décembre 2020

Pionnier-agriculteur

Maurice Jalbert

Mariage de Maurice Jalbert et Thérèse Beaudoin en 1949 (08Y,P114,S2,SS9,D4,P6). Bibliothèque et Archives nationales du Québec, Rouyn-Noranda.

Avant de raconter ses propres expériences, Maurice Jalbert tient à citer quelques faits truculents tirés du premier livre écrit sur la paroisse de Beaudry, par Élie Bourbeau.

« En 1933, le chômage était à I'état épidémique, Plus de 55 000 familles réclamaient du secours direct. Depuis le début de la crise, le clergé appuyé par I'opinion publique réclamait un programme de colonisation de grande envergure. De cette pression a accouché le plan Gordon. Ce plan était tripartite. Les gouvernements fédéral et provincial, ainsi que la municipalité où résidait le colon, en faisaient partie. Chacun devait contribuer du tiers d'un octroi de 600,00 $ réparti en deux années. Le colon devait payer les frais de transport de lui-même, de sa famille et de son ménage, par chemin de fer et voitures, jusqu'à destination. Il devait se construire une maison, s'acheter de I'outillage, se nourrir et se vêtir pendant deux années et, s'il en restait, il avait le privilège sur ce même octroi de s'acheter un petit bœuf.

« Rendu en octobre, un petit groupe intéressé, tout comme sœur Anne ne voyant rien venir, alors qu'au Témiscamingue la neige recouvrait le sol, décide de rencontrer les membres du comité organisateur. »

« Les préliminaires sont courts : « Quand partons-nous ? » Avec sourire et diplomatie, le porte-parole affirme que son comité est à l'œuvre et que ça va marcher rondement : « Nous voudrions que vous partiez assez tôt pour faire vos guérets cet automne. » »

« Le départ des colons s'effectua le 6 décembre au soir. Et le 8, ils débarquaient du train à Angliers, soit à 50 milles de leur destination. Le contingent se composait de quarante chefs de famille. »

« Il y avait cinq pieds de neige et le thermomètre indiquait 50 sous zéro. Ils atteignirent en deux étapes Montbeillard où se trouvait le bureau de colonisation et où ils devaient s'enregistrer. Un groupe était formé de Jean Picard (comptable), Eugène Garneau (journaliste), J.-B. Gravel (ouvrier) et Louis Gingras (marchand). Ce dernier recevait d'un peu partout des articles destinés aux arrivants et les réparait pour les revendre à rabais. Son magasin s'appelait : Bric-à-Brac. Autres membres du groupe : Octave Clément et Élie Bourbeau (comptable agréé). Après avoir marché toute la journée, soit 16 milles, ils n'avaient pas encore fait leur choix, mais ça ne leur avait pas suffi, car ils avaient l'idée dans la tête que I'endroit idéal n'était pas encore visité… Ils avaient vu sur la carte une petite croix qui devait probablement marquer le site du village. Mais le lendemain, leurs membres étaient trop ankylosés pour reprendre l'aventure. D'ailleurs, ils ne pouvaient voir que de la neige…

« Comme ils s'installaient loin de leur groupe, cela créait des complications, et le cas dut être soumis à Québec avant d'obtenir les lots qu'ils voulaient. Enfin, ayant obtenu ce qu'ils souhaitaient, ils chargèrent leur outillage et provisions dans un grand sleigh tiré par une paire de chevaux, et en route vers la « cache », où ils s'installèrent provisoirement. Sur un plancher en terre battue, le camp de bois rond faisait voir des espaces d'un à quatre pouces entre les pièces, qu'il leur fallut calfeutrer avec du foin pour ne pas mourir de froid.

« Un poêle de cuisine et une truie (poêle fait d'un baril d'acier de 45 gallons) fournissaient leur part de chaleur… Élie Bourbeau, forcément nommé cuisinier faute d'être habile ouvrier, comptait sur le grand appétit des travailleurs pour accepter le menu. Pour le repas de NoëI, un spécial : des fèves au lard à la perdrix, et des gâteaux.

« La messe de minuit eut lieu à Montbeillard, dans la vraie pauvreté de Jésus naissant. Au retour, le festin prévu avait une grosse lacune : « J'avais oublié d'enlever le jabot des perdrix, et les gâteaux n'étaient pas mangeables… même les chiens n'en voulurent pas. »

« À plus de 500 milles de leur famille, à l'heure où on déballait cadeaux et on mangeait des mets succulents à la maison, nos hommes ont pu ruminer, chacun dans son coin, où ils en étaient avec leur rêve… »

Vue aérienne Ferme Maurice, Serge et Thérèse Jalbert (08Y,P114,S2,SS9,D7,P5). Bibliothèque et Archives nationales du Québec, Rouyn-Noranda.

