janvier 2020

Jean Tissot, chef de police de Rouyn

Jean-Paul Michaud

L'Affaire Tissot dévoile le cheminement du policier Jean Tissot, impliqué activement dans une campagne antisémite dans les années 1930 à Ottawa. Il fut engagé à titre de chef de police de Rouyn, au mois de juillet 1937. Durant son séjour à Rouyn, Jean Tissot eut de nombreux amis qui lui assurèrent leur appui dans les moments difficiles. Parmi eux, on retrouve Julien Morissette, rédacteur en chef de La Frontière, G. A. Rioux, médecin, président de la Cie Publication et éditeur de La Frontière, N. E. Larivière, député provincial et Romuald Gagné, maire.

Photo tirée du journal Le Patriote de Montréal, édition du 22 octobre 1936.

Une campagne antisémite dans la ville d'Ottawa

Jean Tissot est un citoyen d'origine belge qui immigra au Canada, en 1908. Il fut policier à la ville d'Ottawa, de 1910 à 1935. Catholique convaincu, il adhère en 1930, à l'Ordre de Jacques-Cartier (OJC), une association secrète vouée à la défense et à la promotion des intérêts francophones. Il s'implique activement dans la campagne de l'Achat chez nous dont le but est de contrer le recul économique de la population canadienne française. Il est la tête dirigeante d'une opération de salissage, qui vise les commerçants juifs de la Capitale. Accusé de propagande antisémite à l'endroit du propriétaire du magasin Freiman's, il est suspendu de ses fonctions de policier, en 1935. Malgré l'accusation, il se présente comme candidat anticommuniste à l'élection de l'automne de la même année, dans le comté d'Ottawa Est. Il termine au second rang. Quelques jours plus tard, il est reconnu coupable de libelle et de propagande antisémite par le tribunal, ce qui le contraint à démissionner du Service de police d'Ottawa.

Assemblée du Parti national social chrétien d'Adrien Arcand, Montréal, 1938. Centre de recherche Lionel-Groulx.

Le nouveau chef de police a des amis

En 1937, La Frontière, l'hebdomadaire de Rouyn-Noranda débute ses publications. Le journal est la propriété des Pères Oblats qui possèdent aussi, le quotidien Le Droit d'Ottawa. A la page 4 de La Frontière, le lecteur retrouve habituellement un article emprunté au journal Le Droit. Puisque les deux journaux s'échangent des textes et des nouvelles, on peut présumer que la direction de La Frontière connaissait la vie passée de Jean Tissot. Le journal souligne à la une, l'arrivée du nouveau chef de police, présenté comme un citoyen bien connu d'Ottawa, sans évidemment faire référence à son passé d'activiste. On vante les qualités de l'enquêteur et la notoriété du policier sans cependant faire allusion à son militantisme dans des mouvements d'extrême droite.

M. Tissot est un des citoyens les plus avantageusement connu de la Capitale. Il est considéré comme un des limiers les plus habiles dans tout le Canada et il a toujours été remarqué pour sa probité professionnelle. (La Frontière, 29 juillet 1937).

Quelques mois après son arrivée, les agissements du chef de police prêtent flanc à la critique, tant et si bien, que circule dans la population une requête demandant son congédiement. Sa façon de mener les enquêtes et de porter les accusations devant les tribunaux, fait réagir le Procureur de la Province. Cependant, Jean Tissot a des appuis dans le milieu:

La ville de Rouyn a à son service un chef de police intègre qui a déjà fait ses preuves. Malheureusement, il se fait actuellement une campagne pour que le Conseil municipal le remplace. Toutes les honnêtes gens s'y opposeront. Pour ma part, soyez assurés que je combattrai pour le chef Tissot. S'il tombe, je tomberai avec lui. (N. E. Larivière, La Frontière, 16 décembre 1937).

En janvier 1938, la démission du Maire Romuald Gagné, conduit à l'élection de quatre nouvelles figures au Conseil municipal, dont le nouveau Maire J. O. Tardif, ancien greffier de la Cour. Durant les semaines qui suivirent, le journal local ne parla pas du chef de police. En avril 1938, La Frontière publie un compte-rendu du banquet hommage à Jean Tissot sous le titre « Manifestation d'estime au chef Tissot ». Plusieurs dignitaires présents prirent la parole au cours de la soirée. L'un d'eux, le docteur G. A. Rioux, fît l'éloge du chef de police en le présentant comme un défenseur acharné des valeurs nationales. Il souligna que ses démêlés antérieurs avec la justice n'avaient pas entaché sa réputation. II insista sur le fait que, depuis son arrivée à Rouyn, ce gardien de l'ordre et de la morale a mené un combat exemplaire pour éliminer le crime et le vice dans la ville :

