novembre 2020

Pour la préservation des enseignes murales peintes de Rouyn-Noranda

par Jonathan Barrette


Introduction

Véritables témoins des commerces d'une certaine époque, les enseignes commerciales murales peintes ne sont plus légion aujourd'hui. A l'époque, elles faisaient tant partie du décor des villes qu'elles en étaient même « des repères fonctionnels de la trame urbaine ». Bien que présentes en abondance sur notre continent au 19' siècle sous le nom de « wall dogs » (du nom donné à leurs concepteurs) ou de « ghosts signs », la plupart d'entre elles ont disparu sous les couches de peinture, les craquelures et le défraichissement. Ce patrimoine commercial, insoupçonné puisque ignoré, a toutefois recommencé à retrouver ses lettres de noblesse, dans bien des villes d'Amérique.

Avec la revitalisation des artères commerciales dans les années 1990, la Ville de Québec a pris conscience de cet état de fait. Le retour au centre-ville des citoyens et des commerces a obligé l'administration municipale à les attirer le plus possible en redonnant leur valeur d'antan aux bâtiments, à leur redonner le cachet des premiers jours. Pour ce faire, la Ville s'est efforcée à sensibiliser les propriétaires des édifices concernés en leur faisant bénéficier de subventions servant à la rénovation de leur façade, ou sous forme de crédit de taxes. Par le fait même, plusieurs de ces enseignes étaient appelées à être revitalisées. Le tout a commencé en 2002, lorsque M. Denis Paquet, graphiste de formation, directeur de la Fondation pour la préservation de l'art mural et président de l'entreprise de restauration Mise en marché de l'image, a débuté ses manœuvres pour convaincre la ville de redonner vie à ce patrimoine. Précédemment, M. Paquet procédait dès 1997 à un inventaire de celui-ci, dans les deux plus grands centres du Québec, pour en dénombrer 300 à Montréal, alors qu'il n'en restait que quatre de véritablement conservés dans le Vieux-Québec. Depuis l'été 2005, son équipe s'affaire à restaurer quelques-unes de ces œuvres à Montréal.

Durant les premières décennies des quartiers Rouyn et Noranda nombre d'enseignes de ce type faisaient partie du paysage urbain, les photographies de l'époque en faisant foi. Avec les années, nous avons ici aussi assisté à la déperdition de ce patrimoine, si bien qu'à présent, il n'en subsiste plus que trois éléments :

  • Quincaillerie Boucher au 168, rue Perreault Est ;
  • Seconde Main Veilleux au 164, rue Perreault Est (façade ouest de l'adresse précédente) ;
  • Reilly Hardware au 116, avenue Principale..

Après une fouille préliminaire à la direction régionale des Archives nationales du Québec, dans les photographies de commerces, du macro-inventaire photographique réalisé au tournant des années 80, des raisons sociales et des bottins téléphoniques qui s'y retrouvaient, quelques bribes d'informations ont pu être dégagées sur ces commerces.


Quincaillerie Boucher

Quincaillerie Boucher Bibliothèque et Archives nationales du Québec, Rouyn-Noranda

L'enseigne murale sur la façade est du 168 Perreault Est serait celle de la Quincaillerie Bouche/. La première mention de ce commerce dans les bottins téléphoniques date de 1947. L'annuaire précédent conservé sur place n'étant que de 1942 et celui-ci ne comprenant pas la mention de l'établissement, nous pouvons en déduire que ce commerce aurait ouvert entre ces deux dates. Faute de document iconographique ou textuel, nous n'avons pu déterminer à quel moment ni par qui cette enseigne a été réalisée. Elle est cachée en partie par une pancarte de Pizza d'or et semble dans un bon état, quoique le début et la fin de l'enseigne soient couverts de peinture blanche.


Seconde Main Veilleux

En ce qui concerne Seconde Main Veilleux, ce commerce aurait été la propriété de M. René Veilleux, sous le nom officiel de Veilleux R. Enr. Toujours d'après les annuaires téléphoniques, le commerce aurait ouvert entre 1964, où le nom est absent et 1968, où on en voit la première mention, trouvée de la même façon que dans le cas précédent. Ici encore, nous ne disposons pas d'information sur la conception et le concepteur de l'enseigne, ni de photographie d'époque. Cependant, il semble que l'enseigne ait été mal orthographiée, déformant le véritable nom de son propriétaire. Aussi, son état actuel est relativement satisfaisant.