Première transaction

« Il fallait un animal de trait pour tirer les billots de construction jusqu'à I'emplacement des futures maisons. L'offre d'un beau bœuf dompté fut offerte pour 36,00 $, soit 6,00 $ par travailleur, ce qui mit presque à sec les bourses.

« A six heures du matin, Picard et Bourbeau firent huit milles à pied pour se rendre chercher I'animal à Moose Bay. À neuf heures du soir, ils furent de retour sous la tente, sans bœuf. Fatigués d'avoir eu à le houspiller tout le long du parcours, ils l'avaient soulagé de son attelage, mais l'animal refusait toujours d'avancer. On a eu beau le flatter, le fouetter et, en désespoir de cause, aller jusqu'à allumer un petit feu à son arrière-train. Résultat : il s'était transformé en pompier sans pour autant avancer. Frustrés du marché, on avait donc abandonné le petit bœuf à quinze arpents de là.

« Aussi, Gingras et Gravel partirent à sa recherche pour le retrouver, à quelques acres, qui s'acheminait lentement vers le campement.

« Dans les trois jours qui suivirent, on ne réussit qu'à lui faire tirer quatre billes. Aussi, il fut abattu. Mais jusque dans la marmite, il s'entêta à ne pas cuire… Que de misère, que d'angoisse, ces gens ont dû endurer ! Que de temps dépensé avant de voir un petit coin de la forêt suffisamment nettoyé pour recevoir le soc de la charrue ! »

(Élie Bourbeau.)

Dans ce premier contingent envoyé par le gouvernement pour ouvrir une paroisse, il y avait trop de « collets » alors que pour survivre en colonie il fallait de vrais cultivateurs qui connaissaient le métier et avaient la santé et la débrouillardise de se tirer d'affaire pour s'installer sur une ferme. Aussi, d'autres défricheurs s'amenèrent à Beaudry en 1935.

Peu d'années après, d'autres cultivateurs vinrent tenter leur chance dans ce coin de pays destiné à la colonisation, et La Belle Aventure est un livre où monsieur Maurice Jalbert raconte, à son tour, les débuts de Beaudry, situé à proximité de Rouyn-Noranda.

En 1935, mon père était venu en mai avec un autre groupe de bâtisseurs, dont trois de ses frères. J'avais quatorze ans quand je suis arrivé à Montbeillard, déjà ouvert à la culture ; c'était en octobre 1935.

C'est que le gouvernement Duplessis offrait des terres de cent acres aux futurs défricheurs et payait des subventions pour l'établissement et le défrichement. En plus de ça, il avait passé la loi Concordat qui incitait les cultivateurs des vieilles paroisses à abandonner leurs terres, à cause des dettes qu'ils avaient accumulées, et les créanciers n'avaient pas le droit de saisir leur terre ni le roulant, c'est-à-dire la machinerie aratoire…

À cette époque, on entendait parler de travail dans les mines de la Noranda, de chantiers, de chemins à faire, d'écoles à bâtir, d'églises à ériger, de magasins à ouvrir et de services à développer.

Le canton Montbeillard dans lequel Beaudry allait s'ériger était seulement à douze milles de Rouyn-Noranda. Il fallait choisir son lot et inscrire le plus rapidement possible son nom sur le poteau de ligne qui démarquait les lots.

Le grand feu d'Haileybury de 1922, en Ontario, était venu mourir au bord du lac Beauchastel, et d'après les frères Jalbert, les terres en bois brûlé seraient plus faciles à défricher puisque c'était du bois mort.

Ils avaient marché leur lot, mais n'ayant pas l'habitude de marcher en terrain boisé à travers les souches et les accidents de terrain, ils étaient très fatigués. Cependant, ils ont commencé tout de suite à défricher un chemin d'une longueur de trois milles, qui devait s'arrêter au lot de monsieur Levasseur. En octobre, quand la construction des maisons a été finie, les 43 familles de ces défricheurs sont venues rejoindre les hommes.

Depuis quelques jours, les ménages étaient rendus à la gare de Saint-Maurice pour le voyage ; le ménage des quatre familles Jalbert occupait deux wagons. Embarquées à Trois-Rivières sur le Canadian Pacifique pour un long voyage via Montréal, Ottawa et North Bay, en Ontario, c'est seulement deux jours plus tard que les familles sont arrivées à Arntfield, près de Rouyn. Elles comptaient 238 personnes. Parce qu'il était très tard, il nous avait fallu passer encore une nuit dans le train, à Angliers. Juste avant notre arrivée, il était tombé 472 pouces de neige. On se sentait pas mal dans le nord.

