novembre 2020

Pompier de la première heure

Fred Barrette

Lorsque Rouyn-Noranda naquit, ce fut un bourgeon de métiers qui fleurirent en même temps. Beaucoup d'aventuriers devenaient, par la force des choses, inventeurs, bâtisseurs, bûcherons, prospecteurs, mineurs, vendeurs, barbiers, etc.

Sapeur-pompier fut un métier de toute urgence, et M. Fred Barrette s'y est adonné avec ferveur, ainsi qu'il nous le raconte :

Arrivé ici en 1930, j'avais 18 ans et je venais d'Ontario. J'avais 10 ans au moment du gros feu d'Haileybury, en Ontario. Mon père avait été, pompier, de même que ses deux frères.

Comme premier emploi à Rouyn, j'ai travaillé chez Reilly ; c'était la plus grosse quincaillerie qui existait dans la place, et nous avons fait la livraison jusqu'en 1934-1935. Ce magasin avait une poudrière au côté sud du lac Osisko pour garder de la dynamite ; et tout près il y avait une autre bâtisse pour garder les « caps » ; c'était pour le besoin des mines des alentours, ça prenait ça. C'était vendu par la compagnie C.I.L. et c'était facile à obtenir.

Dans le temps, ça me donnait 12 ou 13 « cennes », de l'heure pour en arriver à « trente sous » un peu plus tard. Je crois que c'était aussi le salaire d'un conducteur de camion de pompiers régulier. Et j'ai été pompier durant quarante-trois ans.

En 1927, les quatre premiers pompiers étaient : Honorius Charlebois, son fils Emmanuel, Sabin Thibault et Georges Therrien. Il n'y avait pas beaucoup d'équipement à la brigade : une voiture, tirée par un cheval, pour emporter un boyau d'arrosage.

Le premier masque pour combattre la fumée était une petite éponge humide avec une paire de lunettes… ça ne protégeait pas beaucoup. Au début, je n'étais pas encore pompier, mais j'allais aider parfois lors de gros incendies. Ainsi, le 20 novembre, peu après mon arrivée, j'ai aidé à combattre un incendie avec les pompiers. Le feu de forêt rageait sur le chemin d'Arntfield vers la voie ferrée. Ce fut le premier boyau qu'on a déroulé avec les Charlebois, père et fils, ainsi que Thibault et Therrien. Les autres étaient des volontaires comme moi.

On pouvait faire un stage pour savoir si on aimerait ça. C'est toujours difficile, le métier de pompier ; il faut toujours être en train de se battre. Ça demande une discipline, des réunions, des exercices, et c'est un gros travail celui de pompier volontaire, il faut aimer ça.

Règle générale, lorsque I'alarme était donnée, il y avait les trois quarts des pompiers qui se présentaient. Parmi lesquels ceux qui avaient une voiture ramassaient les autres qui couraient vers le lieu de l'incendie ; et si le camion de pompiers se trouvait à passer devant nous, nous partions derrière pour nous mettre au travail le plus tôt possible.

Par la suite, le téléphone a rejoint directement chaque sapeur pour lui donner les directives, c'est-à-dire la gravité du feu, l'endroit, etc.

Le camion-citerne a été utilisé en 1937. Il transportait en plus les manteaux, les bottes et les casques, de même matériel qu'il y avait en service.

La brigade de pompiers de Rouyn, années 1930. Bibliothèque et Archives nationales du Québec, Rouyn-Noranda (08Y,P123,S1,P323).

Il y avait trois brigades de pompiers : celle de Rouyn et celle de Noranda, et celle de la mine Noranda. Si on avait besoin d'aide, on faisait appel aux autres brigades. Le premier chef de pompiers à Rouyn fut M Lapointe, qui était chef de Police également.

Les maisons étaient généralement en planches ou en billots joints par de l'étoupe. Elles étaient chauffées au bois, donc très vulnérables. Dans les gros froids, quand le vent et les tempêtes de neige fermaient les routes et qu'on devait se servir d'un tracteur pour déblayer les chemins, les pompiers étaient très vaillants et braves.

On s'occupait également de porter secours aux malades, en pareille occasion, comme d'aller conduire une future maman à l'hôpital, etc. Nous nous occupions aussi de la Croix-Rouge, des sinistrés, en tâchant de leur donner des soins et en fournissant des vêtements, des meubles, etc.

En 1935, j'ai eu à combattre mon premier gros feu. Je l'ai combattu à l'hôtel Windsor. On a eu aussi le feu chez Rice, pas loin de l'hôtel National. C'est alors que Sabin Thibault, devenu chef de pompiers, m'a demandé si j'étais intéressé à devenir pompier. J'ai accepté aussitôt.

