août 2020
Les religions à Rouyn-Noranda durant la décennie 1925 à 1935 selon Albert Leury
Jean-Paul Michaud
L'ouvrage intitulé Histoire de Rouyn, jette un regard éclairant sur les débuts des villes de Rouyn et de Noranda. Écrit à la fin des années 1930, il nous informe sur le développement institutionnel de camp minier établi sur les rives du lac Osisko. Une des particularités du livre est de mettre en évidence la contribution des Églises à l'essor de la communauté. Loin de vivre en marabouts dans leur presbytère, les pasteurs des religions catholiques et non catholiques exercèrent un rôle important dans la vie sociale par la mise en place d'institutions scolaires et religieuses. Entre 1925 et 1935, six groupements religieux occupent le territoire. L'Église catholique envoie, dès 1924, des missionnaires visiter les familles canadiennes-françaises établies dans la nouvelle agglomération. À la même époque, les représentants des autres religions s'amènent sur le territoire : l'Église ukrainienne est présente en 1925, l'Église anglicane et l'Église unie en 1926, l'Église baptiste en 1928, enfin la Communauté juive en 1930. Malgré leurs divergences au niveau doctrinal, les différentes Églises utilisent des stratégies d'intervention similaires. L'une et l'autre ont à affronter l'hostilité de certains individus à l'endroit du message évangélique. Prêtres et pasteurs doivent en premier lieu tendre à se faire connaître et accepter dans la communauté. Une des façons retenue est d'offrir un support aux citoyens pauvres et démunis. Par la suite, ils prendront la décision de construire leur église, d'aménager des locaux pour des fins scolaires et de créer des organismes culturels et sociaux.
L'arrivée et l'implantation de ces Églises à Rouyn et Noranda entre 1925 et 1935 sont consignées aux tomes I et 2 du recueil. Dans ces deux tomes, l'auteur nous fait part des conditions de vie parfois difficiles à l'arrivée des premiers missionnaires. La nouvelle agglomération, éloignée des grands centres, n'a pas d'organisation civile. Les arrivants vivent dans des habitations de fortune construites sans plan directeur. Ils forment une communauté diversifiée quant à l'origine, la langue et la religion. Le plus grand nombre d'entre eux sont des mineurs. Pasteurs et prêtres mènent avec ténacité un travail d'évangélisation que viennent concrétiser les constructions d'églises. Des organisations culturelles apparaissent dont les membres, jeunes et adultes, sont recrutés principalement parmi les paroissiens. L'historien situe les grands moments de cette évolution en privilégiant une approche chronologique. Il laisse intervenir des éléments contextuels qui permettent de comprendre les contraintes dans la société d'alors. À ses descriptions, l'auteur ajoute des témoignages empruntés aux premiers missionnaires, se montrant dans l'ensemble favorable au travail d'évangélisation mené par ces derniers. Regardons de plus près ce qu'il nous, apprend touchant l'arrivée des premiers missionnaires sur le territoire, les étapes d'implantation des Églises dans le milieu et le contexte d'apparition des premières institutions religieuses et scolaires sur le territoire.
L'arrivée des missionnaires
Au début de son recueil, Albert Leury rapporte le témoignage d'un missionnaire catholique. À l'automne 1924, l'abbé Fugère d'Angliers, en visite à Rouyn, constate l'état embryonnaire du camp minier: « J'étais à Rouyn...Nom magique qui commence à attirer l'attention de l'univers par suite de découvertes qu'on disait fabuleuses. Vous décrirez le Rouyn d'alors est facile, car il n'y en avait pas. C'était la forêt...», affirme le missionnaire catholique qui célébra à cette occasion une messe sur un comptoir transformé en autel dans le magasin Dumulon. Quelques mois plus tard, l'abbé Lévesque de Ste-Rose-de-Poularies note, lors de son passage en mission, le délabrement moral de l'arrondissement où l'on y retrouve des individus peu recommandables, « bootleggers, tenancières, gamblers ». Dès 1926 un représentant de l'Église anglicane effectue une tournée exploratrice de l'agglomération, laquelle conduira à l'établissement du premier pasteur anglican sur le territoire, le Rév. E. Findlay. Ce dernier se fit rapidement connaître et remarquer par ses pairs. Malgré les conditions pénibles, « ses voyages dans la boue et des difficultés qu'il rencontra », nous dit Albert Leury, quelques mois plus tard sera érigée l'église St-Bede's à Rouyn.