Les femmes et les enfants étaient installés dans des chars à passagers, tandis que les animaux et les ménages étaient entassés dans des wagons différents. On avait emporté nos légumes pour I'hiver ; beaucoup de cannage, du foin et de l'avoine pour les animaux. Nous autres, on avait une vache, un bœuf Holstein, trois cochons et quinze poules. Mon cousin Gabriel et moi, on s'occupait de soigner (nourrir) les animaux.

Au matin, ce sont des taxis qui sont venus chercher les premiers colons. Pour les familles, il y avait juste deux tracteurs qui traînaient un sloop (genre de grand traîneau) d'une vingtaine de pieds de long ; on y embarquait 4 ou 5 familles par sloop. On nous a conduits au coin du rang 8-9 de Montbeillard, où des tentes étaient dressées et dont l'une servait de cuisine. Il fallait ensuite attendre le tracteur qui nous conduirait chez nous. Nous autres, on a dû attendre et coucher une fois de plus dans la maison d'un défricheur de Montbeillard, pour ne repartir que le lendemain, parce que nous demeurions plus loin.

Nous étions quatre familles couchées dans le haut de la maison sur un plancher simple. Avec les enfants, il fallait un petit pot et, malheureusement, il fut renversé… Cela avait amusé les jeunes que nous étions, mais pas ceux qui se trouvaient en bas.

Comme on n'était pas en mesure de garder nos animaux, parce que les bâtiments n'étaient pas encore construits pour eux, le gouvernement les avait fait placer chez des colons déjà mieux installés, mais on ne savait même pas où…

Pour les ménages, des camions venaient les décharger en plein champ sans s'occuper des résultats et on n'avait pas de toile pour les couvrir en attendant qu'on puisse les récupérer. On passait la journée à placer le ménage et les derniers morceaux qui sont parvenus à la maison. Ça faisait un mois que le déménagement était en action. Tout à coup, il nous arrivait un meuble, pas en très bon état… décollé en partie. Des couvertures et du linge étaient moisis et certaines choses étaient disparues.

Pour nos trois cochons, nous les avions mis dans la cave ; on avait peur des ours. On avait fait un carré pour eux et la même chose pour les poules. Ma mère avait bien peur que ça sorte de là. Elle a trouvé cela très dur ! Surtout qu'elle ne savait rien de I'endroit où elle allait vivre, sinon que les gens mouraient de faim…

Chargement de paniers de bleuets dans un wagon de train (08Y,P213,P57). Bibliothèque et Archives nationales du Québec, Rouyn-Noranda.

À l'arrivée, il y avait de la nourriture en quantité et chaque famille disposait d'à peu près 125,00 $ pour se partir. Le problème, c'est qu'on n'avait pas de vaisselle. Ma mère avait seulement des couteaux et des fourchettes dans sa valise. Le premier soir, on a couché par terre. Puis les transporteurs livrèrent un voyage de ménage.

Il y avait un poêle à deux ponts pour chaque maison et on se chauffait tout le temps près du poêle. Quand il y avait grand vent, on sentait toujours une fraîche dans le dos, alors on se tournait pour se réchauffer… et on se retournait continuellement pour ne pas griller.

Chargement de paniers de bleuets dans un wagon de train (08Y,P213,P58). Bibliothèque et Archives nationales du Québec, Rouyn-Noranda.

L'aqueduc, c'était le puits qu'on avait creusé dehors. Il servait aussi à conserver les aliments, de même que la canisse à lait qu'on descendait dedans, à la fraîche.

Des veillées ont commencé ; les jeunes se rencontraient d'un rang à I'autre. Il y avait de la musique à bouche, de l'accordéon et du violon, et on dansait des sets carrés. Les parents faisaient des veillées pour amuser les jeunes.

