mars 2020

La gare de Noranda

Jean-Paul Michaud et Jean Racicot

Jean Racicot est membre de la Société d'histoire de Rouyn-Noranda depuis 1990. Né au Témiscamingue, il arrive à Rouyn en 1941. Il fut employé à la gare ONR de Noranda de 1941 à 1957. Dans cette interview, il évoque l'origine et le fonctionnement de la gare, à une époque où le chemin de fer était le principal moyen de communication avec les villes et les villages extérieurs. Aujourd'hui, la gare de Noranda abrite un organisme communautaire, Le Projet Jeunesse Saint-Michel. Quelle sera la vocation de cette gare dans les années futures ? Telle est la question que soulève ici Jean Racicot.

Quand la gare de Noranda est-elle entrée en opération?

Je n'ai pas de date précise mais c'est en 1927, l'année de l'arrivée de la ligne de chemin de fer de I'ONR en région. Il y avait une deuxième gare de l'ONR, érigée à Rouyn, au bout de la rue Perreault Ouest. Un fait bien particulier, la ville de Rouyn possédait une troisième gare, celle du C.N., bâtie en 1926, et qui était située près de l'édifice actuel de Radio-Nord. Pourquoi I'ONR est arrivé 1 an plus tard? La construction de la voie ferrée fut arrêtée à la limite de la province de Québec en 1925, à Cheminis, plus précisément. Le gouvernement provincial avait émis une injonction pour empêcher la venue de I'ONR en région afin de donner une chance au CN de diriger la circulation de la marchandise vers Montréal.

Vue aérienne de la gare de Noranda du Temiskaming & Northern Ontario Railway, années 1940. Bibliothèque et Archives nationales du Québec, Rouyn-Noranda.

Peut-on dire que les gens de Rouyn avaient leur gare, et ceux de Noranda la leur ?

Pas nécessairement ! Les citoyens utilisaient la gare la plus proche et qui convenait le mieux. On recevait leur marchandise par freight et les gens se présentaient à la gare pour prendre le train des passagers. Dans ce temps-là, seulement un cinquième (1/5) de la population possédait une auto, aussi, on appréciait la présence d'une gare située près des secteurs résidentiels.

Comment l'intérieur de la gare était-il aménagé?

Au centre de la gare, il y avait une partie avancée et vitrée occupée par le contrôleur du trafic des trains. Il recevait par télégraphe les messages concernant l'horaire des trains. Il pouvait communiquer avec l'agent de la gare voisine et recevoir des ordres quand des trains se rencontraient. Il avait une vue sur les passagers et les piétons qui circulaient sur la grande plate-forme de bois. Il vendait aussi les billets. De chaque côté, il y avait une salle d'attente, l'une pour les dames qui étaient accompagnées et les enfants, l'autre pour les hommes seuls. Ils avaient chacun leur toilette.

Comment s'effectuait la distribution des colis ?

À un bout de la gare, il y avait un endroit pour entreposer les bagages des gens qui voyageaient, et aussi la marchandise légère qui arrivait par express ou la messagerie. On transportait des petits animaux, des abeilles, des chiens, des chats, des petits poulets, et aussi des choses qui étaient périssables. Il y avait un préposé sur le train dont la tâche était de séparer et de débarquer la marchandise selon leur destination. Il distribuait aussi les sacs de malle qui étaient remis au préposé du courrier à chacune des gares.

Vous avez parlé d'un système télégraphique ?

En effet, I'ONR a instauré le premier service de télégramme à Rouyn. Avec le développement de la ville, on a ouvert un bureau de télégramme sur la rue Principale. Les messages étaient livrés par des petits gars en bicyclette.

La gare de Noranda du Temiskaming & Northern Ontario Railway, 1933. Bibliothèque et Archives nationales du Québec, Rouyn-Noranda.

Quelle importance avait le train dans la vie de la communauté ?

- Le train avait une importance primordiale pour les citoyens. En hiver il était difficile de se déplacer. Les chemins d'hiver ont commencé en 1945, dans la région. En ville, beaucoup de gens ne se servaient pas de leur automobile durant l'hiver parce que ce n'était pas assez déneigé. Dans le temps des fêtes, on était très occupés à transporter les nombreux cadeaux de NoëI. Les gens d'ici recevaient beaucoup de sympathie de leur famille de par en bas, surtout le fait d'être venus dans une place aussi éloignée où il n'y avait pas tous les services. On recevait plus de cadeaux qu'on en expédiait, ça nous tenait occupés. Évidemment, il y avait plus de passagers dans le temps des fêtes. Mais, dans les gros froids, les trains étaient souvent en retard.