Mademoiselle Olive Copp de l'Église baptiste est sur place en 1928. Elle note les piètres conditions morales qui y prévalent. Dans la même année, les autorités religieuses assignent Charles McGrath comme pasteur baptiste du nouveau camp minier. Ancien mineur récemment converti, il livre assidûment ses prêches inspirés des textes bibliques lors d'assemblées publiques dans les rues de Rouyn. L'historien Leury décrit les réactions populaires en écrivant que « C'est pourquoi, lorsqu'il se tenait, nuit après nuit, prêchant avec ardeur la Grâce Rédemptrice, toujours il avait une large audience qui, pour la plupart était attentive, bien que certaines fois on se hasarda à lui jeter des pierres et des bouteilles de bière. »
Le premier local de réunion est une bâtisse en bois rond située au coin des rues Perreault et Galipault connue sous le vocable Green Lantern. Dans les années 1930, le pasteur A. Seoli mène une campagne intensive de recrutement qui porte ses fruits : quatre années plus tard débute la construction d'un temple de prière sur la 9e Rue à Noranda.
L'implantation dans le milieu
L'Église unie du Canada instaure en 1925 une congrégation locale formée d'un regroupement de paroissiens: « En 1925 dit Albert Leury, le Bureau des Home Missions envoya un représentant à Rouyn en la personne du Rév. Clare Oke, qui organisa les quelques familles de l'Église Unie en une petite Congrégation. Rouyn-Noranda fut donc la scène d'une des premières entreprises de la Home Mission de l'Église Unie ».Les membres de cette congrégation manifestèrent tout au long des années une fidélité indéfectible à leur Église. La section féminine de l'organisme, connue sous l'appellation Ladies Guild, s'impliqua activement dans les activités paroissiales. Elles honorèrent pendant plusieurs années un contrat de fabrication de respirateurs utilisés à la mine Noranda. L'argent amassé fut utilisé pour le financement de l'église.
En 1926, le Rév. Hatcher de l'Église anglicane fait paraître un premier journal à Rouyn. Son remplaçant, le Rév. G. Addie parraine la fondation d'unités locales des Boys-Scouts. Il fut reconnu pour sa détermination à encourager la pratique sportive chez les jeunes. L'historien Leury signale les efforts du Rév. A.D. Rollit visant à atténuer la pauvreté vécue dans les familles. Un hiver, le pasteur anglican organise la tenue de repas pour les chômeurs. « L'hiver dernier, avec une patience infatigable, il donna des repas aux sans-travail et plus de 150 repas furent servis chaque jour. Avec l'aide monétaire des Mines et des hommes d'affaire, il fut capable de remplir cette œuvre de charité », indique l'historien.
L'abbé A. Pelletier, de l'Église catholique, exerce un rôle de leader dans l'agglomération naissante. L'absence de services publics l'oblige à prendre des décisions quant à l'organisation de la vie civile. En 1925, il demande que l'on construise un radeau sur le lac Osisko afin d'assurer la sécurité des citoyens advenant un incendie majeur. À cette époque, les querelles et les règlements de compte sont usuels dans les rues de Rouyn. L'ancien curé de New Liskeard ne craint pas d'affronter les fauteurs de trouble, s'aidant à l'occasion d'hommes forts pour rétablir l'ordre dans les réunions publiques. « À ce moment, il n'y avait pas de police municipale et la population de Rouyn était celle de toutes les villes minières qui commencent, composée d'étrangers de toutes races et de tout acabit. La boisson pullulait et les chicanes, les coups de revolver s'entendaient le jour et la nuit. Il n'était pas rare de voir une bande de ces énergumènes pénétrer dans les assemblées, les parties de cartes et les danses pour y jeter le brandon de la discorde », rapporte Albert Leury.
En 1926, le curé A. Pelletier effectue un recensement auprès des résidents. Au terme de l'exercice, il dénombre 83 familles dont 8 parlant de langue anglaise. En tout, il y a 537 citoyens catholiques alors que 40 personnes d'entre eux n'ont pas fait leurs Pâques. Pour leur part, les pasteurs de l'Église baptiste étendent graduellement leur champ d'évangélisation aux familles qui résident dans les camps miniers aux environs de Rouyn. Ils se déplacent à pied ou en canot pour se rendre dans les agglomérations d'Arntfield, de Duparquet et de Pascalis. Les nouveaux convertis sont accueillis avec enthousiasme. En juillet 1932, une douzaine de personnes reçoivent un baptême par immersion dans le lac Osisko.
La consolidation de leur présence
Dès son arrivée, l'abbé A. Pelletier constate l'absence totale de lieu de culte dans le camp minier naissant. En juillet 1925, des tentes sont dressées près du camp des garde-feu afin d'accueillir les familles catholiques aux offices religieux. Albert Leury note l'aspect rocambolesque du site : « La grande tente, montée sur une charpente de bois rond écorcé et reposant sur un plancher de madriers, fait contraste avec le feuillage des bouleaux qui l'entourent; les fidèles paraissent heureux sous ce toit que la brise du lac fait onduler. Ce qui gâte le charme du nouveau temple, est le manque de portes : chiens et chats suivent leurs maîtres à la messe et il se produit entre ces animaux des altercations qui n'ont rien de liturgique ».