On n'avait pas grand-chose à faire, nous, les jeunes, parce que seuls les propriétaires de chaque lot avaient le droit de travailler à 1,60 $ par jour. Par contre, on a participé au défrichement du chemin d'une largeur de 40 pieds. On coupait le bois, après quoi on le mettait en tas pour le brûler à mesure que le chemin avançait. Ça prenait des permis pour mettre le feu aux abatis, et souvent on se risquait sans permis. Une fois que je m'étais risqué sans permis et que j'avais ramassé un gros tas d'abatis, j'avais déjà un bon gros feu de commencé quand le garde-feu, qui avait une très grosse voix, me surprit : « T'es après mettre le feu ! » J'étais très mal à I'aise… Il m'a dit ensuite :
« C'est correct. »

Cela a pris plusieurs années avant d'avoir un chemin gravelé pour se rendre au village de Beaudry. Mon père a pu s'acheter une paire de chevaux seulement en 1940. Le bœuf avait fait le travail avant, mais on avait dû le vendre parce qu'il était devenu mauvais et mon père en avait peur. Il y avait seulement moi qui en venais à bout pour arracher les souches ou charroyer le bois de chauffage. Quand on l'a vendu, il pesait 2,050 livres et il nous a rapporté seulement 50,00 $. C'était un pur-sang Holstein enregistré.

Un soir de février, mes deux sœurs et moi, on avait monté au village en sleigh pour aller voir un film. Il faisait trente sous zéro et on se tenait ben collés, assis sur une grande couverture en poil étendue sur le siège. Par chance qu'on s'était bien habillés. Mais on a fait une erreur. Rendus au village, on a attaché le bœuf au poteau et on lui a mis une couverte sur le dos, mais on a oublié la tête… Il s'est gelé les deux oreilles ; elles ont gallé. Ma mère lui a fait des cache-oreilles et, après quelques mois, elles sont redevenues normales.

Ça avait été mon travail : livrer du bois de chauffage en ville avec ce bœuf. L'hiver, en passant sur le lac, ça raccourcissait beaucoup la distance, alors que les chemins ouverts représentaient 35 milles, en passant par Arntfield et Evain. Une corde de bois se vendait 2,50 $ et on en vendait juste une corde à la fois. Il y avait aussi un magasin de poêles « Bélanger » pour qui nous faisions la livraison. Il nous donnait 2,00 $ - qu'on se partageait - et on allait manger au restaurant « Chez Rose Café ». Rose nous donnait une grande assiettée de « binnes », et un morceau de tarte au sucre, tout ça pour 25 sous.

Les commerçants étaient très intéressés par notre clientèle ; aussi, ils faisaient crédit facilement. Juste dans notre rang, il y avait dix familles qui dépensaient chacune 45.00S par mois. Le magasin de Saint-Clément-de-Beaudry s'est bâti vers 1935-1936.

Je rappelle ici que le nom de Saint-Clément, donné à la paroisse, était dû au premier des pionniers arrivés : monsieur Octave Clément. Pour le nom Beaudry, ça rappelle un missionnaire oblat de Marie-Immaculée des tout débuts de la colonisation.

À l'automne 1936, un monsieur Levasseur, venu se promener chez son frère, fut scandalisé : voir tant de bleuets, mais pas d'acheteurs en vue. Il est retourné à Montréal et, l'année suivante, on a eu des acheteurs de bleuets qui venaient d'Ontario. On avait 1,00 $ le panier de 16 livres. Plus tard, le monde cueillait à la tapette. On chargeait un camion d'une tonne et, des fois, on manquait de place pour nous autres et notre bagage.

Ce qui était dur, c'était de faire le portage sur notre dos. Un homme pouvait transporter quatre paniers à la fois, avec des courroies placées sur ses épaules. Pour une année, nous avions gagné 900,00 $ et nous n'étions pas une grosse famille.

J'avais une vingtaine d'années quand je suis venu travailler à la mine Powell. C'était dur de se placer dans les mines. Si tu ne parlais pas anglais, t'avais pas de chance. Mais un gars de Malartic m'a donné un tuyau. J'ai dit au capitaine, qui parlait français, que j'avais déjà travaillé à la mine de Malartic… O.K., « go ahead ! »

Nous étions une trentaine à la barrière d'embauche, et on n'en a pris que quatre. Je n'avais aucune expérience et ne parlais que le français. Il m'a donné la job : conduire un chariot de muk (roche concassée) dans une galerie. Il y avait des stopes (chantiers en gradins) en haut, des gens qui drillaient (foraient) la roche et qui envoyaient le concassé dans le chariot pour le sortir à l'extérieur.

Mon copain de travail était un gros et grand Finlandais. Je n'avais jamais fait ce travail. Ça consistait à pelleter la pierre cassée dans le chariot d'une tonne, pour le conduire à l'extérieur. Ça faisait deux coups de pelle que je donnais quand le Fine me dit dans sa langue comment faire. Je ne le comprenais pas, mais je le voyais faire. C'est pas large, un couloir, et on était deux. Quand on baissait sa pelle, l'autre levait la sienne. Il y avait pas mal d'eau mêlée à ça, et ma première pelletée, je l'ai envoyée… sur lui !