Fortunés convives, nous assistons au banquet de l'intelligence, commandée par la volonté et la moralité; je dirai même plus, au banquet du patriotisme, serviteur de la religion (...) Cet idéal moral, cette beauté morale, il nous est permis de la contempler dans Jean Tissot, qui avec toute l'ardeur combative d'une volonté tenace, a lutté durant trente ans pour l'établissement de la justice et de ses sœurs, la charité et la beauté dans sa patrie adoptive, le Canada français (...) Soldat généreux des causes saintes, vous avez été martyr de votre dévouement. Toujours, grand devant le devoir, vous vous êtes fait à Ottawa le défenseur de la foi contre la franc-maçonnerie et son infâme rejeton, le communisme. Ne craignant point les coups, vous avez payé de votre personne. La prison même n'a pas arrêté votre zèle; vous y avez puisé comme un élan nouveau, une ardeur nouvelle pour continuer la lutte jusqu'au bout. (G. A. Rioux, La Frontière, 28 avril 1938.)

L'hôtel de ville de Rouyn au milieu des années 1930. À l'arrière plan: la ville de Noranda et la mine Horne. Bibliothèque et Archives nationales du Québec, Rouyn-Noranda.

L'absence du maire J. O. Tardif et de certains conseillers municipaux à ce banquet fut remarquée. Ce qui démontre bien que la présence de Jean Tissot dans le milieu, n'était pas appréciée par tous les élus. Moins d'un mois plus tard, le Conseil municipal vote le renvoi de son chef de police, sans en préciser les motifs. La décision souleva l'ire de Julien Morrissette qui soupçonna le maire d'avoir fomenté le coup. « Pourquoi ne pas avoir accordé à Jean Tissot la possibilité de répondre aux accusations portées contre lui, plutôt que d'avoir choisi la voie de son congédiement ? », telle est la question centrale posée par l'éditorialiste en chef de La Frontière :

Par un vote de quatre contre deux, le Conseil municipal a décidé mardi soir de renvoyer le chef de police M. Jean Tissot, après un avis d'un mois (...) La proposition est d'ailleurs très peu explicite et elle demande tout simplement la destitution, sons donner aucun motif. (La Frontière, 19 mai 1938). Toutes les personnes qui assistaient au Conseil, ont pu constater que Son Honneur le maire qui, entre parenthèses, ne manque jamais l'occasion de dire qu'il a été l'instigateur de mille et mille bons mouvements, a été aussi apparemment parmi les instigateurs du renvoi du chef de police. (...) Jean Tissot partira plus grand qu'un autre honnête homme, malgré tout, Son Honneur le maire Tardif, qui a joué dans les derniers événements du Conseil un rôle d'arrière-plan et de coulisse que la charité chrétienne nous empêche de qualifier. (J. Morissette, La Frontière, 9 juin 1938).

L'intersection de la rue Perreault et de l'avenue du Portage à Rouyn à la fin des années 1930. Bibliothèque et Archives nationales du Québec, Rouyn-Noranda.

L'Ordre de Jacques-Cartier à Rouyn ?

Se peut-il que la direction de l'Ordre de Jacques-Cartier, fondé en Outaouais pour défendre les droits et les intérêts des Canadiens-français, ait envoyé Jean Tissot en mission afin de consolider la présence de l'OJC à Rouyn'? Une hypothèse qui semble plausible si l'on tient compte des éléments suivants :

- La candidature de Jean Tissot au poste de chef de police de Rouyn fut recommandée par des représentants de l'Église catholique à Ottawa, selon le maire en poste, Romuald Gagné.

- Durant le séjour de l0 mois de Jean Tissot à Rouyn, à aucune occasion La Frontière n'a évoqué le parcours antérieur du chef de police, plus particulièrement, ses actions antisémites et leur sanction par le tribunal.

- Dans les années 1930, Le Droit d'Ottawa fut éminemment prodigue dans ses appuis à l'OJC, selon Raymond Ouimet dans son ouvrage L'Affaire Tissot. Or, plus qu'un simple hasard, Le Droit commenta dans ses pages, l'engagement du chef de police Jean Tissot, en juillet 1937, ainsi que la décision de son renvoi au printemps 1938.

- Dans les allocutions du banquet d'avril 1938, on retrouve la présence des valeurs patriotiques nationales, la langue française, la foi chrétienne, la famille, qui sont le credo de base de l'OJC.

Soixante-dix ans plus tard, l'ouvrage L'Affaire Tissot jette un éclairage sur les zones d'influence de l'OJC au sein de la société québécoise durant les années 1930. L'Ordre de Jacques-Cartier mena des luttes mémorables pour la préservation des valeurs traditionnelles, en particulier la langue et la religion. Cette société secrète fut active dans notre région comme en témoigne les prises de position de l'hebdo régional La Frontière ainsi que de certains membres de l'élite locale, durant la période qui s'étend de l'engagement du chef de police Jean Tissot à son congédiement en 1938.

Couverture du livre de Raymond Ouimet "L'affaire Tissot" publié en 2006.
Cet article a été publié à l'origine dans Le Babillard, vol. 4, no. 2, décembre 2007.

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