La construction de l'église St-Michel Archange de Rouyn vint confirmer la détermination du jeune curé, qui, malgré les opposants, mena à terme son ambitieux projet. Grâce à une aide de 50 000 $ de la Corporation épiscopale et à la générosité exemplaire des paroissiens, la messe inaugurale se déroula le 27 novembre 1928. L'historien signale qu'en décembre 1928, la paroisse St Michel Archange possédait un orgue, un presbytère et un cimetière. Il note l'existence de trois regroupements paroissiaux : une chorale, la Congrégation des Dames de Ste-Anne et celle des Enfants de Marie. Il faut se rappeler qu'à cette époque, la paroisse appartenait au diocèse d'Haileybury ayant à sa tête Mgr. Louis Rhéaume. L'année suivante, une seconde paroisse était érigée sur le territoire, la paroisse Notre-Dame-de-Protection de Noranda dont le premier pasteur fut l'abbé A.J. Arsenault. L'action évangélique menée par l'Église anglicane porte ses fruits. En 1928 se déroule l'inauguration de l'église All Saints de Noranda, deux années après l'érection de l'église St-Bede's de Rouyn. Durant les neuf années qui suivirent, les pasteurs de St Bede's dispenseront les services religieux aux fidèles des deux paroisses. Une mission fut instituée dans l'agglomération de Farmborough, située dans le canton Joannès et l'évêché anglican nomma A. Piercy à titre de pasteur résident. La Guilde, un conseil de paroisse, participa activement aux opérations de financement de la communauté. Dans les années 1930 naquit une branche de l'Association anglicane des Jeunes du Canada dont l'un des buts était l'éducation chrétienne de la jeunesse.
Les Ukrainiens, pionniers dans l'industrie minière régionale, ont influencé la vie culturelle et sociale des villes sœurs. Peu nombreux en 1925, ils créeront au fil des ans des organismes qui favoriseront les échanges interethniques. Ils mettent sur pied une fanfare d'instruments de cuivre « avec l'aide de la mine Noranda », nous dit Albert Leury. En 1938, l'Association ukrainienne des vétérans de guerre débute l'enseignement de la musique et du chant dans la communauté; des concerts et des pièces de théâtre seront offerts à la population. Jusqu'en 1939, l'année de construction de leur église à Rouyn, les paroissiens ukrainiens célèbreront leurs cérémonies liturgiques à l'église anglicane All Saints de Noranda.
Au départ, la Communauté juive était composée d'entrepreneurs et de futurs hommes d'affaires qui firent associés au développement économique des villes sœurs. Ils étaient marchands de bois, propriétaires d'immeubles et commerçants. Albert Leury nous dit : « Le capital juif a montré un grand intérêt dans le Nord-Ouest de Québec et beaucoup d'argent o été investi dans les mines et d'autres industries du District de Rouyn-Noranda. Une marque de confiance magnifique a été donnée par Sam Bucovetslcy Ltd en ouvrant un magasin à rayons dans les deux villes et David Korman d'Englehart, Ont., qui érigea l'imposant théâtre. Le Capitol. ». En 1932, on construit une synagogue sur la 9e rue sous la gouverne du Rabbin M. Katz. À cette époque, une vingtaine de familles juives vivent dans les villes sœurs.
Conclusion
Dans les deux premiers tomes de son ouvrage Histoire de Rouyn, Albert Leury, nous apprend qu'à l'origine, six confessions religieuses étaient présentes sur le territoire. Chacune de ces Églises participa activement au développement de la communauté. Les efforts des pasteurs et des prêtres conduisirent rapidement à la mise en place des premières institutions scolaires et religieuses. La venue de citoyens étrangers favorisa les échanges interethniques. Des liens de d'amitié se tissèrent entre les communautés. On assista à des gestes d'entraide à l'endroit des plus démunis, sans égard à la langue et aux croyances des individus. La paroisse devint un lieu d'appartenance qui favorisa l'éclosion d'associations culturelles et sportives.
En somme, durant la décennie 1930, les Églises en place cohabitèrent et s'entraidèrent mutuellement. La création de regroupements sociaux favorisa l'intégration des citoyens au milieu. Prêtres et pasteurs participèrent étroitement au développement institutionnel, comme en témoignent aujourd'hui, la présence de leurs églises dans les rues de Rouyn-Noranda. L'historien est le gardien de la mémoire. En nous rappelant nos origines, Albert Leury peut être considéré comme le premier historien des villes sœurs. Son manuscrit, défraîchi, nous interpelle. La transcription du document en favoriserait la lecture et la diffusion
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