Édifice Veilleux – Jonathan Barrette, 2007

Reilly Hardware

Le troisième cas, celui de Reilly Hardware, est le mieux documenté. Ouverte en 1935 et bâtie à son emplacement le plus connu en 1938, la quincaillerie Reilly a longtemps fait partie du paysage du centre-ville. Là encore, nous ne savons pas quand et qui aurait conçu l'enseigne. Celle-ci étant probablement la plus représentative et la plus importante de ce type de patrimoine en ville, son état pose néanmoins un problème vu son grand état de palissement et le manque de photographies claires d'époque de cette dernière, pouvant servir à sa reconstitution. Il est à noter qu'à sa façade ouest, au coin de l'avenue Principale et de la rue Gamble, subsiste encore le fond d'une autre enseigne du même commerce, quoique son lettrage soit complètement absent maintenant. Celle-ci ne semble pas exister en 1952, tandis que celle qui subsiste encore aujourd'hui apparaît clairement en majeure partie en 1962 (Reilly Hardware and Supply Furnitures Electric Appliances). Si nous supposons que les deux enseignes auraient été produites en même temps, nous pourrions alors penser qu'elles l'auraient été durant les années 1950.
Construit de 1937 à 1938 au coin de l’avenue Principale et de la rue Gamble Ouest, l’édifice de Reilly Hardware & Furniture était à son époque l’un des plus prestigieux à Rouyn. Bibliothèque et Archives nationales du Québec, Rouyn-Noranda

Avenue de recherche

Rien qu'au niveau documentaire, de nombreuses raisons sociales des commerces de la région se retrouvent à la section régionale de l'Outaouais des Archives nationales du Québec. Ainsi, la date réelle d'ouverture et de fermeture de ces commerces serait plus précisée. Peut-être qu'en épluchant les publicités se trouvant dans les journaux régionaux nous aurions une idée resserrée de l'ouverture de ces établissements. Pour avoir aussi une plus nette idée du moment de la construction de ces édifices et de leurs propriétaires, il serait alors pertinent de consulter les archives de la Ville de Rouyn-Noranda, particulièrement dans les rôles d'évaluation et les permis de construction. De plus, le manque d'items photographiques nous empêche de voir à quel moment exact ces enseignes auraient été peintes. Il est possible qu'il existe des documents écrits d'artistes-peintres ou de lettres de la ville aux Archives nationales du Québec, qui nous éclaireraient sur des contrats ayant trait à ces réclames.

Une fois la plus grande somme possible de donner trouvées, il serait pertinent de voir comment pareilles entreprises de restauration ont été opérées ailleurs dans la province, notamment à Québec et à Montréal. De cette façon, nous verrions comment ces villes ont incité les propriétaires à remettre en état leurs enseignes, à dénicher l'information sur ces dernières, à quels types de spécialistes ces villes ont eu recours de la première à la dernière étape et ce, à quel prix.


Conclusion

Certes, la restauration et la valorisation de ces éléments particuliers de notre patrimoine commercial représentent un défi important. Mais l'inaction face à la dégradation de celui-ci, parce qu'il est demeuré dans l'oubli, serait inconséquente d'une population fière de son passé et soucieuse de préserver son héritage. Il est d'ailleurs noté que « certains éléments architecturaux constituent l'élément dominant du paysage de certaines rues. Il est donc souhaitable de les conserver et de les mettre en valeur », tels que « les ensembles d'édifices commerciaux en rangée (...) de l'avenue Principale et de la rue Perreault Est ». Pour continuer, il est spécifié que « la Ville devrait assurer la sauvegarde de ce qu'il reste des ensembles commerciaux (...) de l'avenue Principale et de la rue Perreault. Il faut particulièrement préserver des éléments comme le revêtement de brique (...), les détails architecturaux ». Si nous serions tenus d'être conséquents avec cette assertion, pourquoi ne le serions-nous pas aussi pour ces enseignes? Comme dans le cas du patrimoine bâti, il importe que leur intégrité soit respectée, harmonisée avec le paysage urbain en place.

Cet article a été publié à l'origine dans Le Babillard, vol. 4, no. 1, avril 2007.

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