Pour financer notre équipement, qui se devait de progresser d'une année à l'autre, nous faisions des parties de cartes, des dégustations d'huîtres, des bingos, des tirages. Dans nos célébrations, il y avait une tradition que les femmes n'aimaient pas beaucoup : au Jour de l'An, les pompiers rendaient visite à leur chef, Sabin Thibault, histoire de recevoir sa « bénédiction », qui était arrosée naturellement. Jos. Pelletier, agent de la Molson, venait donner son… coup de main.

Nous avons été jusqu'à une quarantaine de brigades dans l'Association des pompiers, en comptant celles du nord de I'Ontario.

En repassant les meilleurs moments de ma vie de pompier, je pense aux conventions, à l'heure des tournois, alors que nous remportions des concours. C'était un tournoi annuel. Nous avons gagné en 1963 et aussi beaucoup d'autres fois… Ces compétitions annuelles entre les brigades avaient lieu dans une ville ou dans une autre, chacune à son tour.

L'hôtel Rouanda a duré l'espace de deux ans, puis il a brûlé. Il y avait une échelle assez haute pour devoir être transportée par quatre hommes. Bien, je suis le seul qui ai monté jusqu'en haut. J'en suis redescendu et ç'a été final ; on n'a plus voulu s'en servir. [1]

[1] Note de Annette Gauthier-Lacasse : "Le curé Pelletier m'a déjà raconté que le chef Lapointe, qui avait commandé cette échelle, manquant d'expérience dans cette fonction de pompier, avait oublié que nos maisons étaient généralement d'un seul étage, alors que l'échelle pouvait en rejoindre quatre".

Nous nous sommes servis de chevaux jusqu'en 1960, pour les tournois annuels seulement.

Des quatre gros incendies qui nous ont un peu cernés, le premier a été le feu de l'hôtel Albert. C'est arrivé le 11 novembre 1938. Quand je suis arrivé là, il y avait du monde sur la couverture, au deuxième étage. Alors, j'ai pris des hommes dans la rue pour m'aider à monter l'échelle pour sauver ce monde-là. Il y avait à peu près une trentaine de personnes et on les a sauvées. Il y avait un homme accroché à l'enseigne, au-dessus du trottoir… Les flammes sortaient par le châssis et l'ont rejoint. Mais les gars ont vite monté l'échelle et sont venus à bout de le sauver ; c'était M. Love.

Le feu était devenu assez gros qu'on a appelé la brigade de Noranda qui est venue nous prêter main forte, mais ça ne servait à rien de vouloir sauver cette bâtisse-là. On n'avait pas assez d'eau. Alors, on a concentré nos efforts sur l'hôtel Windsor en face. Sept personnes sont décédées et il y a eu beaucoup de dégâts.

Nous n'avons jamais eu à déplorer la mort d'un pompier, et jamais non plus nous en avons eus de blessés gravement parmi nos hommes.

En 1941, nous avions eu ici la convention des chefs de Montréal. Nous leur avions donné toute une démonstration avec la vieille grange de la laiterie Dallaire, au coin des rues Principale et Bagshaw.

Le feu a déjà failli prendre au poste de pompiers lui-même. C'était par un gros froid d'hiver de février 1947. Il faut dire que l'hôtel-de-ville, la prison et la caserne, c'était tout un ensemble. Des prisonniers avaient mis le feu entre les murs de leur geôle. Pour eux, c'était un dépotoir, et ils y mettaient toutes sortes de vieux papiers. Ils faillirent en être les victimes. Était-ce pour s'amuser à vouloir se réchauffer qu'ils y ont mis le feu ? En tous cas, le temps de le dire et ça sortait de partout par les prises de courant : on ne pouvait pas localiser la source. Ils étaient une quinzaine et je vous assure qu'ils se lamentaient pour sortir.

Je suis pompier honoraire à vie, à Rouyn. J'ai reçu cet hommage lorsque j'ai quitté l'emploi, à 65 ans. La compagnie d'assurance ne couvrant plus les pompiers après cet âge, il m'a fallu démissionner.

NOTES HISTORIQUES

Le village de Rouyn est incorporé en 1926. Un service de protection contre les incendies est alors mis sur pied. Au début, c'est le chef de police aidé des garde-feux qui sont responsables de la lutte contre les incendies. Sabin Thibault fut, en 1927, le premier chef de la brigade des pompiers de la Ville de Rouyn, poste qu’il occupa pendant 41 ans, soit jusqu’en 1968.

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