Deux fois, dans les mines, j'ai failli y laisser ma vie. Chez les Fros (immigrants européens), les mariages se faisaient le dimanche, et mon Finlandais qui était invité à une noce m'a demandé pour rentrer à la mine à 8 heures du matin au lieu de 7 heures du soir. Comme ça prenait seulement 4 heures pour faire le travail et que nous étions rien que nous deux dans cette galerie - ça ne travaillait pas le dimanche - j'ai accepté. Quand on travaillait le dimanche, ça nous donnait 5,00 $ et quelques sous, en plus du bonus du Fédéral à cause de la guerre. C'était meilleur que dans le bois à 2.00S par jour durant 10 heures et pas de break (pause-café).

Ce jour-là, les boyaux à air ne fonctionnaient pas et nous n'avions pas d'eau pour arroser afin d'abattre la poussière. Je commençais à avoir aussi mal à la tête quand le Finlandais m'approche et me dit : « Es-tu malade ? » J'étais surpris qu'il devine ça, mais aussitôt il me dit : « Vite ! Ton char à la Station ! » Il y avait sur le chariot une barre de fer sur laquelle j'embarquais et ça descend assez vite quand le char est vide. Il a sauté lui aussi sur la barre, ce qui augmentait la vitesse… c'était dangereux. Dix minutes de plus et on serait morts. Personne ne nous aurait porté secours avant 7 heures du soir. J'ai eu mal à la tête durant un mois.

Cueillette de bleuets en Abitibi ( 08Y,P213,P54). Bibliothèque et Archives nationales du Québec, Rouyn-Noranda.

Une autre fois, j'avais fait remarquer à mon boss, qui était à examiner la galerie avec sa grosse lampe, qu'à l'endroit où nous étions (où pendait un bloc de quartz) le plafond craquait et que je passais vite. « Big loose », que je lui ai dit en continuant vers mon travail, pendant que lui allait vers le sien. Je venais à peine de dépasser un tournant, à 100 pieds plus loin, qu'il s'est fait un bruit comme lorsqu'on blaste (dynamite) dans la mine. J'ai continué mon chemin, mais le capitaine est allé voir : il y avait six pieds de concassé par terre et c'était défoncé à plusieurs endroits. On ne savait pas que c'était vide en dessous de nous. Il y avait beaucoup d'accidents mortels dans les mines et j'ai été chanceux.

En 1941, j'ai reçu mon appel pour l'armée (guerre de 1939-1945). Autant dire que tout était fini pour moi. Ma mère faisait dire le chapelet tous les soirs, en famille. J'étais le seul garçon chez nous. Le curé Guèvremont m'a dit : « Je vais te faire avoir ton exemption. » Et je n'ai pas été à la guerre.

Dès les premières années, nous avions un club de balle. J'étais 3e champ. On se ramassait une trentaine de jeunes et même plus. D'un dimanche à I'autre, on jouait contre d'autres paroisses. On avait deux camions de deux tonnes, et on embarquait une trentaine de jeunes debout dans la boîte. Ça criait, ça chantait. Ça nous coûtait 25 cents aller-retour.

Il a fallu du temps avant d'avoir une église. Ce fut en 1936-L937. À part une subvention de trois mille piastres, chaque famille devait donner 1,00 $, soit la valeur d'un sac de ciment. La construction s'est faite bénévolement. Les défricheurs de chaque rang donnaient une semaine par mois. Le solage a été fait à la petite pelle, et il a fallu charroyer beaucoup de roches pour mélanger au ciment.

Je me suis marié en 1949, ma femme était de Preissac. Son père voulait acheter une terre à Beaudry. C'est toute une autre entrevue qu'il faudrait pour parler de ma propre famille, laquelle, je crois, fut une réussite. Nous avons eu onze enfants. Le livre que j'ai publié vous en dira davantage.

NOTES HISTORIQUES

Les grands plans de colonisation au Québec, ont provoqué durant la Grande Dépression une grande vague de peuplement en Abitibi-Témiscamingue avec l’arrivée de 25 000 nouveaux habitants et la fondation de 25 nouvelles paroisses. Trois plans se sont succédés, soit le plan Gordon (1932-1934), le plan Vautrin (1935-1937) et le plan Rogers-Auger (1937-1942). Dans l’après-guerre, le plan Bégin (1946-1950) est mis en place pour soutenir les colons déjà installés sur des terres et consolider les nouvelles paroisses de colonisation.

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