On faisait aussi le service de livraison et de cueillette de ce qui était à expédier. Dans les petites gares comme Arntfield, ce service n'existait pas. A Evain, il n'y avait pas d'agent de gare. Le train arrêtait pour amener les gens en ville, on appelait çà un flag-stop, Si quelqu'un voulait prendre le train, il levait un drapeau. Le conducteur pouvait laisser tomber un paquet en passant devant la gare, s'il savait que quelqu'un viendrait le ramasser.

Est-ce qu'il y avait un deuxième étage à la gare ONR de Noranda ?

Dans presque toutes ces gares-là, il y avait un deuxième étage. Au CN, l'agent de gare y habitait avec sa famille. La gare ONR de Noranda a eu un service spécial. On s'est servi du deuxième étage pour loger les opératrices de longue distance ou l'interurbain. Il faut rappeler que le téléphone est arrivé en même temps que le chemin de fer, soit en 1921. Il y avait une télégraphiste qui était en devoir 24 heures par jour. La ligne téléphonique, en broche, suivait les voies de chemin de fer, ce n'était pas encore le sans-fil. La compagnie s'en servait pour les communications internes tout en donnant un service au public.

Le service interurbain de la gare de Noranda a été en opération durant vingt-cinq (25) ans. Le premier bureau de téléphone pour les appels locaux se trouvait au coin de la rue Taschereau Est et Portage, près de l'Hôtel de Ville et, plus tard, le Téléphone du Nord a ouvert ses portes sur la 8e Rue, à Noranda.

La gare de Noranda du Temiskaming & Northern Ontario Railway et la mine Horne, années 1940. Bibliothèque et Archives nationales du Québec, Rouyn-Noranda.

Quelle était la tâche habituelle d'un employé de gare ?

Nous recevions la marchandise du train sur des voitures qu'on roulait sur la plate-forme et qu'on entrait dans notre local. Il y avait des employés assignés à la livraison. Le service intérieur consistait à recevoir les clients et préparer la marchandise à expédier. On avait un horaire de jour favorable. Le premier train de l'ONR arrivait à 9h00 du matin et le dernier partait à 6h00 du soir. Ceux du CN circulaient le jour.

L'ONR ayant vendu le service de transport de la marchandise au CN, notre chèque de paye provenait de ce dernier. On s'occupait donc des trains du CN pour les expéditions, les livraisons en ville, et à l'occasion, on travaillait sur le train. On était sur la semaine de 48 heures, et après la grève de 1950, on est descendu à 40 heures par semaine. Il y avait des employés en surtemps qui travaillaient le dimanche pour desservir le train en provenance de l'Ontario.

Y-a-t-il eu des événements qui ont perturbé la vie de la gare ?

- Les cirques arrivaient par chemin de fer. Les chars pour transporter les animaux étaient plus hauts que nos chars standards. Une fois, dans le bout de Cheminis, le convoi a déraillé parce qu'il était trop long. Le char d'animaux a sauté à côté de la track. Faut croire que le train roulait un peu trop vite. Lors de la tempête de neige du siècle au mois de mars 1947, toute la circulation du chemin de fer avait arrêté durant 3 jours. Il y a eu aussi un arrêt de travail de 9 jours durant la grève de 1950.

Quelles sont les circonstances entourant la disparition du service ferroviaire à Rouyn?

En 1979, le premier train qui a arrêté, a été celui du C.N. qui allait à Taschereau, et la même année, les lignes vers Senneterre et Swastika furent abandonnées. Ce qui a conduit à la désaffectation et l'abandon de deux des trois gares : celle du CN à Noranda et celle de l'ONR à Rouyn. Quant à la troisième gare, celle de l'ONR à Noranda, elle est en place, ayant toutefois perdu sa vocation première. Elle a servi comme lieu d'entreposage et de local pour l'administration jusqu'en 1997. Présentement, elle est utilisée par un organisme communautaire.

Comment envisagez-vous l'avenir de la gare de Noranda ? Devrait-on lui attribuer une vocation culturelle et présenter ainsi sa valeur patrimoniale ?

Bien sûr ! Il y avait trois gares et c'est la seule qui reste. Elle a besoin d'entretien et de réparations. On pourrait lui donner une vocation, peut-être en faire un musée. Autrement dit, son avenir appartient aux élus municipaux. Durant l8 ans, on ne savait pas trop quoi faire. Aujourd'hui, c'est à la Ville de décider de son avenir.

Cet article a été publié à l'origine dans Le Babillard, vol. 4, no. 2, décembre 2007.

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