêter. Ces commerces ont duré une vingtaine d'années.

Puis on s'était mis à prendre des vacances. Pendant 25 ans, nous allions passer trois mois d'hiver en Floride. Après deux ans, soit en 1967, on a acheté une propriété dans Park City, à Fort Lauderdale. Nous avons enfin pris du bon temps. Nous revenions en avion pour NoëI, laissant notre voiture là-bas. On y passait jusqu'à cinq mois par année.

Mais auparavant, nous avions notre saison de chasse à faire. Mon mari chassait I'orignal tandis qu'avec ma petite carabine 22, je chassais la perdrix.

Nous faisions partie d'un Club : Les Chouchoucouen, dans le bout de Paradis. C'était très loin dans la forêt et nous partions pour cinq semaines. Aussi, il y avait de longs préparatifs à faire. Une petite remorque à remplir de bagages et de provisions, attachés à la voiture remplie à I'arrière à pleine capacité. Quand nous laissions la grand-route, c'était pour nous enfoncer dans des chemins pas très praticables. Il y avait quatorze ruisseaux à passer et, durant l'hiver, les ponts de fortune étaient disparus. Il fallait les rebâtir tant bien que mal : deux gros billots jetés sur le travers permettaient alors à la voiture et sa remorque de franchir le cours d'eau tout en retenant notre souffle. Mais rendus sur place, quelle belle vue ! Quelle magnifique forêt !

Nous avions un seul chalet voisin ; celui de monsieur Henri Caouette d'Amos. Nous avions plusieurs sentiers à parcourir vers différents lacs.

Nous n'étions pas vraiment des chasseurs. Nous ne connaissions pas vraiment ce métier. Cependant, mon mari a réussi à tuer six orignaux durant ses randonnées. Nous partions le matin avec notre lunch et nous passions la journée à guetter l'animal. Vers les cinq heures, nous revenions au camp.

Nos enfants venaient souvent nous retrouver durant les fins de semaine et ils étaient très déçus lorsque l'animal était déjà abattu. C'est dire que leur vraie partie de chasse à eux était terminée. Ils arrivaient pour la corvée… Il s'agissait de dépecer la bête et de la séparer en gros quartiers qu'on rapportait ensuite chez un boucher qui en faisait des portions prêtes pour la congélation, notre provision d'hiver.

Nous avons ainsi fait la chasse durant une quinzaine d'années et, chaque année, nous avions une voiture neuve… vouée hélas aux égratignures données par les grosses branches lors des passages, et aux mauvais coups à la carrosserie à cause des mauvaises routes de la forêt.

J'ai eu six enfants, dont une petite fille qui est décédée à cinq mois. Les autres ont fait des études dans la place puis à l'extérieur pour quelques-uns. Un de mes gars est allé à Trois-Rivières pour devenir technicien en électricité. Un autre à Sudbury. Mon Gilles n'avait pas une grosse constitution et les médecins nous recommandaient de ne pas lui faire faire des études trop longtemps. Il est tout de même devenu sculpteur et il a fait de l'enseignement. Ma fille a été au couvent des Sœurs de l'Assomption de la Sainte Vierge, à Montréal, puis elle a fait un an au collège Saint-Joseph, à North Bay, pour apprendre l'anglais. Elle a également appris le piano, mais c'est Jacques, mon petit dernier, qui en a le plus joué. Sa passion pour la musique a commencé très tôt, je dirais même qu'il en mangeait. À l'école, on trouvait qu'il en faisait trop ; il jouait par les soirs dans les petits cafés de nos villes et ça prenait du temps sur celui des études. Le professeur lui disait : « C'est ça, va jouer de la musique. Tu vas voir à la fin de l'année comment tu vas arriver aux examens. »

Heureusement qu'à la fin de l'année Jacques a bien réussi, et par la suite il est allé à Vincent d'Indy. Il a même fait carrière en musique et il a fondé l'Orchestre symphonique régional de l'Abitibi-Témiscamingue. C'est lui, le chef d'orchestre.

1946, le salon de barbier de M. Dollars Caron, situé au sous-sol de l'Hôtel Albert, à gauche Euclide Pilon, à droite Dollars Caron (08Y,P124,P179-46-4). Bibliothèque et Archives nationales du Québec, Rouyn-Noranda.

Un jour, hélas, en 1986, alors que nous étions en Floride, mon mari a fait un infarctus ; il a dû être hospitalisé un mois là-bas. Nous ne sommes pas revenus en avril comme d'habitude, mais en juin. Pas d'assurance-maladie. L'argent fondait. Mon mari était trop faible pour voyager et, en Floride, il faisait très chaud : 130 à l'ombre. Frigidaire, air conditionné, rien n'y faisait. C'était très chaud. Les enfants sont venus à tour de rôle et ils ont trouvé cela terriblement chaud.

Pourtant, on est parvenus à s'en réchapper et ce n'est pas ça qui l'a emporté, mais il était toujours faible, marchait difficilement tombait souvent. Ses jambes et ses genoux le faisaient beaucoup souffrir. Pourtant, il s'est traîné courageusement jusqu'à la fin ou presque. Nous avions un chalet par ici où il pouvait se reposer. J'avais appris à bûcher le bois nécessaire au chauffage et, là comme pour le reste, je me tirais d'affaire. Dix ans après notre retour, mon mari a succombé après quatre jours d'hospitalisation. Il avait 91 ans. »

Cette nonagénaire, qui se défend, vigoureusement d'être une artiste, a pourtant commencé à peindre à 90 ans. Après le décès de son époux, madame Berthe Marchand trouvait le temps bien triste et bien long. Elle a décidé de se défendre de quelque manière contre ce temps difficile à vivre. C'est alors que ses enfants lui ont donné un ensemble pour faire de la peinture.

Elle, qui n'avait jamais dessiné ni touché un pinceau, elle s'est apprivoisée petit à petit, suivant de petits modèles ou sans eux, à ce septième art. Et, à 97 ans, la voilà avec sa petite galerie d'une centaine de tableaux, dont les trois derniers remontent au dernier hiver qu'elle vient de passer en Floride. C'est fantastique !

Elle n'admet pas les super compliments pour ses œuvres, qu'elle juge elle-même modestement. Encore très alerte, bon pied, bon œil et bonne-ouïe, elle entretient sa maison toute seule et fait aussi de la couture pour les besoins des siens.

Chapeau, madame Berthe Baribeau-Marchand ! Et encore !

NOTES HISTORIQUES

Les salons de barbier semblent retrouver leur place au Québec avec le retour à la mode des barbes taillées et des coupes de cheveux. À l'âge d'or des paroisses, les plus populeuses possédaient leurs commerces locaux : magasin général, station-service et salon de barbier.

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